*APRES BIR HAKEIM
Extrait des « Souvenirs » du Colonel MORLON
Le matin du 15 juin, messe solennelle pour les morts et disparus de la brigade, dite par le Père HIRLEMANN , aumônier du 2e BLE. Sur tous les visages, l’émotion est intense.
A 17 heures, le Général KOENIG, accompagné des Lieutenants-Colonels AMILAKVARI et DE ROUX , passe le régiment en revue. » J’ai commencé ma visite des unités de la brigade par celle du 1e RA : c’est pour le remercier de l’aide qu’il a apportée pendant les combats aux unités d’infanterie qui sont représentées ici par leurs deux colonels « .
LAURENT-CHAMPROSAY , très ému, ne peut que nous dire : » Je vous engueule souvent, mais je vous aime bien quand même » .
Ce geste de KOENIG vis-à-vis de « l’irréprochable régiment du Commandant LAURENT-CHAMPROSAY » est justifié, entre autres, par le fait que le régiment a eu, proportionnellement, le plus de pertes des unités de la brigade.
Peu après, nous apprenons la mort de DE RAUVELIN, survenue le 12 près de SOLLUM. Il en avait eu une certaine prescience. Il était rescapé de Dunkerque.
Dans la baie du CAP, pour se rallier à DE GAULLE, il avait sauté du bateau qui l’emmenait en Indochine et avait rejoint à la nage un navire allié. Il m’avait reçu à DAMAS.
Charmant camarade, un peu fantaisiste ; à la tête de la colonne des voitures, il rêvait de Platon et de Berdiaeff.
La fin du grand diable aux yeux rieurs fut vraisemblablement très pénible, sur un brancard d’ambulance cahotant de droite à gauche, d’avant en arrière, vers un hypothétique hôpital. Il faut espérer que les toubibs lui auront facilité les derniers instants avec beaucoup de calmants.
ROSENWALD, le plus jeune de mes officiers, a été le premier tué de la batterie. Dans le trou où nous prenions nos repas naguère, il évoquait sa future carrière : » Vous, mon Capitaine, qui êtes d’activé, toute campagne militaire est bénéfique. Mais nous, les jeunes taupins qui ont quitté la France avant d’intégrer dans une grande école, que deviendrons-nous ? »
— » Ne vous inquiétez pas, mon cher, il y aura des promotions spéciales comme en 1919-1920 et nous nous occuperons de vous « .
Effectivement, de grandes facilités furent données aux jeunes qui survécurent et voulurent bien reprendre leurs études : SAUNAL fera l’X et l’Ecole des Mines ; DUCHENE , lieutenant à la 4e batterie, en 1945 l’X et l’Ecole des Pétroles.
Je pistonnerai RAVIX auprès de LAURENTIE, directeur du personnel au ministère des Colonies, et il deviendra administrateur au Cambodge.
Le 17 juin , déplacement vers l’Est jusqu’à EI-Daba. Là, le commandant du régiment convoque les quatre capitaines qui sont à la tête des batteries.
— » Il est question que la brigade reprenne le combat dans les prochains jours. Qu’en pensez-vous ? »
QUIROT : » C’est-à-dire que nous sommes un peu sonnés, mais s’il le faut ! »
CHAVANAC : » J’aimerais mieux répondre après MORLON ! Si c’est absolument nécessaire, d’accord ! »
MAES, le nouveau capitaine de la 5e batterie : » Arrivé au régiment très récemment, je ne peux dire que oui. »
— » Et vous, MORLON ? »
— » Non, mon Commandant, il ne peut être question de reprendre maintenant le combat avec ce qui reste de ma batterie. Le personnel présent a besoin de repos, il doit être complété. Par ailleurs, mes deux canons, comme du reste les six autres du régiment, sont pratiquement foutus. Mais si l’armée britannique a besoin de combattants, portez-moi volontaire comme servant de Brenn (le fusil-mitrailleur de l’armée anglaise, le modèle tchèque). »
— » Bien, Messieurs, je viens de refuser au Général KOENIG l’engagement du régiment, je vous remercie . »
Un journaliste du Caire, en mal de copie, avait écrit que la brigade de Bir-Hakeim avait repris le combat.
KOENIG , un peu gêné, tâtait ses unités qui réagirent toutes de la même façon.
LAURENT-CHAMPROSAY, de son côté, voulait assurer ses arrières (c’est la version qui circula au régiment).
Une épidémie de diarrhée sévit à la brigade. Deux causes : le gigot frigorifié australien, généreusement distribué, sans doute mal décongelé, – les crudités de la vallée du Nil.
