Au début du mois de novembre 1944 la 2e compagnie du BM 5 doit relever une compagnie de Légion étrangère sur la pente boisée d’un contrefort des Vosges dominant la vallée de PLANCHER-BAS.
Au cours de la reconnaissance préliminaire ,les Légionnaires se plaisent à dramatiser la situation : « la position est exposée aux vues de l’ennemi, il est impossible de faire le moindre feu, une arme automatique braquée sur la section la plus avancée tire sur tout ce qui bouge.. . »
Pour confirmer ces dires on nous montre au fond d’un ravin les cadavres d’une patrouille allemande repoussée par les légionnaires, il est heureux que le vent ne souffle pas dans notre direction… Aussi la relève se fait-elle de nuit sous une pluie glacée, dans le plus grand silence les sections remplacent les Légionnaires sur leurs emplacements ,tout se passe sans incident. A une heure avancée de la nuit je me couche épuisé sous une toile de tente que mon ordonnance a tendue entre deux arbres, et me réveille dans une véritable baignoire glacée. Le jour commençant à poindre je décide d’inspecter la position en commençant par la section Van Parys qui occupe le secteur le plus avancé ; j’avance avec précaution et soudain je découvre un spectacle inattendu : des couvertures sèchent sur les barbelés installés devant la position.
VAN PARYS m’accueille en riant : » les Légionnaires nous ont raconté des blagues il n’y a rien devant nous , d’ailleurs venez voir . Nous avançons sur la pente un peu méfiant car il y a des mines dont des fils couverts de gouttelettes d’eau sont visibles ,pas de traces d’emplacements de tir ,pas le moindre étui ; la pente est si raide qu’ à 100m de la position une arme à tir tendu serait inefficace.
A cette époque le BM 5 achève son « blanchiment » les tirailleurs saras qui ont supporté les rigueurs des campagnes de Libye, de Tunisie, d’Italie ,du sud de la France sont paralysés par le froid humide, ils nous quittent par petits groupes pour être remplacés par de jeunes français recrutés dans des maquis ; ces jeunes gens pleins d’ardeur et de courage mais peu entraînés à la discipline d’une unité régulière, il faut les instruire sur le tas en plein combat.
Le secteur est assez tranquille, de temps en temps l’artillerie allemande nous envoie quelques obus de 77/m mais leur tir n’est pas très précis ,de part et d’autre les patrouilles sont actives , les allemands ont adopté une tactique qui consiste à provoquer le tir de nos armes automatiques afin de repérer leur emplacement, ils tentent ensuite des coups de main pour les enlever ; j’ai donné pour consigne aux sections d’éviter les tirs et d’utiliser des grenades plus efficaces dans ce terrain.
Si notre position est située sur la pente face à l’ennemi nous jouissons par contre d’une vue excellente sur la vallée, un observatoire d’artillerie est venu s’installer dans le point d’appui , les mouvements de l’ennemi sont immédiatement sanctionnés par des tirs de 105m/m ; ce n’est pas toujours facile car les allemands sont installés au milieu de la population civile.
Nous disposons néanmoins de temps libre que nous utilisons pour aménager la position , chaque soir les mulets qui amènent notre ravitaillement nous apportent des outils de terrassement ,des planches du papier goudronné ,du fil de fer, nous creusons des abris que nous recouvrons de rondins prélevés sur une coupe de bois voisine, nous les lions avec du fil de fer les recouvrons de papier goudronné, de branches, de terre, et malgré nos efforts l’eau pénètre dans les abris, elle suinte le long des racines ,détrempant vêtements et couvertures. J’ai réussi à dormi au sec en plaçant des planches sur des caisses à munitions : C’est la guerre de position avec son accompagnement. d’inconfort et de saleté, il est impossible de changer de linge et la crasse devient luisante sur les cols et poignets de nos chemises ,les chaussures posent le problème le plus ardu :les souliers américains sont poreux, nous avons essayé des sabots ; ils glissent sur la neige qui vient de faire son apparition ,enfin nous recevons des bottes de caoutchouc froides, mais étanches.
Je m’entends à merveille avec le capitaine LESCAN DU PLESSIX dont je suis l’adjoint, il me laisse le soin de m’occuper des questions militaires se réservant les problèmes d’administration et de ravitaillement. Il descend souvent à l’échelon ou l’adjudant SUSINI s’ingénie à améliorer notre sort : n’a t’il pas eu l’idée de nous préparer une soupe chaude placée dans des marmites norvégiennes ! hélas ces marmites ,trouvées je ne sais ou avaient des fuites et les mulets qui les transportaient sont arrivés couverts d’une couche de graisse, quant à la soupe il n’en restait guère.
Malgré nos conditions de vie ,le moral reste bon : un soir les mulets amènent quatre colis expédiés du Cameroun pour le capitaine LESCAN , tout joyeux il arrache la toile qui les entoure pour découvrir…du savon de Marseille, il a dû rester longtemps au fond d’un trou.
Mais toute la compagnie s’est esclaffée.
Le sergent-chef RIOU avait décoré les abords de son abri d’une magnifique croix de Lorraine faite de mousse sur fond de neige et cela faisait un bel effet. Comme il nous invitait LESCAN et moi à admirer son œuvre ,quelques obus allemands s’abattirent sur la position sans faire de victimes mais l’un d’eux éclata devant l’abri de RIOU ,, dispersant la croix de lorraine , »les salauds » dit RIOU « c’est elle qu’ils visaient »…
Nous sommes restés vingt jours dans ce site enchanteur, vingt jours sans nous laver, sans changer de linge, j’ai essayé de me raser en faisant mousser le savon avec de la neige : c’est une catastrophe’. Et pourtant pas un homme n’a eu le moindre rhume ,le moindre mal de gorge, c’est d’autant plus surprenant que les anciens de la compagnie étaient des coloniaux habitués à la chaleur du Cameroun et au soleil du désert…
Etranges ressources de la nature humaine.
Jean COQUIL
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