*Participation de la Première Division Française Libre à la Libération de Lyon
Par le Général Bernard Saint Hillier
Bir Hakim… l’Authion n°125, juillet 1987
L’Armée française gagne la Bataille de Provence plus vite que ne l’avait prévu le Haut Commandement Américain. Celui-ci n’a donc pas le temps d’apporter d’Afrique du Nord la logistique nécessaire à l’exploitation du succès. Il n’y a pas d’essence, plus de munitions, ni de quoi réparer les destructions que les Allemands exécutent au cours de leur retraite .
Le Général PATCH n’en décide pas moins le 28 août de lancer l’Armée B (Française) sur la route des Alpes, avec pour mission de boucler la XIXe Armée Allemande qui reflue, en la devançant sur la trouée de Belfort . Ceci est tout à fait contraire à l’esprit de l’ordre initial qui donnait la Vallée du Rhône pour but à la progression française. Désormais une simple Reconnaissance armée balaiera la Rive Droite du fleuve et notre nouvel axe de marche point sur Besançon dans une région où l’activité de la Résistance est particulièrement active.
Cette idée, de manœuvre, repose sur le fait que l’utilisation, à plein, de moyens motorisés doit permettre d’atteindre rapidement la Haute Alsace ; Encore faudrait-il qu’il y eut de l’essence !
De par cet ordre, la Libération de Lyon dépend désormais de l’action du 6e Corps d’Armée Américain (CAUS) qui forme avec notre Ie Armée, la VIIe Armée que commande PATCH.
Ce Corps d’Armée se regroupe en ce moment sur la Rive Gauche du Rhône et l’Armée Française, rejetée vers l’Est est obligée, pour se mettre en place, d’opérer un surprenant chassé-croisé avec les troupes américaines.
Or, à cette date du 28 août, la 1e Division Blindée et la DFL se trouvent d’ores et déjà à cheval sur le Rhône, formant un Groupement aux ordres du Général VIGIER .
Ce jour là, le Général BROSSET inspecte ses unités à AVIGNON, TARASCON et ARLES , et son Etat- Major se débat dans des problèmes insolubles de vivres, essence et munitions.
Notre Chef n’a plus de contact avec ses supérieures depuis le 24 août ; il décide donc de se rendre au Quartier Général du Général de LATTRE qui se trouve à AIX : c’est là qu’il apprend la teneur de la nouvelle directive PATCH .
Depuis la fin des combats de Provence, le Commandant de la Ie Armée n’a guère eu le temps de vivre à son P.C, obligé qu’il est d’inspecter et de remplir d’autres devoirs de sa charge. Son Chef d’Etat-Major, le Général CARPENTIER et le Chef du Bureau Opérations, le Colonel DE LA BOISSE ont du, en son absence, prendre connaissance des nouveaux ordres : ils en ont reconnu et approuvé le bien fondé stratégique.
Le Général DE LATTRE, à son retour, ne se montre pas satisfait.
Il décide que, malgré les ordres, les Français iront à LYON, en force, avant leurs alliés.
En l’absence de directives politiques de Paris, de LATTRE pense aux problèmes complexes que lu posent les FFI. Il sait en outre, qu’à l’Ouest du Rhône, des bandes plus ou moins autonomes font régner leur loi et procèdent arbitrairement à des épurations. L’Armée Française se doit de maintenir l’ordre dans cette région, au besoin par la force (ce fut le rôle confié un peu plus tard au BM 24 qui réussira remarquablement).
Enfin, le Général DE LATTRE se sent attiré par une envie irrésistible de montrer dans le plus grand nombre de villes françaises cette jeune armée moderne, dynamique et victorieuse qui est la sienne . Seule la Vallée du Rhône peut lui offrir une telle occasion.
Il a tout lieu de penser que le Général DE GAULLE approuvera ses vues.
Accessoirement, il compte bien recevoir à MONTPELLIER une réparation éclatante du ridicule dont on a tenté de marquer sa tentative de Novembre 1942.
Cette solution politique se justifie aussi par le fait que l’Armée Française éprouve bien du mal à trouver à l’Est du Rhône un créneau libre pour son avance : les 45e et 36 Divisions Américaines, qui composent le 6e Corps d’Armée se déplacent en zigzaguant comme des hommes aouls. Elles empruntent quand bon leur semble les routes attribuées aux Français et paralysent leur avance. Il est donc important d’introduire dans les Alpes deux Divisions supplémentaires sur l’axe de marche du convoi.
