Les hostilités en Syrie se sont arrêtées le 10 Juillet 1941.
Nous avons regagné Damas et nous nous sommes installés dans la caserne du Génie, Quelques français de l’armée de Vichy sont venus nous rejoindre.
Un mois plus tard, j’ai fait partie d’une petite équipe avec CAUDERLIER, VANIER, VASSEUR… chargée de remettre en état de marche des véhicules laissés par l’armée de Vichy. C’était à CHEKHA sur la Côte libanaise, puis ensuite a fripon. Nous y avons trouvé un camion-atelier avec tour, meules perceuses, un autre avec un groupe électrogène, un camion grue, une forge. C’est avec ces camions atelier que nous avons accompagné la 1e Cie puis ensuite les autres compagnies du génie engagées en Egypte et en Libye. Nous avons d’abord été affectés au dépôt du Génie à Beyrouth, puis nous avons rejoint à Homs la 1e Cie juste pour partir le 31 Décembre pour la Libye. Toujours en serre-file pour assurer les dépannages, nous arrivions souvent très tard à l’étape. Nous avons rencontré des vents de sable au point de ne plus voir l’extrémité du capot du camion, de quitter la route sans s’en apercevoir et de s’arrêter sur un fil de fer clôturant un champ de mines.
Notre unité, la 1e Brigade Française Libre, seule à être engagée avec les Anglais, fonctionne comme une division et au Génie nous avons un embryon de génie divisionnaire commandé par le capitaine GRAVIER ; la 1e Cie de sapeurs mineurs est commandée par le capitaine DESMAISONS , notre groupe par le sergent chef CAUDERLIER .
Après la reddition d’Halfaya Solloum, nous reprenons vers l’ouest en évitant Tobrouk. Nous quittons la route côtière pour le désert à Tmimi à la base de la Cyrénaïque.
C’est un terrain presque plat avec quelques touffes desséchées et de nombreux cailloux. Nous roulons sur cinq colonnes à cent mètres les uns des autres, nous sommes au milieu. Nous nous installons à MECHILI , nous craignons les « colonnes Rommel » qui ont arrêté l’avance des Anglais vers Benghazi et les obligent à reculer.
J’ai travaillé un jour et une nuit pour tourner et ajuster une pièce de canon de 75 indispensable a son fonctionnement ; le capitaine DESMAISONS qui connaissait l’importance de donner satisfaction aux artilleurs est resté avec moi toute la nuit. C’est à MECHILI que mon camarade Jean HAMON, qui avait quitté la France avec moi, s’est fait sauter avec une mine en la manipulant trop brutalement ; j’ai fait une croix et une plaque.
C’est notre tour de reculer, je suis en serre-file avec mon camion atelier. La poussière de sable se lève et lorsqu’elle retombe je suis seul, impossible de discerner parmi toutes les traces de roues celles qui me permettraient de rejoindre la colonne ; je monte sur une hauteur, si l’on peut dire, j’aperçois à un ou deux kilomètres des camions qui roulent ; je les rejoins : ce sont des Polonais ; je roule avec eux, pour m’apercevoir au bout d’un moment qu’ils sont autant perdus que moi. Je suis le seul à avoir une boussole mais pas de carte, je décide de rouler plein Est, pour nous éloigner de la zone dangereuse, pendant une centaine de kilomètres et ensuite de repiquer vers le Nord pour rejoindre la route côtière, en fait ce ne sont que des camions bridés et quelques tombes.
Enfin en remontant vers le nord j’aperçois un Wreker Leyland, ce sont des Anglais, ils circulent sur une piste presque parallèle à la route côtière, ce devait être le TRIGH CAPUZZO. En faisant quarante kilomètres vers l’ouest je retrouve la compagnie, heureusement que j’avais de l’essence de réserve.
Nous repartons le lendemain vers l’Est. J’ai oublié le nom de l’endroit où nous allons rester quatre ou cinq jours. Quelques jours plus tôt en usinant la pièce pour le canon de 75, sans lunettes, parce que je n’en ai pas, j’ai reçu un grain d’émeri sur l’œil et personne n’arrive à me l’enlever. Le capitaine charge Raymond LASSERE , qui parle assez bien l’anglais, de me conduire à Tobrouk et de trouver un hôpital. Nous trouvons l’homme compétent pour m’enlever ce grain et me donner un collyre. A cette occasion, nous faisons connaissance avec Tobrouk, ses bâtiments démolis et son port avec de nombreux bateaux coulés. J’aurai l’occasion d’y revenir souvent dans les mois qui vont venir et presqu’à chaque fois j’assisterai à un bombardement par les stukas.
