Par notre camarade le Général Marcel LAFAURIE qui, en janvier 1945 commandant la 2e Compagnie du B.M. 21 assurait cette défense et qui a bien voulu, pour le Combattant de la DFL, interroger sa mémoire sur cette partie de la bataille d’Alsace qui mit un terme à l’avance allemande en direction de Strasbourg.
*LE PONT DE KRAFFT – Janvier 1945
Après la campagne d’Alsace à l’automne 1944, la 1e D.F.L. avait été envoyée dans le Sud-Ouest pour libérer la poche de Royan et ouvrir les accès du port de Bordeaux.
Notre séjour, dans cette région, y fût très bref.
L’offensive allemande dans les Ardennes avait fait subir de lourdes pertes aux grandes unités Alliées et le haut commandement décidait alors de faire relever la 2e D.B. qui défendait Strasbourg au Sud, par la 1e D.F.L
Au début de janvier, le B.M. 21, qui fait partie de la 4e Brigade, arrive en Alsace : glace, verglas, neige nous y attendent.
La 2e Compagnie du B.M. 21 est chargée de » chausser les bottes d’une unité de la 2e D.B. qui monte la garde autour du Pont de KRAFFT à moins de 20 kilomètres de Strasbourg.
KRAFFT est un petit village adossé au Canal du Rhône au Rhin et coupé en deux par un bras qui enserre en partie la moitié est.
Deux ponts existent, le plus petit permet de traverser le Canal en direction de l’ouest vers ERSTEIN où se situe le P.C. du B.M. 21. L’autre plus important enjambe le bras de l’Ill et ouvre l’accès vers le Sud, vers GERSTHEIM à 5 km de là et vers SELESTAT plus au Sud.
Vers le Nord, aucun obstacle naturel jusqu’à PLOBSHEIM et STRASBOURG
Vers l’Est, une tuilerie située à 300 m. au-delà du bras de décharge de l’Ill – nous l’occupons – puis la forêt inondée, marécageuse, impraticable aux blindés s’étend jusqu’au Rhin.
Le village ne comporte que quelques maisons en dur, beaucoup en briques, des hangars en torchis, l’ensemble couvert par des tuiles. L’eau affleure partout, pas de caves pour s’abriter.
La mission est de stopper tout avance ennemie vers le Nord et l’Ouest.
Bien que renforcée par une section de mitrailleuses lourdes de la CA une section de canons de 105 court de la CCI 4 et de 2 canons antichar de 57 l’un appartenant au B.M. 21 l’autre servi par des Fusiliers-Marins, la Compagnie ne se trouve pas bien solide : ayant épousé le dispositif imaginé par son prédécesseur de la 2e D.B. qui convenait à des éléments puissants et mobiles Les fantassins dispersés en petits groupes au Sud et à l’Est de KRAFFT se sentent bien en l’air.
Heureusement, le village de GERSTHEIM à 5 km au Sud est bien tenu. D’autres éléments de la Brigade et de la Division tiennent encore plus qu’au Sud. Nous sommes donc en 2e ligne, toute surprise pour la 2e Cie est ainsi évitée,
Au Nord, nous faisons tous les jours une liaison à PLOBSHEIM avec une Unité américaine.
Le Génie est venu miner les ponts de KRAFFT et un petit détachement est resté à ma disposition pour mettre en œuvre ces destructions le cas échéant.
Peu de jours après cette installation la liaison journalière avec PLOBSHEIM tombe dans le vide ! Que se passe-t-il ?
Le Commandant de Brigade le Colonel RAYNAL passe inspecter les défenses. Il me signale qu’une attaque Nord-Sud est attendue et me demande de concentrer mon dispositif pour interdire le franchissement du bras de l’Ill ; il me signale le retrait américain au Nord et son remplacement très prochain ; la garnison de GERSTHEIM sera également repliée à OSTHOUSE sur l’Ill. La défense de la 4e Brigade, dans le secteur du B.M. 21 est donc repliée derrière l’obstacle de l’Ill et de son bras de décharge.
Rapidement le dispositif de la 2e Compagnie est remanié. Je ne conserve au Sud du Pont qu’une sonnette chargée de nous alerter et de se replier au plus vite.
