*Journée du mercredi 22 novembre 1944
Vers sept heures et demie, le BM 5 et le BM 24 se sont introduit dans Giromagny venant de Lepuix-Gy par la montagne. La compagnie du Capitaine Janneret du BM 5, descend en file indienne, rasant les murs des maisons, pour atteindre en premier lieu l’esplanade qui se trouve devant l’église, puis très rapidement ses éléments avancés atteignent l’Hôtel de Ville. Un peu plus bas, ils constatent que les artificiers allemands ont eu le temps de faire sauter le pont sur la Savoureuse. Les habitants nous disent que ce n’est que la veille que le pont a sauté. Les fantassins n’ont rencontré que des rues vides et encombrées de tuiles, de briques et de déchets de bois provenant de porte arrachées, de charpentes défoncées et de hangars exploses. C’est le résultat des bombardements, mais surtout de la destruction des ponts par les Allemands.
A la même heure, les chars légers de reconnaissance des Fusiliers-Marins suivis par les « Tank Destroyer » du 8e Chasseurs d’Afrique, s’ébranlent pour poursuivre leur attaque. Nous avons quitté la ferme dans laquelle nous avons passé la nuit. Installés sur la plateforme arrière des « light » et en parti dans la tourelle des « Tank Destroyer », nous inspectons du regard tous les lieux qui peuvent nous réserver de mauvaises surprises. A ce moment, seule notre mission nous préoccupe. Les souvenirs seront pour plus tard. Pour l’instant » Charvier » n’occupe plus mes pensées.
A un moment, en descendant vers l’entrée de Giromagny nous voyons sur notre gauche un char allemand détruit. Est-ce un Tigre ou un Panther ? Nous n’avons pas assez de connaissances en matière de matériel allemand pour faire la différence. Il a brûlé.
Décidément, l’ennemi est coriace ; il a profité de la nuit pour accroître et renforcer terriblement les obstacles devant la Division. Le commandement envisage de passer par les prés, mais il est impossible d’y pénétrer sans s’embourber. Cette voie est impraticable. Il faut attendre que le génie ait déblayé tout ce qui peut entraver notre avance. (…)
Enfin vers les neuf heures, nous débouchons à l’entrée de Giromagny . Cela fait déjà plus d’une heure et demie que le BM 5 est entré sans combattre par le Nord de la ville et que le BM 24 est installé au Sud de cette dernière. Si nous n’entendons plus aucun coup de feu, par contre, la population en liesse fait exploser sa joie. Elle entoure les chars. Très excitée, elle questionne et s’accroche à ses libérateurs dans un élan quasiment amoureux. L’enthousiasme est à son comble et la mirabelle circule de main en main parmi les soldats libérateurs de la Division et les libérés. Personnellement, je n’ai encore jamais bu d’alcool et je n’ai pas l’intention de commencer aujourd’hui.
Comme le dit si bien le Second-Maitre Marcel Guaffi :
Nous avions deux carburants pour atteindre le Rhin, les gallons d’essence et les bouteilles de mirabelle que nous absorbions allègrement durant les arrêts dans les villages’ que nous traversions.
Pendant plus d’une demi-heure sinon plus, nous avons suivi les ordres qui nous avaient été donnés de nous installer en bouchons sur la route de Belfort . Puis, vers les dix heures trente, nous recevons l’ordre de poursuivre vers Rougegoutte . Le pont principal étant détruit, certains chars remontent jusqu’à une usine où les artificiers allemands n’ont pas eu le temps ou ne savaient pas que cette passerelle existée. Toujours est-il qu’elle est restée intacte, ce qui a permis à ceux-ci de traverser la rivière sans difficulté. Si cette passerelle autorise le passage des chars légers, il n’en est pas de même pour le gros « Tank-Destroyer ». Ils sont obligés de traverser la Savoureuse à gué. Heureusement, le lit de la rivière repose sur un fond parsemé de petits galets qui supporte aisément les blindés. L’eau est haute et atteint la moitié des barbotins, mais nous passons sans peine.
Au lieu de poursuivre directement en direction de Rougegoutte par la D12, deux chars légers et deux half-tracks bifurquent et se dirigent vers le village de Vescemont, au carrefour qui se situe immédiatement à la sortie de Giromagny.
Que dit l’historien François Liebelin sur le combat qui a eu lieu à l’Est du Village de Vescemont.
Deux chars légers du peloton Lucas du 1e RFM s’avancent à la lisière Est du village (Vescemont) et entre en contact avec l’ennemi retranché dans un réseau de tranchées. Deux hommes du 2e peloton du 2e escadron du 11e Cuir sont tués.
Ce compte-rendu est trop succinct à mes yeux pour décrire l’une des pages les plus sombres de notre peloton et leurs circonstances exactes – ou les plus proches de la vérité – de cet accrochage.