Nous repartons, à nouveau, cette fois-ci, vers le sud. Tout en roulant je voyais défiler devant moi et paraissant nous couper la route, un convoi de camions, sur une route avec des poteaux téléphoniques. Arrivé sur les lieux, il n’y avait ni camions, ni la moindre route, ce n’était qu’un mirage. Après avoir suivi des passages délimités par des fils de fer nous arrivons sur un terrain encore plus dénudé que ce que nous venons de traverser. Nous apprenons qu’il s’agit de BIR-HAKEIN (notre orthographe de l’époque) où nous allons rester et aménager la position. Les Anglais qui l’occupaient nous laissent des camions canadiens à cabine avancée.
Bir-Hachein, un point sur la carte, est située à environ 80 km plein sud de Tobrouk et constitue l’extrémité de la ligne de défense anglaise, dite El Gazala. Nous sommes dans la 2e quinzaine de Février et il fait encore froid la nuit, nous nous réunissons dans le camion atelier de René VANIER et nous faisons du chocolat au lait, dans une bouteille d’oxygène d’avion coupée en deux, que nous chauffons à la lampe à souder et remuons avec un tournevis. Nous couchions par terre dans des trous ou comme moi sur le plancher des camions. C’est plus dur, mais moins salissant. La toilette est réduite à peu de choses. Nous avons peu d’eau et nos citernes, qui vont la chercher du côté de Tobrouk, sont souvent en panne, ressort cassé. Nous n’avons pas de rechange : on se débrouille en récupérant des ressorts souvent plus longs, sur des carcasses de véhicules abandonnés et on les travaille à la forge. La nourriture est surtout à base de corned-beef, l’eau n’est pas bonne : on fait du thé en chauffant l’eau au dessus d’une boite de conserve, où l’on a mis du sable et de l’essence. L’essence, nous n’en manquons pas. Elle nous arrive dans des bidons de fer blanc que nous appelons Tanaké. Nous avons, une fois, reçu du vin il était imbuvable et parfois des « gâteries’ venant des cantines anglaises : fruits au sirop-gin, whisky, mais c’est trop rarement.
Le sol est relativement dur et plutôt caillouteux mais se transforme en poussière après le passage des camions. Cette poussière se soulève au moindre souffle de vent et pénètre partout. Il y a parfois de vrais vents de sable, c’est un « mur » de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, qui nous arrive dessus obscurcissant tout, au point que l’on ne voit pas à plus de deux ou trois mètres ; il dure parfois plusieurs jours. Les véhicules sont descendus, moteur en avant, dans des trous rehaussés de sacs de sable : nos deux camions atelier ensemble dans un seul emplacement dont le fond a été creusé à l’horizontale. Nous avons à côté une tranchée étroite pour nous réfugier en cas de bombardement ; elle servira parfois.
Notre compagnie, la 1e compagnie du Génie, est chargée en particulier d’établir des champs de mines autour de la position, de déminer éventuellement, et d’aider à la réalisation des abris. Notre groupe atelier est le seul sur la position à posséder un matériel tel que tour, perceuse, meule, soudure autogène, forge et un groupe électrogène. Notre compagnie n’est pas notre seul « client » nous sommes sollicités par les autres unités pour les dépannages et parfois pour des travaux relativement importants. Ce fut le cas, par exemple avec le lieutenant DEWEY de la Légion et l’aide d’un soudeur professionnel, adapter des canons de 25 anti-char français sur des chenillettes anglaises, ou aménager la caisse de certains camions pour permettre à un canon de 75 embarqué de tirer directement.
Nous soudons et découpons sans lunettes, nous n’en avons pas, et comme métal d’apport nous utilisons du fil de fer galvanisé. Nous travaillons sans interruption et à l’intérieur de la position nous bougeons très peu sauf pour aller chercher des véhicules ayant sauté sur des mines. Par contre j’ai très souvent eu la mission de me rendre dans les ateliers lourds et les dépôts autour de Tobrouk pour nous approvisionner en pièces de rechange. Ces pièces, j’ai aussi l’occasion de les trouver sur des carcasses de camions abandonnés et même de trouver des véhicules presque complets.