La décision prise par le Général DE LATTRE de progresser en nombre dans la Vallée du Rhône va être une grande chance pour la DFL. Les durs combats de Provence ont causé bien des pertes parmi nos européens et nos Africains : déjà à TOULON , et dans la région marseillaise bien des volontaires avaient été accueillis principalement au 1e RFM (les Fusiliers Marins qui servaient encore dans la Marine Nationale au port de Toulon : ils étaient donc dans les rangs des marins à fusiller . Portés déserteurs, il fallut intervenir pour faire arrêter les poursuites en Tribunal militaire engagée par leurs supérieurs ! ) et à la 4e Brigade.
Au cours de notre marche, des jeunes gens vont se présenter sans cesse et s’engagent dans nos rangs.
La 2e Brigade se recomplète : NOVES, à lui seul, donne 110 engagés et CHATEAURENARD presque autant. Tandis qu’à NIMES, le BIMP peut envisager la relève de ses braves Canaques et Maoris.
Il manquait un aumônier, nous le trouverons sur notre route en la personne d’un Résistant, le Révérend Père CALMELS .
Tous ces engagés, dont beaucoup n’avaient pas encore vingt ans, montrèrent au combat un courage et une endurance qui firent honneur à la Division.
Au 31 du mois d’août…le 6e CAUS regroupé depuis l’avant-veille sur la Rive Gauche du Rhône, éprouve quelques difficultés vers MONTELIMAR : la XIe Armée Panzer, qui couvre la retraite de la XIXe Armée Allemande, affronte dans un rude combat les formations du Général TRUSCOT : vingt carcasses brûlantes de chars en témoignent.
Sur la route des Alpes, comme sur la Rive Droite du Rhône, les Unités Françaises avancent par sauts de puce, faute de carburant. Cette séparation en deux complique sérieusement le ravitaillement de notre Armée, trop pauvre en moyens de transports pour se permettre d’être ainsi divisée.
Mais le Général de LATTRE veut absolument que LYON, capitale de la Résistance, accueille l’Armée Française avant l’Armée Américaine.
Il confie cette mission au Général BROSSET dont il connaît l’audace et le sens tactique, qualités nécessaires pour tenter et réussir ce qui est, visiblement, une mission aventureuse.
Il sait pouvoir compter sur la DFL qui en a vu d’autres. Et puis le Général BROSSET est de famille lyonnaise.
Les renseignements que nous possédons sur l’ennemi sont très vagues. Nous nous attendons certes à rencontrer de multiples bouchons sur les routes et à devoir contourner maintes destructions. Il est prévisible qu’une résistance plus forte se manifeste dans la région de SAINT ETIENNE, la présence d’un P.C important de défense est mentionnée à SAINTE FOY .
Quant aux Unités de la DFL, elles se trouvent réparties entre Nîmes et Valence, les des véhicules ayant leur réservoir à sec. Le passage du fleuve est en cours et s’exécute avec des moyens plus rudimentaires encore jusqu’à ce qu’un pont de bateaux puisse être lancé le troisième jour ! Enfin une passerelle jetée par le 1e Bataillon du Génie (Capitaine NEUVILLE) permet le passage de l’Infanterie.
Ce franchissement va durer trois jours, trop souvent gêné par la pluie. Il est un instant ralenti par une crue subite et violente de la Durance. Tout le ravitaillement est alors obligé de faire le détour par MANOSQUE .
La mission que nous recevons du 2e CA est ainsi rédigée : 1e septembre 1944 – Suivre au plus près les deux Groupements tactiques ( CC1 et CC2 ) de la 1e DB et couvert par ceux-ci déployés au Nord de Lyon être en mesure d’entrer dans la Ville le 3 septembre .
Ces termes simples et précis cachent mal l’improvisation d’une telle action : il s’agit de parcourir 100 kilomètres dans un délai très court avec la possibilité d’être accroché en route par l’ennemi.
Au mieux nous pouvons nous présenter à LYON à bout de souffle commente le Général.