N’ayant pas été présent sur l’un de ces chars, je me suis attaché aux témoignages de rescapés encore en vie en 1997. Ils m’ont précisé qu’ils étaient tombés dans une véritable embuscade tendue par les éléments retardateurs de l’ennemi. C’est par la population civile française que les Allemands avaient fait creuser un réseau de tranchées, parallèles à la colline boisée se situant au Nord-Est du village et permettant d’avoir une visibilité parfaite sur l’ensemble de ce dernier se trouvant en contrebas.
En fait, ces deux chars, pour cette action, étaient commandés par le Capitaine de vaisseau Coelenbier qui devait remplacer (sans doute) l’ E/V Lucas. Ce remplacement au pied levé, n’était pas le seul. Voici ce qu’en dit monsieur Yves Le Bras (énoncer Le Brasse), qui a été très sérieusement blessé lors de cet engagement.
L’équipage comprenait un nouveau chef de char, le Capitaine de Vaisseau Coelenbier – qui vit actuellement à Toulon – moi-même, chauffeur ; un aide-chauffeur, sans doute du 11e Cuir, remplaçant le titulaire évacué et un canonnier nouvellement arrivé dans l’escadron. Mes équipiers étaient donc tous des nouveaux dans le métier, y compris le chef de char qui venait d’un autre escadron.
Donc si le char du Quartier Maître Marcel Guaffi (qui participait à la même opération) ; avait son équipage habituel, celui de l’officier qui dirigeait l’action était composé de personnel de bric et de broc, avec les moyens du bord. Il m’a été dit durant cette attaque, à un moment donné de la journée que le cavalier Belin dit « Patard » – qui était fort handicapé du fait de sa blessure au genou reçue dans le maquis du Vercors – avait pris la place d’un aide-chauffeur dans l’un des chars des Fusiliers-Marins. A l’époque, je trouvais qu’il avait beaucoup de chance, car notre but à tous était d’intégrer une unité de chars au combat. Pour moi, il n’y a aucun doute que c’était lui qui était devenu provisoirement (?) Fusilier-Marin de la 1e DFL.
Par la suite, j’ai eu un entretien téléphonique avec monsieur Yves Le Bras , il a eu la gentillesse de me préciser que le canonnier, qu’ils avaient « touché », était un Alsacien, cuisinier de son état, qui désirait rentrer dans son Alsace natale en combattant. Le malheur c’est qu’il n’avait aucune formation préalable à ce poste. Au cours du combat, il a reçu l’ordre du Capitaine de tourner la tourelle vers la gauche, pour pointer le canon de 37mm en direction du système de tranchées ennemi. En exécutant cet ordre, il empêchait du même coup l’ouverture de l’écoutille du Chauffeur, me bloquant à mon poste de pilotage.
Mais revenons à la lecture de la lettre de monsieur Yves Le Bras, elle est très instructive :
Au matin du 22, nous avons progressé sans difficulté jusqu’au village de Vescemont .
J’ai arrêté mon char à l’abri d’une maison en attendant que les renforts arrivent car nous avions effectué une progression relativement importante et il ne fallait pas nous laisser couper de l’arrière.
Les Soutiens Portés que nous avions sur nos chars, donc des gars de chez vous (11e Cuirassiers), ont pris position au-delà d’une route goudronnée à une dizaine de mètres devant nos chars, et c’est là qu’ils ont été « allumés » par des Snipers. Coelenbier et l’officier qui commandait aux 11e Cuirassiers s’apercevant qu’il y avait des blessés, sont venus demander des couvertures à la personne qui habitait la maison devant laquelle nous nous trouvions, pour aller les récupérer. C’est à ce moment que je suis intervenu et leur ai indiqué que s’il fallait réaliser le sauvetage, il fallait y aller avec le char.
D’après ce passage de la lettre de Le Bras, on comprend mieux ce qui s’est passé. La première phase de l’action est classique. Conformément aux ordres reçus au début de l’attaque (à Ronchamp), les chefs de chars responsables de leur blindé devaient utiliser les Soutiens-Portés à leur convenance.
Notre rôle, notre mission consistait à la protection rapprochée du char sur lequel nous étions affectés ; en cela Luc Devillon et Paul Frécon dit « La Môme » n’ont fait qu’appliquer les ordres permanents qu’ils avaient reçus. Vient se rajouter à cela une amitié, une cohésion grandissante entre l’équipage du char et les Cuirassiers, qui soudait de plus en plus cet ensemble d’hommes à un seul commandement, celui du chef de char.
Une très réelle sympathie était née entre FFL et FFI.