Le 21 juin, nous apprenons que le Lieutenant KERVIZIC est prisonnier avec une jambe broyée
► il ne survivra pas à cette blessure.
Prisonniers aussi le Lieutenant CECCALDI, le Maréchal-des-Logis LEBOUC, le Canonnier SENECHAL
Quelques temps après, la liste s’allonge : Sous-Lieutenant SAUNAL, les Brigadiers-chefs MANUS dit SUDRE et VERRIER, dit MEUNIER, échappés des camps allemands, qui ont rejoint DE GAULLE par la Russie avec le détachement BILLOTTE .
Ils étaient chefs de pièce à la 3e section.
Par ailleurs, BORNARD, PAULET et SILVA (de la 5e batterie) sont morts noyés lors du torpillage du bateau italien « Nino-Bixio » qui les emmenait en Italie.
Le Maréchal-des-Logis chef JEHRIG, dit BORNARD, avait déjà été blessé lors du torpillage du navire qui l’évacuait de Dunkerque. BOURGET et CHEVALLIER ne sont pas sur la liste des prisonniers, ni sur la liste des noyés. Peu après nous apprenons la mort de BRICOGNE .
Il a été enterré quelque part entre Bir-Hakeim et Derna, le 11 juin dans la journée.
C’est une nouvelle extrêmement pénible.
Au moment du départ de la colonne des véhicules, lors de la sortie, il a obtenu l’accord de LAURENT-CHAMPROSAY pour partir à pied avec les fantassins, avec sa musette pleine de grenades et son pistolet et quelques chargeurs. Il est allé nettoyer plusieurs nids d’armes automatiques, mais il fut blessé. Il mourut dans le véhicule qui l’évacuait. Sa tombe ne fut jamais retrouvée. J’ai gardé de lui un souvenir ineffaçable. En six mois, il m’a marqué plus qu’aucune autre personne et je ne suis pas le seul dans ce cas.
Je rappelle ici le paragraphe qui lui est consacré dans le livre « La 1e D.F.L, épopée d’une reconquête », page 52 :
« Le Chef d’Escadron BRICOGNE, l’artilleur volant, spécialiste des patrouilles lointaines, digne adjoint et émule de son chef, le Lieutenant-Colonel LAURENT-CHAMPROSAY qui, avec lui, avait su faire du 1e régiment d’artillerie coloniale l’extraordinaire équipe qui, à maintes reprises, sauva seule la situation. »
Après EI-Daba, nous bivouaquons plus près d’Alexandrie. ORDRONNEAU et MALHOMME m’y font une escapade. Une nuit, ils prennent le petit Dodge sans m’alerter, pour aller tirer une bordée dans la ville. Au réveil, je m’aperçois que le moteur du véhicule est chaud. Enquête. Ils avouent leur méfait.
Furieux, après les avoir proposés pour une citation amplement méritée, je leur porte une punition pour cette grosse faute : alors que l’encadrement de la batterie fait un gros effort pour la remettre sur pied, eux, très proches du capitaine, se permettent des fantaisies avec du matériel précieux par sa rareté. S’ils m’avaient demandé une permission de la nuit, je leur aurais certainement accordée à condition d’aller à Alexandrie en « stop ».
LAURENT-CHAMPROSAY , qui ne badinait pas sur la discipline, on s’en doute, allonge la punition. ORDRONNEAU est muté en Syrie comme Brigadier. Après son départ, les langues se délient, j’apprends son profond égoïsme qui révoltait ses camarades. Aucun d’eux ne regrette son départ.
MALHOMME est remis à la disposition de l’infanterie comme 2e classe. Il récupérera ultérieurement ses galons et je le reverrai toujours avec plaisir, tant en Italie qu’en France.
Ce type de virée est de tradition chez les légionnaires, mais » pas vu, pas pris « .
C’est ainsi que le Commandant BABLON, qui a récupéré de sa blessure et commande le 2e BLE (qui a fusionné avec le 3e BLE du fait des pertes d’effectifs – tués, blessés graves et prisonniers) dit un jour à son adjoint le Capitaine LALANDE :
— » Demain tu viens me chercher chez les M.P. britanniques d’Alexandrie. Voici mes papiers. »
Et de se faire conduire en ville.
Assez rapidement, après boire, il se fait arrêter par les M.P. et conduire au « block ».