Ces déplacements vont me permettre d’acquérir une connaissance de la topographie de la région qui rendra bien service dans certaines occasions.
Dans le courant du mois d’Avril, probablement pour diminuer l’encombrement de la position en retirant des éléments non directement combattants, nous avons reçu l’ordre, pour le groupe atelier, de quitter Bir-Hacheim et d’aller nous installer avec l’échelon « B’ de la Brigade à BIR BOU MAAFES . C’est à 20 km de Bir Hacheim en direction d’El Adem et de Tobrouk. Les camions ou les groupes de camions sont, volontairement (pour éviter de former des cibles pour les avions) très écartés les uns des autres et nous ne sommes plus bombardés. De plus la circulation étant moins concentrée le sable et la poussière se soulèvent moins souvent.
Nos occupations sont les mêmes qu’à Bir-Hacheim. Pour nous rendre à la cuisine, distante d’au moins 1 km nous utilisons, à tour de rôle, les motos qui nous ont été abandonnées, parce qu’elles sont incapables d’assurer un service normal. Elles sont trop souvent en panne, à cause du sable et de la poussière qui bloque le boisseau du carburateur ou les câbles de commande.
Il n’y avait rien entre nous et Bir-Hacheim, pour s’y rendre il fallait suivre des repères constitués de fûts métalliques ou de tas de pierres. A force de chercher un meilleur endroit, pour rouler, les camions avaient élargi la piste à parfois plus
d’un kilomètre. Il m’est arrivé une fois de la perdre en ramenant un camion en panne, probablement suite à un vent de sable passager. J’étais à une bonne distance de notre cantonnement, mais sans savoir si j’en étais à droite ou à gauche. J’ai vu venir vers moi une voiture, c’était celle du capitaine DESMAISONS, le commandant de ma compagnie, il s’était perdu lui aussi en faisant le voyage inverse du mien. Je me suis retrouvé grâce à une déclivité de terrain et à quelques tombes, que je savais se situer entre Bir et Gobi et Bir Bou Maafes.
Fin Mai, on nous a distribué des masques à gaz et nous avons dû les porter pendant quelques heures pendant trois jours. Le 27 au matin nous avons reçu l’ordre de sortir nos camions des trous et d’être prêts à partir. Il y avait manifestement au dessus de nous des combats aériens, nous ne voyons rien mais nous avons eu très peur en entendant descendre ce que nous avons d’abord cru être une bombe et qui n’était en fait qu’un réservoir supplémentaire d’avion de chasse. Il est tombé à quelques mètres de nos camions en répandant une forte odeur d’essence d’avion. Une chenillette anglaise est arrivée sur nous venant du Sud Est et à toute allure a continué son chemin. Elle était montée par des « Indous » enturbannés. Nous devions apprendre par la suite qu’une brigade indienne s’était fait démolir vers Bir el Gobi, donc derrière nous par une division allemande du général Rommel.
L’ordre est arrivé de faire mouvement en suivant la voiture du lieutenant commandant la section du parc auquel nous étions rattachés. Pour quitter vers le Nord Est la déclivité dans laquelle nous étions cantonnés, il fallait emprunter une pente assez raide et René VANIER et moi, avec nos deux camions atelier de 5 Tonnes, avions une certaine peine à monter. Une batterie anglaise de quatre canons était en position sur le bord du plateau. Elle tirait à vue dans nos intervalles sur un ennemi que je n’ai pu voir, trop occupé que j’étais à sortir mon camion de cette situation. Nous devions apprendre par la suite qu’il s’agissait de six blindés allemands et que le capitaine BRUN, commandant une compagnie de réparation, avait été fait prisonnier, et aussi qu’il y avait plus de 300 camions à sortir de cette cuvette.