Cette mission des Soutiens Portés du 11e Cuirassiers est confirmée dans l’article de monsieur Elie Rossetti qu’il a fait publier dans la revue « La Vôge », déjà citée, de mars 1996 à la page 48 :
…. .Quand on fonçait, nous étions sur le char, dès que ça tirait, nous passions devant pour le protéger des grenades (dangereuses pour la tourelle ouverte.) ou des bazookas…
Ainsi, Luc Devillon et Paul Frécon se sont portés à l’avant de leur char et cela à quelques dizaines de mètres en traversant la route goudronnée afin d’assurer leur mission. Des Snipers embusqués dans le système de tranchées, ont fait feu à une centaine de mètres. Nos deux Cuirassiers tombent grièvement blessés, Luc Devillon à la tête et Paul Frécon au haut de la cuisse droite.
Au même instant, Georges Torchin dit « OFI » et Léon Leroy, embusqués derrière un « fenestrou » de la ferme derrière laquelle se trouvait le char de Le Bras , la dernière du village, observaient ce qui se passait. Avec le fusil mitrailleur (FM) mis en batterie, ils étaient en mesure de couvrir leurs camarades. Voici ce qu »’OFI » écrit dans le petit carnet de « Ben-Hur » :
…..Nettoyage, les « Chleuls » se sont repliés sur la forêt de Rougegoutte. « FM », « OFI, Leroy, face à tranchées « Boches ». Apparitions « Fridolines ». « FM » s’enraye. Deux « Chleuls » sortent en courant ; font deux cents mètres, puis reviennent en courant encore, disparaissent dans le bois. « FM » fonctionne trop tard. Croyant qu’ils viennent se rendre, « La Môme » et Luc Devillon vont à leur rencontre….
Un éclairage complémentaire est donné par ce fameux carnet de route. « OFI » et Leroy avaient la possibilité de surplomber la scène du drame. Ils étaient en position pour voir très correctement l’action. Qu’ont-ils vu ? Deux Allemands qui couraient vers les lignes françaises en direction de Luc Devillon et de Paul Frécon . Ceux-ci avançaient afin d’éclairer et de protéger le blindé dont ils étaient responsables vis à vis du chef de char. Vraisemblablement, nos deux Cuirassiers voyant arriver vers eux deux Allemands sans armes, ont dû supposer qu’ils venaient se rendre. Ils n’ont pas tiré sur eux pour les abattre et c’est à ce moment qu’ils ont été blessés grièvement par deux tireurs d’élites allemands cachés dans l’une des tranchées.
Dans ce récit écrit le lendemain des faits, l’indication VONT SUR ORDRE, a déclenché une sourde polémique. Tout naturellement certains camarades de combat attribueront la paternité de cet ordre à l’Aspirant « Ben-Hur » ; n’était-il pas celui qui, à terre, commandait les cavaliers du 2e peloton du 2e escadron du 11e Cuirassiers ?
Personnellement, je n’en suis pas convaincu, car les témoignages que j’ai recueillis par la suite, de combattants ayant participés à l’accrochage, ne font aucune mention d’un pareil ordre. Ceux à qui j’ai demandé de préciser pourquoi ils étaient sûrs que l’ordre a été donné par l’Aspirant, ont été très évasifs.
Le premier acte de la tragédie de cette funeste journée se termine ; le second va être tout aussi meurtrier – Il s’agit du sauvetage des deux blessés.
Redonnons la parole à Monsieur Le Bras :
….. J’ai traversé la route goudronnée. Je me suis mis de telle manière que le blessé ( Paul Frécon ) se trouvait protégé par le char et je suis sorti. Avec Coelenbier et le gradé de chez vous, nous avons mis le blessé derrière la tourelle. Votre camarade était blessé au haut de la cuisse et ma main était pleine de sang lorsque je l’ai soulevé…
Il semble bien que les secours aient été opérés en deux épisodes bien distincts :
Le premier pour ramener Paul Frécon jusqu’au char de l’endroit où il a été blessé, et ceci sous la mitraille très dense : Auguste Auger et Champenois (?) ; le deuxième épisode pour hisser le blessé sur le char : L/V Coelenbier ; « Ben-Hur » ; Belin dit « Patard » et Gatignol.
Durant cette première partie du sauvetage, seuls ces deux Cuirassiers se sont lancés au secours de leur camarade, bravant le feu nourri des Allemands. Ils se sont servis d’une couverture pour l’envelopper et le porter jusqu’au char. Là, pour les aider à le hisser derrière la la tourelle du « light ». Ils ont retrouvé l’ensemble du groupe de Soutiens-Portés et de l’équipage. Il fallait se sortir au plus vite de ce guêpier et ramener rapidement le blessé au poste de secours le plus proche.