Il décide de constituer un Groupement comprenant :
- 1e RFM (Capitaine de Corvette DE MORSIER) et le 8e RCA (Colonel SIMON)
- Deux Bataillons prélevés sur la 1e Brigade du Colonel DELANGE, 22e BMNA (Comandant LESQUESNE) et 1e BLE (Commandant DE SAIRIGNE)
- deux Groupes du 1e Régiment d’Artillerie du Colonel BERT
Au dernier moment il y joint le Bataillon de choc affecté en renfort de la Division.
Ce Groupement se trouve déjà tout entier sur la Rive Droite du Rhône.
Tout le carburant disponible lui est donné, mais il ne peut emporter que les munitions déjà existantes sur l’homme ou contenues dans les blindés et dans les tracteurs de la pièce. Les Hommes, en fait de vivres, reçoivent trois jours de rations de réserves.
Le PC de la Division quitte le parc du Château de Lagoy près de Saint REMY DE PROVENCE et se porte à UZES.
Contrairement à ce que nous pensions, nous ne rencontrerons aucune résistance pendant notre montée vers LYON : l’aviation alliée a fait merveille, des camions brûlés jalonnent l’itinéraire de la retraite Allemande, parfois une croix coiffée d’un casque surmonte une tombe creusée sur le talus. Quelques destructions hâtivement pratiquées sont contournées sans peine.
En revanche la Division apprécie l’enthousiasme de l’accueil d’une population massée sur son passage : des fleurs, des fruits sont lancés dans les véhicules…un melon assomme même un secrétaire de l’Etat-Major, qui n’imaginait pas semblable blessure de guerre.
SAINT ETIENNE est traversé le Dimanche ; les cloches des Eglises sonnent à toute volée et il est bien difficile de se frayer un passage dans la foule.
Naturellement, le Général BROSSET est avec les éléments de tête, pressant le mouvement.
- Le 2 septembre au soir l’investissement de la ville par l’Ouest est terminé.
- Les CCI et CC2 de la 1e DB ont atteint VILLEFRANCHE et ROANNE.
- Un détachement de la DFL, le 8e RCA et le 3e Escadron du 1e RFM ( Lieutenant de Vaisseau COLMAY ) commandé par le Colonel SIMON est à FEURS.
- Le Bataillon de Choc occupe VAUQUERAY à douze kilomètres de Lyon.
- Le 2e RSA (1e DB) du Colonel LECOQ se dirige vers SATHONAY.
- Les deux groupes du 1e RA sont en position à ARBRESLE .
Enfin le 1e RFM pénètre à la nuit tombante dans le Quartier de la Mulotière, où se trouve déjà le Général.
Nous avons vu que les deux Bataillons d’Infanterie n’ont pu recevoir l’ordre d’attaque ; ils rejoignent au petit matin.
A l’Est de Lyon règne une ambiance d’insécurité pour les Allemands, entretenue par des Résistants, des Maquisards, et des FFI que viennent renforcer une floraison subite de volontaires.
Les patrouilles Allemandes prises à partie dès qu’elles arrivent à portée de tireurs invisibles n’osent plus s’aventurer hors du centre de la Ville.
Depuis le 29 août, le périmètre de sécurité allemand se réduit, et des barricades même surgissent.
Le Commandant Allemand pris en casse-noisette entre en une Résistance active à l’Est et une menace dynamique vers l’Ouest, décide d’évacuer la Ville dans la nuit du 2 au 3 Septembre ; le repli s’effectue par la Rive Gauche de la Saône à l’abri du fossé antichars que constitue cette rivière dont les ponts, comme ceux du Rhône, sautent.
Le 3 septembre, le Général BROSSET entre à Lyon à la tête du seul Régiment de Fusiliers-Marins. Le passage d’une rive à l’autre s’effectue sur un pont demeuré intact sur la Saône grâce à l’intervention d’une dizaine de gendarmes.
Ceux-ci ont repoussé à coups de mousqueton les sapeurs allemands chargés de la destruction.
Les Bataillons d’Infanterie prennent en charge le maintien de l’ordre dans la Ville.
Le 1e RFM est alors envoyé à SATHONAY pour renforcer en couverture le 2e RSA. Le Général évite ainsi à nos matelots-cavaliers des complications sentimentales.
En fin de soirée, arrivent, enfin, les Américains !
Un ravitaillement surprise d’essence a permis d’acheminer vers la Ville le Bataillon du Génie : un pont sur la Saône et le pont Wilson sont réparés provisoirement ? Une travée du pont Bellay est jetée le 4 septembre sur la seule arche brisée du pont de la Guillotière.
