C’est à un Lyonnais, libéré par la division, que nous avons demandé le récit suivant. Ce Lyonnais n’est autre que M. Romuald Brosset, frère de notre général.
Les troupes allemandes refluent vers l’est ; elles ont subi dans la région de Valence un bombardement intensif qui les a partiellement désagrégées, et l’on voit passer des isolés qui rappellent l’époque douloureuse de 1940 où les nôtres, privés de commandement, se repliaient en désordre vers l’ouest.
Les éléments sont déchaînés : tempêtes de vent et de pluie qui contribuent à rendre plus navrant le spectacle de cette déroute ; le gris des uniformes ajoute encore une note lugubre.
Quelques rares unités se replient encore en bon ordre.
Malgré que l’on sache que cette vision de cauchemar est le présage de notre victoire, on a le cœur serré, en pensant à l’amoncellement de misères que représente une pareille retraite.
Ce défilé funèbre est ponctué régulièrement par un glas gigantesque et sinistre : à Lyon, les ponts sautent les uns après les autres et ils sont nombreux. Les explosions, qui font tout trembler à 10 kilomètres à la ronde se poursuivent encore toute la nuit. Les nouvelles les plus contradictoires se chuchotent, mais personne n’ose parler à haute voix par crainte de représailles auxquelles notre ennemi ne semble plus à même de penser. Son souhait : regagner rapidement la frontière à l’aide du cheval, du vélo ou même du triporteur qu’il a volé quelques mètres avant.
Les unités constituées qui étaient cantonnées dans les environs lèvent leur camp sous des torrents d’eau, puis on ne voit plus passer que des isolés.
Cela fait présager que demain le rideau se lèvera sur un autre spectacle ; on a peine à y croire, et pourtant certains le savent.
Des contacts ont été pris entre les unités F.F.I. et les troupes régulières qui remontent le Rhône à une allure vertigineuse.
Du haut de sa colline, la Vierge de Fourvière contemple avec tristesse la ville qu’elle a tou jours protégée, privée de ses ponts, mais elle ne ’abandonne pas.
Ce dimanche 3 septembre 1944 est vraiment jour béni, et du faubourg d’Oullins débouchent les premiers éléments de la fameuse D.F.L : les fusiliers marins.
Les boches tiennent encore les collines, dit-on, et les troupes hésitent à avancer, ne voulant pas donner dans un guet-apens.
Arrive le général, jeune et dynamique comme un chef de section, un Lyonnais bouillant (il y en a quelques-uns, paraît-il) qui n’admet pas qu’on hésite.
Il part avec sa Jeep, gravit les coteaux de Saint-Just et d’Écully, revient par Vaise et entraîne ses troupes vers le seul pont que l’ennemi n’ait pas pu démolir, grâce à un groupe de jeunes F.F.I. le pont de l’Homme-de-la-Roche (3 tonnes).
Qu’importe, la marge de sécurité permettra aux unités blindées de traverser la Saône pour pénétrer dans la presqu’île.
La foule en délire accompagne les troupes à l’Hôtel de Ville où les fusiliers marins s’installent avec leurs chars. Le général pénètre dans la maison commune, gravissant le perron en voiture. Il y est accueilli par Justin Godard, Pinton et une poignée de résistants et il prend possession des lieux.
Alors paraissent aux fenêtres les drapeaux tricolores que chacun avait précieusement camouflés.
Les troupes sont entourées, acclamées ; les hommes de la D.F.L. se disent que depuis le débarquement ils n’ont jamais reçu un accueil aussi enthousiaste.
Quelques civils, armés jusqu’aux dents, se font place dans les rues encombrées ; ils portent des brassards que personne ne connaît ; ce sont les Résistants de Septembre qui veulent se faire remarquer.
Par moments des rafales de mitraillettes partent du haut des toits ; les civils armés répondent ; la fusillade augmente et la troupe commence à réagir. Mais des ordres arrivent ; des patrouilles organisées fouillent les immeubles, inspectent les toitures, procèdent à quelques arrestations, et le calme revient. De temps à autre cependant, un chargeur se vide mais ne trouve plus d’écho. Trois hommes de la D.F.L. sont néanmoins tombés sous les balles fratricides.
Il est difficile de coordonner l’action de troupes comme la D.F.L et les innombrables maquis des environs qui se sont rassemblés à Lyon. Il faut la poigne d’un Brosset pour imposer une discipline commune et une ordonnance très énergique est affichée dans toutes les rues, rappelant à chacun son rôle et son devoir.
Il s’agit maintenant de réorganiser la ville, coupée en tronçons par ses fleuves sans ponts.
Une passerelle de campagne est jetée sur le Rhône entre deux arches du pont Wilson. C’est plus que rudimentaire mais cela permet une liaison larvée avec la préfecture où siège Yves Farge, commissaire de la République.
Des lignes téléphoniques de campagne sont tirées qui relient les ponts vitaux de la cité, et, petit à petit, la vie s’organise.
Mais la D.F.L. n’est pas une troupe d’occupation ; elle passera à Lyon moins d’une semaine puisqu’arrivée le dimanche elle repart le jeudi pour bousculer l’ennemi qui semble raidir ses positions autour d’Autun.
Trois jours après son arrivée à Lyon, la D.F.L. offre à la population, place Bellecour, le spectacle d’une grande unité qui, arrivée à marches forcées, a su conserver son matériel en état pour un défilé impeccable et impressionnant dont les Lyonnais furent stupéfaits. Ils avaient perdu l’habitude de la grandeur ; quelques-uns en ont gardé le souvenir.
R-S. – Le général ne nous pardonnerait pas de relater la libération de Lyon sans évoquer celle de Rillieux, son petit village, où, quelques heures après son arrivée à Lyon, il a tenu à se rendre avec un petit groupe pour le libérer lui-même, embrasser sa mère et prouver à la population son attachement.
Revue de la France Libre n°79 18 juin 1955
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