Le témoignage de monsieur Auguste AUGER sur cet épisode est le suivant :
Il faut vraiment du cœur au ventre pour bondir dans la cour de la ferme poursuivis par le feu intense de l’ennemi. Les balles ricochaient avec un miaulement caractéristique qu’ils avaient déjà connu auparavant ; Ils sentaient plus qu’ils ne voyaient les pierres volaient sous l’impact des balles et projetaient sable, terre et cailloux sur leurs talons. Ils avaient l’impression désagréable que leur vie ne tenait qu’à un fil, mais dans l’action, ils dépassaient leur peur.
Haletants, après avoir traversé la route goudronnée, ils ont poursuivi leur sprint sur le chemin de terre jusqu’à la position où se trouvait Paul Frécon . Arrivés à la hauteur du corps allongé de ce dernier, ils constatent qu’il est en vie. Il est très salement touché. Une tâche de sang s’agrandit sur la jambe droite de son treillis, au niveau de la cuisse droite. Un amalgame de tissus, de peau et de chair est dilué dans un sang abondant. On a l’impression que l’os est broyé. C’est affreux ! Chaque mouvement lui arrache un hurlement de douleur malgré sa volonté. Il serre les dents, mais n’y peut rien. A deux, ils essayent de le déplacer vers le fossé pour l’abriter des tireurs ennemis ; ses hurlements redoublent et il les supplie de le laisser sur place.
Sur les indications de « La Môme », Auguste Auger sort un flacon d’alcool de menthe de la poche de sa veste de treillis du blessé. Celui-ci le conservait en permanence sur lui en cas où il en aurait besoin. Auger lui en fait avaler une gorgée. Soit celle-ci était trop abondante, soit l’alcool était trop fort, ou encore, Frécon n’avait plus assez de force pour combattre la douleur, le fait est que ce dernier a failli s’étouffer.. Après avoir repris ses esprits, il désigne du doigt l’endroit du verger où devrait se trouver, invisible, le corps de Luc Devillon .
Mais revenons à la lecture du compte-rendu de campagne de novembre-décembre 1944 du 2ème peloton, rédigé par « OFI » qui faisait office de correspondant de guerre. Il a écrit dans le petit carnet noir de « Ben-Hur » ce qui suit :
Aspirant, « Patard », Auger, réussissent à ramener « La Môme » sur le « 131 ». Hélas, « 36 » se fait tuer de deux balles dans la poitrine en cherchant Devillon ainsi que Calandry , foudroyé à son FM. Sève et Pierre Lecomte blessés. Luc Devillon est achevé par de nouvelles balles. Morts et blessés sont ramenés sur le « 132 », protégé par un Scout-Car.
Dans son livre « A bras le coeur », Roger Barberot relate cette action à la page 228. Il dit ceci :
Mais ces garçons qui viennent du Vercors, ont tellement envie de montrer qu’ils sont à la hauteur de leurs aînés, ils ont tant de confiance en nous (les Fusiliers-Marins) qu’ils baignent dans un climat d’héroïsme inconscient.
Une autre section (il veut parler de peloton) recommence ce jour même en accompagnant des chars qui ont essayé, sans succès, de passer dans les champs à demi inondés qui bordent la route.
Un chef de char qui était hors de la tourelle est blessé ; deux de leurs hommes sont tués. Ils s’acharnent à ramener tout le monde et se font encore blesser plusieurs hommes pour ramener tous les leurs.
Magnifiques et sublimes Marie-Louise du Gaullisme. Ils ont tous vingt ans à peine et sont éperdus de gloire et d’héroïsme.
Au cours d’une réunion de chefs de corps de la Division quelques jours plus tard, je dirai : « Le 11e Cuirassiers est l’infanterie la meilleure et la plus agressive que j’ai employée . »
Ainsi, il y avait un autre peloton que le 2e de l’escadron Jury qui avait eu, lui aussi, un accrochage dramatique avec les éléments retardateurs allemands. En recherchant des documents sur cette tragédie, j’ai découvert le nom de l’Aspirant dans le peloton duquel il y a eu des morts et des blessés dans cette rencontre.
En fait, le commandant Barberot est directement mêlé à cette action, puisque c’est lui qui a ordonné la patrouille dirigée par l’Aspirant en question. Cette patrouille devait le renseigner
Il s’agit du peloton de l’ Aspirant Pierre Durand . Il a emmené ses hommes en reconnaissance jusqu’au fossé. Pour se faire, ils ont dû traverser un glacis sans aucune protection. Ils se sont trouvés pris sous le feu croisé d’armes automatiques balayant les abords du fossé antichars. Il a eu deux morts et quatre blessés en exécutant la mission que le Commandant Barberot lui avait confiée.
Pour cette action et pour une autre précédente, Pierre Durand s’est vu décerner la Médaille Militaire. Je me suis appliqué à rechercher et j’ai retrouvé le décret d’application. Il est daté du 3 mars 1945 portant attribution de sa Médaille Militaire qui est paru au J.O. du 18 mars 1945 en page C273.
