Le Capitaine MATTEI étant tué le 29 janvier, cet épisode s’inscrit dans les combats de GRUSSENHEIM
*Etablissement d’une tête de pont sur l’ILL par Paul Pelloni
II y avait déjà huit jours que le 1e Bataillon de la Légion étrangère était encerclé lorsque nous arrivons à Benfeld. Avec les pelles et les pioches fournies par le Génie, nous commençons à creuser des trous pour nous enterrer.
Malheureusement la terre, recouverte de neige, est gelée et nous devons renoncer ; nous décidons de nous mettre à l’abri d’une maison, à proximité, laissant seulement un poste avancé que nous relevons toutes les heures, sans négliger de multiplier les patrouilles de nuit, malgré la neige et le froid glacial (-21°C).
Trois jours se sont passés lorsqu’on annonce le départ pour établir une tête de pont afin que le Génie puisse jeter un pont sur la rivière.
Dix heures du matin, sous un ciel toujours très couvert et dans la neige, nous partons.
Vers 13 heures, nous atteignons un petit village, complètement détruit. C’est l’heure du casse-croûte. Puis le Capitaine MATTEI nous fait servir de l’alcool, du ratafia paraît-il.
Tous n’en boivent pas, surtout les jeunes, mais les Anciens ne refusent pas leur ration. C’est aussi le moment de faire davantage connaissance avec les renforts récemment arrivés pour compenser les pertes subies : 33 ukrainiens et des jeunes venus du nord de la France nous ont rejoints.
Puis c’est à nouveau le départ, la progression est lente et difficile dans la neige, les glissades sont nombreuses mais avec les encouragements du lieutenant POIREL, surnommé Buffalo Bill, même les plus âgés, comme celui que nous appelions le Breton et qui avait du mal à marcher, atteignent la rivière. Il est même le premier à la traverser ; malheureusement, les Allemands ouvrent le feu et il est touché mortellement.
Quant à moi, je me trouve en compagnie du Sergent BLANC, que j’avais connu à Bizerte. Il était revenu dans la compagnie depuis un mois et avait été blessé dans les Vosges.
Nous réussissons à traverser la rivière à demi-gelée mais nous sommes complètement à découvert et nous nous demandons si nous parviendrons de l’autre côté, jusqu’au village où se trouvait l’ennemi d’autant plus que l’artillerie, les mitrailleuses allemandes crépitent et que les cris habituels : Brancardier ! je suis blessé ! se font entendre. Finalement, la capitaine nous donne l’ordre de rejoindre les tranchées.
Les Allemands avaient cessé le feu, laissant les brancardiers faire leur travail. Le Sergent BLANC est blessé ; je lui enlève sa capote et découpe ses vêtements, à l’aide de son couteau jusqu’à la peau : son épaule gauche est criblée de petits éclats d’obus : j’applique alors un pansement sur la blessure. Abandonnant ses affaires, il se relève et repart en direction du poste de secours.
C’est à moi alors de reprendre le commandement de la Section (je ne reverrai le Sergent BLANC qu’en mai 1945, à Crouy-sur-Ourcq, en Seine et Marne).
Le Capitaine nous donne l’ordre d’attaquer à nouveau à côté du pont que le Génie est en train de construire : c’est le Génie aussi qui nous fournira les bateaux. A cet endroit, la rivière est plus large mais pas gelée.
Sans perdre de temps, nous nous préparons ; le feu des Allemands a cessé ; je demande alors à MARIANI de nous couvrir avec le fusil mitrailleur. Nous arrivons à la rivière. MARIANI vide son chargeur, le temps de regarder et malheureusement il reçoit une balle en pleine tête.
Lors de l’attaque de l’auberge du Ballon d’Alsace, MARIANI, avec un groupe de huit légionnaires, était parti au-devant du camion de ravitaillement de la Compagnie. A peine s’étaient-ils éloignés que les mitrailleuses allemandes étaient entrées en action : nous avions compris. Dix minutes plus tard, MARIANI était revenu, tout tremblant : il était venu vers moi et, en me tapant sur l’épaule, m’avait dit : Pelloni, s’il m’arrive quelque chose, va dire à ma mère, 48, rue Fesch à Ajaccio, comment je suis mort. Seuls cinq légionnaires sur huit étaient revenus ; en outre, les trois du camion avaient disparu et un officier des fusiliers marins a également été tué ; seul le chauffeur de la jeep est arrivé à l’Auberge du Ballon.
Lorsque nous arrivons à la rivière, toujours pas de bateaux ; le Capitaine nous donne l’ordre de la traverser en courant et de nous mettre à l’abri, de l’autre côté, à gauche du pont. La fusillade a repris. Nous n’avons même pas le temps de sentir le froid de l’eau qui nous arrive aux mollets que déjà nous sommes de l’autre côté, en position défensive. Mon ami MORENO (de Bezu le Guéry, dans l’Aisne) me dit : Si on passe la nuit ici, demain on aura les pieds gelés et nous sentions déjà des glaçons dans nos souliers. Quant au vin dans les bidons, il était à demi gelé.
La nuit commence à tomber lorsqu’arrive l’ordre de se préparer pour la relève : c’est la 2e compagnie de légion qui va nous remplacer, nous retournons à l’arrière.
Empruntant le pont, ou plutôt la poutrelle que le Génie à installé, nous retrouvons l’endroit du départ et le Capitaine nous annonce qu’il a trouvé une grange avec du foin : nous allons enfin pouvoir enlever nos chaussures (ce qui, d’habitude, était interdit, car les pieds enflaient et nous ne pouvions les remettre).
Le lendemain, dès 5 heures, nous sommes debout, prêts à relever la 2e Compagnie : les gars ne doivent pas avoir chaud ! il n’y a pas de temps à perdre, même si les chaussettes ne sont pas encore sèches. Nous repassons le pont et là j’aperçois sur le sol des casques, des sacs abandonnés. Le jour n’est pas encore levé et dans la demi-obscurité, j’entrevois mon copain JOSEPH (radio du lieutenant de la 2e Compagnie), je l’avais connu à Maison Carrée, à 12 km d’Alger ; il était de Picco Viaggia, un petit hameau près de Porto Vecchio. Il m’explique que s’il est encore vivant, c’est grâce au lieutenant avec lequel il était sous les piles du pont.
Nous reprenons les positions défensives puis vers 9 heures, le capitaine donne l’ordre de rentrer au village, à 50 mètres. Le front était calme mais dans le village, les maisons étaient détruites.
Suivant les ordres du Capitaine, je me mets en poste au premier étage, à gauche, dans une des maisons ; MORENO en fait de même de l’autre côté de la fenêtre.
Soudain les obus commencent à tomber de toutes parts, l’un explose dans la pièce où je suis : le bruit, la poussière nous abasourdissent. MORENO se met à crier : Pelloni, ça va ! Pelloni, ça va ! ! Le temps de me remettre et je l’entends à nouveau crier : Le Capitaine est mort, un obus l’a décapité, à 50 mètres de là !
Finalement, nous n’étions plus qu’une dizaine et la 2e Compagnie du 1e Bataillon prendra la relève.
Paul PELLONI, 13 DBLE
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