Le lendemain, LALANDE part à sa recherche et parvient enfin à un poste de M.P. :
— » Qui ? Un légionnaire, un commandant ? Effectivement nous avons arrêté hier soir un « free french » qui faisait du scandale. Il nous a donné du mal et a descendu plusieurs de nos gens avant de pouvoir être neutralisé . »
Les britanniques le font chercher. LALANDE, avec les papiers dont le pay-book, le fait reconnaître. Les Anglais sont stupéfaits :
— » Avec de tels officiers, on comprend qu’au combat il y ait de la casse chez l’ennemi . »
** La mouche
Le même LALANDE était auparavant l’adjoint du Chef de Bataillon PUCHOIS, commandant le 3e BLE, qui fut fait prisonnier pendant la sortie.
En Syrie, ce dernier avait eu un grave accident de voiture ; touché à la tête, il lui en était resté quelques séquelles qui se traduisaient par des réactions parfois fantaisistes. C’était le commandant aux « guitounes fleuries ».
Le 10 juin, en fin d’après-midi, il reçut de l’Etat-Major l’ordre de sortie de vive force, le passa à sojn adjoint en lui disant : » Convoquez-moi les capitaines pour que je leur donne mes ordres « .
LALANDE envoya des agents de liaison en leur demandant d’agir avec célérité mais également avec prudence aux PC des compagnies, PC qui ne pouvaient plus être touchés directement du fait de la destruction des lignes téléphoniques. Peu après SIMON et LAMAZE arrivèrent, en sautant de trou d’obus en trou d’obus, sous les tirs des armes d’infanterie ennemis, et plongèrent successivement dans le trou de LALANDE . MESSMER ne put être touché.
LALANDE les fit alors glisser dans le trou voisin du commandant en soulevant une partie de la toile qui le fermait. PUCHOIS, après avoir pris de leurs nouvelles, continua : » Messieurs, je vous ai fait venir… » Un silence . Mais il y a une mouche ! Il n’y en a jamais eu depuis le début du siège ! Quel est celui d’entre vous qui l’a introduite ? »
Nouveau silence ; hébétés, les capitaines se regardèrent et aucun n’eut l’idée de prendre sur lui le « méfait ». » Bien, Messieurs, puisque le coupable ne veut pas se dénoncer, je vous remercie… ».
Les trois officiers repassèrent dans le trou de LALANDE qui essaya d’excuser les propos du patron et leur communiqua l’ordre de sortie ; celui- ci était suffisamment détaillé pour permettre à chaque capitaine de prendre les mesures nécessaires, et ils rejoignirent leur unité.
MESSMER fut averti plus tard, dans la nuit.
En Italie, PUCHOIS essaya plusieurs fois de s’échapper de son camp de prisonnier, mais n’y réussit pas.
*Pertes de la 4e batterie à Bir-Hakeim
Tués ou noyés | |
Lieutenant BOURGET | Sous-Lieutenant DE RAUVELIN |
Aspirant ROSENWALD | mis-chef COHARD |
mis-chef BORNARD | mis CHEVALLIER |
Malgaches : | |
SOHAY | RAZAFINERIVA |
RANAIVO | RAKOTOSAFY |
LAVIVY |
Blessés | |
Lieutenant DREYFOUS-DUCAS | Brigadier-Chef DENIS |
Brigadier BURGUNDER | Canonnier GIMENEZ |
Cannonier ALLAIRE | Canonnier TOROSSIAN |
Malgaches : | |
Mis RAKOTO | Canonnier TOBY |
Canonnier ROZOBZKA | Canonnier RANAIVO-RONGO |
Canonnier MIANDRINARA |
Prisonniers | |
Mis LEBOUC | Brigadier-Chef MANUS (SUDRE) |
Brigadier-Chef MEUNIER (VERRIER) | Canonnier SENECHAL |
Canonnier JANNE | Canonnier MOHAMED IDDE |
Malgaches : | |
RAKOTONDRAMANANA | RALAIVAO |
RANAIVOSON | RADOARA |
RANDAFY | BOTOMETSO |
Dans cette liste se trouve largement l’encadrement d’une batterie à 4 pièces, avec son comptable et son mécanicien auto.
Effectif du 1e R.A. : le 8 juin 1942, sur la position de Bir-Hakeim : 549.
Au combat, le régiment a perdu pratiquement les 2/3 de ses moyens de feu et les 3/4 de ses véhicules.
Pour terminer ce chapitre, je recopie ici la fin de l’article sur le Général KOENIG de l’Annuaire de la 1e D.F.L. (p. A.22) :
» Aux volontaires qui, par leur valeur, leur discipline, leur courage et leur esprit de sacrifice lui ont donné la victoire, le Général KOENIG a légué cette phrase d’un de ses ordres du jour qui traduit sa morale intime et sa modestie : Vous avez fait votre devoir. Votre récompense est d’avoir pu le faire’ « .
Les Pyramides, 29/06/1942.
Publié dans l’Artilleur de la DFL
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