Ce décret est libellé comme suit :
DURAND (Pierre), Aspirant du 11e Cuirassiers : Chef de peloton ayant la plus haute conception du devoir militaire. Brave et réfléchi, son peloton étant Soutien-Porté sur chars légers du 1e Régiment de Fusiliers-Marins, a brillamment coopéré à la prise de Rougegoutte , le 22 novembre 1944, occupant plusieurs points d’appui dans le village encore aux mains de l’ennemi, lui infligeant des pertes et faisant quelques prisonniers. A ensuite pris la tête d’une patrouille de reconnaissance effectuée vers un fossé antichar situé en rase campagne et placé sous le feu précis des armes automatiques ennemies. Malgré ses pertes, a tenu à accomplir sa mission et est revenu avec tous ses morts et blessés. Déjà cité une fois.
Quant à notre peloton, ce n’est pas deux, mais trois tués et trois blessés que nous avons a déplorer. Il y aura Devillon, Calandry et Thieulle dit « 36 » qui seront tués ; Frécon dit « La Môme », Sève et Pierre Lecomte qui seront blessés plus ou moins sérieusement.
Deux remarques sur le récit du Commandant Barberot :
Cet officier a apprécié les qualités et vertus des cavaliers du 2e escadron du 11e Régiment de Cuirassiers. Il admirait leur courage et leur mordant durant toute la durée de leur coopération avec son unité de Fusiliers-Marins qu’il avait l’honneur disait-il, de commander. Il a même souhaité que certains Cuirassiers rejoignent son régiment. Fidèle en amitié, il a demandé en 1989 à monsieur Jean-Pierre Chevènement l’homologation d’une citation à l’ordre de l’armée en faveur du 2e escadron, qu’il avait rédigée à l’issue de la campagne des Vosges et d’Alsace, celle-ci n’ayant pas abouti jusque là.
On s’aperçoit aussi qu’il n’a qu’une vague idée de celui qui, parmi les Fusiliers- Marins du « 131 », a été blessé. Ce n’est pas le chef de char, le L/V Coelenbier, mais Yves Le Bras, pilote de ce blindé qui a eu l’oeil droit arraché par une balle. Nous y reviendrons.
Il est aussi particulièrement intéressant de lire ce que le quartier-maître Marcel Guaffi a écrit sur son carnet de route immédiatement après l’accrochage :
…Progressons sur Rougegoutte . Les 88 pleuvent. Nombreux morts et blessés à l’entrée de Vessones. Gars du 11e Cuir essayant de faire quelques prisonniers est tué ou grièvement blessé. Le Lt Coelenbier essaie de le tirer sur le char ; Son chauffeur Yves Le Bras est blessé d’une balle dans l’oeil droit. Je vais pour les récupérer et marche devant le char ; le détachement du 11e Cuir derrière. Le sergent voulant me rejoindre est tué à côté de moi. Le porteur de FM ( Calandry ) aussi, de même que son ravitailleur…(feuille du carnet déchirée, impossible de lire)…ordres. Est blessé aux…touché gravement aux…à ramener morts et blessés, mais à quel prix. C’est un miracle que j’en suis revenu « intact » !
Ces différents récits nous permettent de constater plusieurs contradictions, mais ce que nous pouvons déjà affirmer, c’est qu’au début de l’opération, seuls deux chars « light » étaient présents sur les lieux : Le « 131 » et le « 132 ». Ils faisaient partie d’un élément de reconnaissance cherchant le contact avec l’ennemi.
Que dit le pilote Yves le Bras du « 131 ». Poursuivons la lecture de sa lettre du 16 avril 1997 :
J’ai repris mes leviers pour m’approcher du 2e blessé (on m’a dit plus tard qu’il était mort ; est-ce exact ? ). Coelenbier m’a interdit de sortir ; a donné l’ordre au canonnier d’orienter la tourelle vers les tireurs, ce qui m’obligeait à fermer mon panneau ; il a demandé à l’aide-chauffeur de sortir en laissant le panneau ouvert.
J’entendais des bruits de voix à l’extérieur. J’avais le sentiment que les sauveteurs avaient des problèmes. J’ai attendu un moment, puis j’ai crié par le panneau ouvert de l’aide-chauffeur que je me proposais de sortir. J’ai attendu, et n’ayant aucune réponse, je me suis mis debout et pendant que je faisais un rétablissement avec une main sur le panneau et l’autre sur le canon, j’ai ramassé une balle qui m’a brûlé le haut du nez, arraché « l’œil » gauche et cassé l’os de la tempe.
Nous sommes au second acte de la tragédie, la récupération des blessés. Celle-ci ne s’est pas bien passée, elle a été catastrophique pour les attaquants.
