* LE GLACIS DEVANT LE BOIS D’OHNENHEIM
Le 25 janvier 1945, poursuivant l’attaque lancée le 23 sur les bois de l’Illwald, la 1e Compagnie et la 4e Compagnie, dont je fais partie, doivent attaquer et enlever à l’ennemi le bois d’Ohnenheim.
Démarrage et début de progression, A cet endroit la 4e Compagnie se trouve devant un grand champ plat comme un billard, recouvert de trente centimètres de neige environ. C’est ce glacis qu’il nous faut franchir !
On n’entend aucun bruit et la progression reprend, prudemment, avec méfiance, dans ce silence inquiétant.
Une centaine de mètres environ sont franchis Iorsque, brusquement, part de la lisière du bois d’Ohnenheim dans notre direction, un tir très violent et nourri, de balles de mitrailleuses, de fusils-mitrailleurs et d’armes individuelles.
Instantanément, tout le monde s’est jeté sur le sol, couché dans la neige, sans pouvoir faire le moindre mouvement car, aussitôt les balles fusent sur tout ce qui bouge.
La 4e Compagnie à ma connaissance, je crois, ne s’est jamais trouvée dans une telle position.
Après environ quinze à vingt minutes nécessaires pour communiquer avec le PC du Bataillon, le Commandant de la 4e Compagnie voyant qu’aucun maintien sur place n’est plus possible plus longtemps, et encore moins une reprise de l’attaque vers l’objectif ne pouvant être envisagée, décide le repli de la Compagnie. Cela à la condition absolument nécessaire – afin d’éviter la « casse » – derrière un écran de fumée qui sera créé par l’envoi de projectiles fumigènes. Ce travail est confié à la section engins de la 4e Compagnie, dont je fais partie, en raison des pertes déjà subies et des évacués pour pieds gelés, ce qui m’oblige à être à la fois agent de transmission et servant à la mitrailleuse de mon « pote » cher titi parigot Besnard.
Désigné pour aller porter physiquement et verbalement cet ordre et cette instruction aux trois sections qui sont un peu plus en avant, je réalise que cela équivaut pour moi à un arrêt de mort : car, seul de tous, debout, et courant vers l’avant, je n’ai objectivement qu’une chance sur un million et encore… de réussir et être tué. Mais il faut que j’y aille, l’ordre donné quel qu’en soit le danger, il y va de la vie de tous les copains de Compagnie.
Aussi, dès que je commence à courir, debout et courbé vers l’avant, c’est une grêle de balles qui m’entourent. Je les entends et les sens autour de ma tête et de mon corps. Mais n’étant pas atteint, je continue mon action comme j’avais appris à le faire au rugby, par crochets, des changements de pied, des sauts, des feintes d’arrêt ou de départ, le tout ponctué par des plongeons dans la neige. Tout cela bien sûr, sous une pluie de balles. J’entends à plusieurs reprises les tirailleurs couchés et immobiles dans la neige qui disent : » Oh ! ça y est, Cazaux mort ! «
Mais non, je repars à chaque fois touché. Les « Fritz » stupéfaits, je pense, de cette chance incroyable, de cette « baraka dont je bénéficie, m’interpellent : » Allei, allei kamarade… kommen, kommen, of kapout ! »
Cette situation est terrible, et comme l’écrit si bien – dans le dernier numéro 74 de Vae Victis – mon copain René Petitot, il faut y être passé pour savoir ce que l’on ressent dans des moments pareils de très grands risque ;
Enfin, ayant transmis les ordres et instructions aux trois sections, je retourne à la Section engins et rend compte au Chef de Section que l’ordre a été effectivement bien exécuté.
Aussitôt, la Section engins tire les fumigènes et un écran de fumée se forme devant les hommes qui se relèvent et se replient le plus vite possible. Un bon copain Gallet est blessé et souffrant est emmené par les autres tirailleurs afin de pouvoir le faire évacuer pour le soigner.
Quant à moi, épuisé par ces courses et ces efforts accomplis, c’est avec difficulté que je suis le mouvement et me replie le dernier avec le sous-lieutenant Marragi, chef de la Section engins de la 4e Compagnie.
Oui, ce 25 janvier 1945, c’est un très grand miracle de Dieu qui vient de m’arriver, car durant une vingtaine de minutes environ, j’ai été la cible unique, debout, vivante, humaine et mobile sur laquelle les allemands ont tiré comme au stand de tir – tout près et à l’aise, de toutes sortes d’armes dont ils disposaient.
Malgré toutes ces conditions avantageuses, ils m’ont manqué ! C’est donc vraiment un grand miracle et c’est aussi un véritable « défi à la mort que j’ai gagné, avec la volonté de Dieu ce 25 janvier 1945.
Mes camarades de la 4e Compagnie qui étaient sur le glacis ce jour-là, se rappellent, j’en suis certain, de cette journée du 25 janvier 1945.
Mon récit serait incomplet si je ne parlais pas 1e Compagnie qui, ce jour-là aussi, s’est étrouvée terriblement accrochée et n’a pu se replier qu’au prix d’efforts extrêmes et qui a eu plusieurs tués. Je l’apprendrai le soir tard de cette journée. Ma pensée va aussi vers eux : Thines, Pierragi, Colombo, Campana et bien d’autres.
Mais, comme le 22e BMNA a toujours atteint ses objectifs fixés par l’Etat-Major, j’ajouterais que cinq jours plus tard, le 30 janvier 1945, nous attaquerons à nouveau le bois d’Ohnenheim, cette fois avec la 3e Compagnie (il ne restait plus dans ces deux compagnies réunies que 80 hommes, au lieu de… 360 effectif normal), et nous enlèverons -après de très durs et difficiles combats ce jour-là encore – ce sacré bois d’Ohnenheim !
André CAZAUX, 22e BMNA
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