Devenu Gouverneur de LYON , le Général s’installe à l’Hôtel de Ville.
Son camion PC a gravi le perron sous l’œil amusé des témoins.
Son premier soin a été de faire cesser les tirs qui sporadiquement éclatent dans les rues et ont déjà causé la mort de deux sous-officiers du 22e BMNA , les Sergents WATELET et BOU AMAR.
Il interdit toutes les vengeances exercées sur des hommes et des femmes compromis avec l’Occupation. Il remet de l’ordre dans la maison, faisant cesser ce qu’il appelle des mascarades.
Ses ordres n’ont pu empêcher une jeep de reconnaissance américaine d’ouvrir le feu sur de prétendus snippers . Son tir à balles traçantes a mis le feu aux combles d’un grand bâtiment municipal (l’Hôtel Dieu ?).
Après avoir rendu une visite rapide à sa mère et à son frère, le Général doit se soumettre aux obligations qui lui incombent. Il reçoit les pouvoirs civils : le Commissaire du Gouvernement, Justin Godard, le Préfet du Rhône, le Maire intérimaire qui lui paraît être un très très vieux Monsieur. Il s’amuse d’avoir à rencontrer ces personnalités de luxe traînant autour des gens en place Tenez…Pierre Benoît est venu me voir hier .
Puis il participe à toutes les cérémonies : Messe solennelle à Fourvières, réunion pieuse au Fort de la Duchesse où furent fusillés Résistants et otages.
Pour finir, il passe en revue les libérateurs, et assiste à leur défilé : à ses côtés sont réunis les survivants des réseaux d’action, de renseignement, d’évasion.
Devant lui passent les hommes de sa Division, avec ses FFL et les vétérans d’Italie, les européens et les africains, les pieds noirs et maghrébins, les évadés d’Espagne et volontaires du Languedoc.
Ensuite ce sont les formations des FFI, Maquisards aguerris et volontaires des derniers jours.
S’il nous est impossible de citer les faits d’armes et mérites des Résistants qui oeuvrèrent pour la libération de Lyon, en revanche il est nécessaire d’évoquer deux formations : le Bataillon de CHAMBARAND et le 11e Cuirassiers.
Le Bataillon de CHAMBARAND dont le fanion vient d’être décoré avant la revue sur la place Bellecourt, avait été créé en 1941 sous l’impulsion du Docteur VALLOIS . Il forme le Groupe franc de l’Isère devenu en 1943 Secteur n°3 de l’Isère , ayant à sa tête le Docteur MARIOTTE.
Durant deux années, il attaque les convois allemands et c’est lui qui récupère les survivants du VERCORS.
Ses effectifs s’accroissement des victimes des exactions allemandes ou miliciennes qui rejoignent le Maquis, puis ce sont les réfractaires du STO et de jeunes volontaires qui arrivent ; pour finir, il reçoit les Gendarmes du pays.
Au cours de sa marche de BOURGOIN à LYON, il livre des combats meurtriers notamment à la VERPILLIERE, à SAINT QUENTION, à BRON .
Le 28 août au soir enfin, c’est lui qui entre le premier dans les faubourgs de Lyon ; ses patrouilles pénètrent même le 29 au cœur de la cité d’où elles ramènent des prisonniers.
Il finira la guerre avec la 1e DFL au sein du BM 4, ayant perdu soixante des siens morts pour la France et mérité 180 citations.
Le 11e Cuirassiers : lorsque les Allemands entrent dans Lyon en novembre 1942, le Lieutenant GEYER rejoint le maquis emportant avec lui l’étendard du Régiment. Il récupère la plupart de ses anciens Cavaliers qui, autour de son emblème, constituent avec d’autres jeunes un Régiment de Maquisards s’illustrant au VERCORS.
Le 11e Cuirassiers, devenu soutien porté du 1e RFM sous les ordres du Commandant GERYER, combattra vaillamment dans les Vosges et en Alsace avec nous, ce qui lui vaudra d’être cité à l’Ordre de l’Armée.
Il reste fidèle ainsi à sa belle devise Toujours au chemin de l’Honneur .
C’est ainsi que la 1e Division Française Libre vécut la Libération de Lyon.
Général Bernard SAINT HILLIER
Laisser un commentaire