Le quartier maître Marcel Guaffi entraîne derrière lui l’escouade du Maréchal-des-Logis Thieulle dit 36 .
Acclamé et abreuvé par les citoyens libérés, il a beaucoup bu de mirabelle. Inconscient, il est survolté et semble survoler la situation. Il fait fi des balles qui ricochent autour de lui en miaulant.
Ici, j’emprunte un passage du manuscrit inédit de André Madeline dit « Calva « . Que dit-il sur cette action ?
…..Après avoir envoyé l’ensemble des hommes du groupe ; c’est à dire » Trente-Six », son tireur au « FM » Calandry, Sève, P.Lecomte et M.Gatignol, « Ben-Hur » , lui, grimpe dans le char « 132 », et, s’aidant du périscope, de l’intérieur de la tourelle, il essaie de tirer sur l’ennemi à l’aide de la mitrailleuse lourde 13,2 de DCA.
« Trente-Six » , en avant, se fait tuer de deux balles dans la poitrine ; Calandry est foudroyé à son « FM », Sève est blessé au pied droit et Pierre Lecomte est touché au nez. Sa blessure saigne abondamment sans présenter de gravité majeure.
Avant de poursuivre plus avant le récit de cet accrochage, penchons-nous un peu plus sur la configuration de cette fameuse tranchée qui a coûté si chère à notre peloton.
Creusée par les habitants de l’ensemble des villages environnants et par ceux de Vescemont, elle est située à la lisière Est de ce dernier sur une colline boisée. Elle a été exécutée derrière une carrière qui se trouve là, à quelques cent mètres de la ferme des Perrod. Située à mi-pente de la colline, elle permet aux combattants allemands d’avoir une vue panoramique exceptionnelle sur le village et particulièrement sur la grand’ rue qui monte vers la D24 en passant devant la mairie ; rue qu’emprunteront les éléments avancés de la 1e DFL.
Un bistrot se trouve au carrefour. Il a été aménagé en dortoir par les troupes d’occupation. Ce café servira de cantonnement aux Fusiliers-Marins et cuirassiers le soir venu. A l’intersection entre la Grand’rue et la D24 qui relie le hameau de Rosseront à Rougegoutte , les assaillants se trouvent à très courte distance et en face à la tranchée.
Nous sommes en novembre ; les arbres ont perdu leurs feuilles. La visibilité est parfaite à quelques endroits où l’on se trouve dans la tranchée et sur toute sa longueur. Profonde d’un mètre cinquante environ, il a été prévu des emplacements de tirs à intervalles réguliers. Cette dernière a été creusée en parallèle à la route allant à Rougegoutte du Lieudit « Le Paino » à « La Vierge ».
Pour atteindre cette position, les Allemands venant de Giromagny , devaient monter jusqu’à l’intersection en passant devant la mairie et le bistrot (maintenant transformé en maison d’habitation). Puis, prendre le petit chemin de terre donnant accès à la ferme des Perrod (aujourd’hui rasée) et traverser les prés en direction de la forêt de Rougegoutte .
Arrivés à proximité de la carrière, ils sont obligés de la contourner pour accéder à la tranchée.
Entre le bistrot et non loin de la ferme des Perrod, il y a un vieux hangar dans lequel les habitants de Vescemont et des environs ont l’habitude de distiller la mirabelle.
Ce 22 novembre, la famille Perrod voit passer devant leur cour des groupes de fantassins allemands et des éléments isolés. Ils semblent harassés, sales et à bout de force. Ils se dirigent à travers champs vers la carrière, la contournant afin de pénétrer dans les bois de Rougegoutte. Ils essaient de se soustraire à la vue des éléments français de reconnaissance en descendant dans la tranchée.
De leur côté, les deux « light » « 131 » et « 132 », après s’être arrêtés un moment devant la mairie, viennent se positionner derrière la ferme des Perrod, juste devant le hangar.
C’est en voulant exécuter leur mission de protection de leur blindé que Luc Devillon et Paul Frécon se sont avancés au-delà de la ferme dans les prés où ils ont été touchés par les tireurs d’élites allemands. Monsieur Perrod nous a fait part de sa certitude que les Snipers allemands utilisaient des fusils à lunettes (?). C’est aussi à ce moment que « OFI » et Leroy , de leur « fenestrou » de la ferme Perrod, ont aperçu les deux soldats allemands simulant le désir de se rendre.
On connaît la suite, tout est en place pour le second acte de cette effroyable journée.
Le Commandant Barberot est un combattant d’une armée régulière, il ne connaît pas ce qui était réservé aux FFI lorsque blessés, ils étaient capturés par les Nazis. Il ne peut comprendre ce que ces jeunes insoumis ont comme devise : On ne laisse jamais un camarade blessé sur le terrain.