Au bout de quelques kilomètres sur le plateau, les camions qui étaient devant moi se sont arrêtés, ils avaient perdu le contact et ne savaient pas où aller. Le sergent chef CAUDERLIER, dont comme sergent, j’étais l’adjoint, n’en savait pas plus. J’ai pris la tête du groupe d’une dizaine de camions que nous formions. Je les ai emmenés vers le Nord Est en profitant d’un endroit que j’avais reconnu du côté de Sidi Rezegh pour descendre du plateau sur lequel nous nous trouvions vers celui où se trouvait l’aérodrome de Gambut ; la route côtière et l’atelier lourd de la Brigade. Arrivé au carrefour de la piste qui menait à cet atelier et vu l’encombrement des lieux CAUDERLIER décida d’aller seul pour signaler notre présence et demander des ordres. Il nous fut impossible de l’attendre nous étions pris dans un tel flot de véhicules que nous ne pûmes qu’obéir à l’ordre de partir vers l’Est, que vint nous donner la police anglaise à moto. Nous roulions sur quatre colonnes, deux sur la route, deux à côté, deux colonnes montantes, deux colonnes descendantes, sans aucun intervalle et par chance extraordinaire nous ne fûmes l’objet d’aucune attaque aérienne. Arrivé à BARDIA je décidais de rechercher et de nous rendre auprès de la Compagnie de Génie que je savais cantonnée dans ce secteur avec la 2e Brigade. CAUDERLIER vint nous rejoindre dans la soirée et le lendemain ou le surlendemain le lieutenant du parc vint nous récupérer et nous emmener à Sidi Mahammed sl Abeied, un point situé à 45 km à l’est de Bir Bou Maafes, point fixe pour notre repli et qui ne nous avait pas été communiqué.
La ligne de défense de Gazala et Bir Hacheim en particulier avait été attaquée. Elle avait bien résisté et il était question de poursuite de l’ennemi. Nous reçûmes l’ordre de rejoindre nos emplacements de BIR BOU MAAFES. En arrivant nous avons trouvé un très beau camion allemand presque neuf et dont le moteur démarra à la première sollicitation. Cette situation euphorique ne devait pas durer, les Allemands reprenaient l’offensive et nous reprîmes le chemin de Sidi Mohammed Abeied.
Nos camarades étaient encerclés à Bir Hacheim et les Anglais en train de se faire battre. Un jour, le 11 Juin, je reçus l’ordre de me joindre à un groupe de camions pour aller au devant de ceux qui avaient pu sortir de la position après 14 jours de combats : j’ai attendu mais je n’ai vu arriver que deux camions de ma compagnie et une vingtaine d’hommes. Il y avait LUCAS, LASSERE, LEQUERE, DESCLOCHEZ, RICCI-DUMONT. J’appris que DUFETEL avait été blessé au genou que le capitaine GRAVIER qui commandait le Génie de la Brigade avait été blessé gravement à la sortie dans la chenillette du lieutenant DEWEY, celui-ci avait été tué.
D’autres heureusement devaient arriver par la suite par d’autres voies : le capitaine DESMAISONS, BINET, RIGAL, BOVIS, ABBO. Le capitaine GRAVIER avait été évacué vers un hôpital anglais.
Après regroupement à Sidi Mohamed et Abeied nous avons repris la route vers l’est et après différentes étapes vers Sidi Barani et El Daba… rejoint la région du Caire à Helouan.
Début Juillet nous sommes passés un matin à El Alamein, des Anglais creusaient des tranchées, les avant-gardes de Rommel sont arrivées le soir même ou le lendemain. Sur la route du Caire nous avons croisé une division australienne qui venait prendre position. D’Helouan nous allons au Caire, il y a plus de six mois que nous n’avons vu une ville.
Le 20 Juillet nous repartons, toujours avec nos camions-atelier à travers le Sinaï et la Palestine pour le col de Bedar entre Beyrouth et Damas. La compagnie à besoin de se refaire, l’effectif présent à Bir-Hacheim était de 127 au moment de l’encerclement, 53 ne sont pas revenus. Combien de morts, combien de prisonniers à l’époque nous ne savions pas
Nous allons souvent à Beyrouth avec le camion allemand récupéré à Bir Bou Maafes ; il est plus léger et beaucoup plus rapide que les quelques camions anglais ramenés de Libye. J’en profite pour me faire soigner les dents. Le 1er août le groupe atelier dont je deviens le responsable est affecté à une autre compagnie du Génie et nous repartons le 6 Septembre pour l’Egypte. Nous nous installons en bordure de la route côtière pas très loin d’Alexandrie près du carrefour de la route qui vient du Caire à travers le désert.
Julien OZANNE
Bir-Hakeim l’Authion n°146, octobre 1992
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