D’autre part, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces Anciens des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), entraînés par une troupe aguerrie comme l’est le 1e Régiment de Fusiliers-Marins (1e RFM), veuillent prouver qu’ils sont aussi braves que leurs Anciens des Forces Françaises Libres (FFL).
De plus, de l’aveu même du Quartier-maître Marcel Guaffi, sa bravoure tenait plus de l’inconscience que de la raison ; et pour cause ! Il était devenu insensible à la peur du fait de la mirabelle. C’est quasiment miraculeux que certains sauveteurs soient indemnes après une pareille action. Je tiens à rappeler ici ce que le Commandant Barberot a écrit par la suite au sujet des Cuirassiers « qu’ils baignent dans un climat d’héroïsme absolument inconscient et ont un sentiment de supériorité et d’invulnérabilité ».
Donc, deux Cuirassiers se sont fait grièvement blessés. Ils sont à terre.
L’un, Devillon est tombé dans les prés ; l’autre, Frécon sur le chemin qui longe la ferme des Perrod. Ce sont tous les deux des Soutiens-Portés du « 131 », provisoirement commandé par le L/V Coelenbier. Il est environ 11 heures 30.
Deux autres Cuirassiers du même « light » vont se porter au secours des blessés ; il s’agit de Auguste Auger et un autre que je n’ai pas pu identifier. Ils ont la baraka et aucun d’eux ne sera touché malgré un feu intense qui les entoure. Le cavalier Auger en reviendra en loques, ses habits ont été hachés par les balles et il est couvert de sang ; cependant, il n’a aucune égratignure.
Il retrouvera dans son portefeuille, qu’il garde dans la poche gauche de son battle-dress, une balle déformée qui est venue mourir dedans sans le toucher, juste au niveau du coeur. Il l’a échappé belle ! Son apparence est effrayante.
Dans un premier temps, seul Paul Frécon a pu être ramené au char. Luc Devillon est toujours allongé inconscient dans le pré.
A l’arrivée au « light 131 », ils constatent qu’il y a foule autour du blindé. Ils sont revenus pour demander que le char vienne se placer entre le blessé restant dans le pré et les tireurs allemands afin d’installer celui-ci sur la plate-forme arrière du « 131 ».
« Ben-Hur » est là, il est accouru dès qu’on lui a signalé qu’il y avait un « grabuge » grave parmi les hommes de son peloton. Avec l’aide du L/V Coelenbier et du chauffeur Yves Le Bras , ils hissent le blessé sur le char, enveloppé dans une couverture.
La confirmation de ce que j’écris est donnée par le chauffeur Yves Le Bras qui écrit dans sa lettre du 16 avril : Votre camarade était blessé au haut de la cuisse et ma main était pleine de sang lorsque je l’ai soulevé.
Maintenant, il s’agit de secourir Luc Devillon, toujours étendu dans la prairie. Pour effectuer ce sauvetage, c’est une seconde escouade qui se lance vers le camarade blessé. Pendant qu’entraînée par l’infatigable Marcel Guaffi l’équipe s’avance, » Ben-Hur » monte dans la tourelle du char pour couvrir les secouristes à l’aide de la mitrailleuse lourde antiaérienne 13,2. Il se sert du périscope et seul son bras droit sort de la tourelle pour actionner la mitrailleuse. Il s’apercevra plus tard qu’une balle a troué la manche de son blouson.
Le groupe de secours est impressionnant, il est constitué d’un Fusilier-Marin, le Quartier-Maître Marcel Guaffi, chef de char, suivi du Maréchal des Logis Thieulle dit « Trente-Six « , de Calandry muni de son fusil-mitrailleur, de Pierre Lecomte , pourvoyeur du FM, Sève et Gatignol . Deux d’entre eux seront tués et deux autre blessés.
Curieusement, depuis quelques années, bien longtemps après les faits et souvent par des personnes qui n’ont pas participé à cet accrochage, une polémique est née : Il faut trouver un responsable à ce gâchis, celui qui a donné l’ordre de secourir le blessé. Cette polémique est bien réelle et malheureusement elle entretient un climat de rancoeur qui persiste dans le temps. Qui a donné l’ordre d’aller au-devant des Allemands qui paraissaient vouloir se rendre ? Qui a donné l’ordre d’aller chercher les morts et les blessés ?
A ces deux questions, les opinions divergent et on ne saura jamais l’exacte vérité. Du reste, est-ce nécessaire après coup ? Cela fera-t-il revenir à la vie nos malheureux camarades de combat ?
La fin de la lettre de monsieur Yves Le Bras donne, sans doute, une réponse convenable à l’une de ces deux questions :
Etait-ce à nous d’aller récupérer les blessés ou devions-nous attendre le renfort de l’arrière ? Je n’ai pas de réponse. Il est vrai que dans le feu de l’action, on agit souvent d’avantage par reflexe que par raisonnement.
Sage, très sage conclusion que cette remarque ; on sent l’homme qui a longuement réfléchi, qui a analysé sérieusement les conséquences de cet événement.
Un autre témoignage, celui de Marcel Guaffi, semble donner confirmation de ce qu’avance Yves Le Bras tout en précisant son rôle.
Je vais pour les récupérer et marche devant le char. Le détachement du 11e derrière. Le Sergent, voulant me rejoindre, est tué à côté de moi ; le porteur de FM aussi, de même que son ravitailleur…
Ainsi le Quartier Maître Marcel Guaffi du 1e RFM semble s’attribuer le rôle d’entraîneur dans le sauvetage des blessés.
Ne peut-on penser, comme le dit Roger Barberot, que ces jeunes du 11e Cuirassiers étaient éperdus de gloire et d’héroïsme et n’auraient pas supporté que les Anciens FFL doutent de leur courage ? Ils voulaient absolument prouver qu’ils valaient ces derniers.
C’est donc ainsi que André Thieulle et Calandry se sont fait tuer par balle, en allant secourir Luc Devillon étendu dans un pré.
Le 2e peloton, du 2e escadron du 11e régiment de Cuirassiers, au soir de cette funeste journée, fait ses comptes :
- Trois tués : Devillon ; Thieulle et Calandry.
- Trois blessés : Frécon ; P. Lecomte et Sève.
Après plus de cinquante ans, des flashs reviennent en mémoire de ceux qui ont participé à ces instants douloureux. C’est ainsi que dans ces scènes brèves et instantanées de ce sauvetage, deux images resteront gravées à jamais dans la tête de Auguste Auger , l’intensité du regard de Calandry à l’instant de sa mort dans ses bras et le bras de « Ben-Hur » sortant de la tourelle du char, agrippé à la détente de la mitrailleuse.
D’après monsieur Jean Perrod, le fermier, Luc Devillon aurait été achevé lorsqu’il était sur le char (?). Placé allongé sur la plage arrière du « 131 », le blessé a été atteint par une seconde balle d’un Sniper, qui l’aurait achevé ; et de préciser : Il n’aurait pas fallu le placer derrière cette tourelle où il se trouvait trop exposé…
Tous les éléments de reconnaissance se sont regroupés soit devant la mairie, soit devant le café. Pour le moment la principale préoccupation, bien que le cœur n’y soit pas, c’est de se restaurer et de trouver un cantonnement pour passer la nuit prochaine.
En effet, comme Georges Torchin l’écrit dans le carnet de « Ben-Hur » : Prenons position tandis que la « Biff », arrivée, poursuit vers Rougegoutte…
Pour nous, le combat s’arrêtera là pour aujourd’hui. Monsieur Jean Perrod nous rappelle qu’à cet instant, les cloches de l’église de Giromagny ont sonné à toute volée la joie de la population enfin libérée.
Mais que dit le chef de char du « 131 », redonnons lui la parole :
Pansons nos plaies. Nous logions dans un café bien aménagé par les Fritz. Lits superposés et bonne (fille de salle) à qui j’essaye de faire du baratin. Elle pleure, devant regretter le départ de « l’ami Fritz » – Négatif !
Quant au L/V Coelendier ; il a très peu de souvenir de cet accrochage, uniquement un flash, une scène furtive et bienfaisante qu’il m’a décrite dans sa lettre du 4 mai 1997 :
C’est ainsi qu’avec un de mes compagnons de char, nous avons été accueillis par deux femmes qui nous ont fait tremper les pieds dans des bassines d’eau chaude ; des pieds qui n’avaient pas vu l’eau depuis plusieurs jours. C’est un souvenir dont la précision des détails m’est restée en mémoire, mais dont la localisation m’échappe totalement…
La nuit du 22 au 23 novembre 1944, décrit dans la sécheresse des mots dans le carnet de « Ben-Hur » a été exprimée par « OFI » en ces termes : « Nuit calme ».
Extrait du Chapitre Combats du 2e peloton du 2e escadron du 11e régiment de Cuirassiers pour la libération de l’Est de la France et plus particulièrement dans la trouée de Belfort suivant l’axe Ronchamp – Champagney – Plancher Bas – Giromagny – Rougemont le Château – Masevaux et Bourbach le Bas.
Source : Organisation de la 1e Division Française Libre pour accomplir sa mission dans l’attaque du 2e Corps d’Armée de la 1e Armée Française sur le Territoire deBelfort, du 19 au 31 novembre 1944 et sa percée victorieuse en Alsace – Position Des Cavaliers du 11e régiment de Cuirassiers dans cette attaque décisive par Gérard GALLAND, 11e Cuirassiers.
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