Nos anti-chars axés sur le pont et ses abords sont couverts par nos mitrailleuses lourdes et les canons de la C.C.I. peuvent tirer très près du Pont Une passerelle métallique qui franchit le bras de l’Ill le long du Canal et ne permet que le passage des piétons est défendue ; ses abords, ceux du pont et du bras de décharge sont minés.
Les fantassins de la 2e Compagnie, en plus de leur armement de dotation disposent d’armes automatiques allemandes récupérées lors des combats précédents ; elles sont bien approvisionnées en munitions..
On s’abrite au maximum, on se camoufle. Bref, tout le dispositif sur toutes les faces de la position est cohérent, le moral est bon, la défense doit tenir.
Il reste évident que le pont sur l’Ill doit sauter à temps. Le niveau des eaux a beaucoup monté tout le dispositif explosif est sous l’eau ; un courant important risque de le disloquer en partie. Le spécialiste du Génie prétend que c’est solide, d’ailleurs, on ne peut plus intervenir !…
Dès l’aube du 7 Janvier l’alerte générale est donnée. L’attaque venant du Sud est déclenchée. Tout le monde rejoint son poste de combat.
D’après les renseignements l’avance allemande semble plus rapide tue prévue. Nous voyons apparaître ambulances, véhicules militaires 4×4 et 6×6 près ses de franchir l’obstacle avant l’arrivée des colonnes allemandes. Le Batailllon nous signale que la 3e Compagnie du B.M. 21 a été « tatée » à OSTHOUSE.
Je pense à faire sauter le pont mais des véhicules arrivent encore du Sud, il faut les laisser passer. Une jeep arrive à vive allure, elle vient de se faire allumer.
A ce moment précis ma « sonnette » annonce l’arrivée d’une colonne blindée ennemie qui tire déjà sur les premières maisons. Le groupe se replie et j’ordonne de faire sauter le pont. Le premier blindé apparaît et tire sur une maison à côté du Pont. Riposte du 57 des fusiliers-marins qui tire deux coup et est détruit par un tir au but du char.
Le Pont saute avec un immense geyser. L’accueil de la colonne est somptueux de notre part : canons, mitrailleuses, P.M. sont en action. L’ennemi semble un peu surpris mais il réagit vivement, nous mitraille, nous bombarde, plusieurs maisons brûlent mais la défense tient bon.
Les minutes nous semblent longues. A la fin, l’accalmie arrive, la fumée se dissipe et nous observons que le Pont est bien endommagé mais non détruit complètement.
Nous profitons de la nuit qui tombe pour remettre de l’ordre : faire sauter les restes du pont avec des mines, évacuer morts et blessés graves.
Les observations de la fin de journée du 7 et celle des patrouilles de la nuit nous confirment qu’un char allemand continue à brûler. Nous nous demandons qui l’a allumé.
Nous saurons plus tard que deux coups de 57 ont bien accroché le blindage du Jagd Panther mais qu’en définitive c’est un obus explosif tiré par un canon de la CCI, tombé sur un panneau d’aération au-dessus du moteur qui avait mis le feu au char.
Toujours est-il que par la suite bien qu’harcelés sans arrêt aucune tentative sérieuse ne sera entreprise par les Allemands pour forcer le passage
Nous avons l’impression alors et bien que la bataille s’amplifie plus au Sud que nous avons bien gagné la première manche. L’ensemble de la garnison s’est comporté avec sang-froid et une telle détermination que l’Allemand n’a pas insisté.
Quelques années plus tard, affecté dans une garnison du Pays de Bade j’ai eu la curiosité de passer par KRAFFT en venant de Strasbourg.
Auprès du pont reconstruit j’ai eu la surprise d’y voir implanté un grand panneau signalant que..
ICI, la Brigade Alsace Lorraine avait en Janvier 1945, arrêté l’avance ennemie et sauvé STRASBOURG – !
J’en suis reparti pensif, en me remémorant tous ceux de la 2e Compagnie du B.M. 21 et de ses renforts qui avaient vécus ces moments tragiques autour du Pont de KRAFFT.
*M LAFAURIE – Janvier 1988
Cette journée du 7 Janvier fût, pour les Fusiliers-Marins du Cdt Pierre de MORSIER, très dure.
Embuscade sans résultat du 2ème escadron à DAUBENSANG – à 7 heures attaque de chars et d’infanterie ennemis : -« Tigres » – « Panther » – Autos-mitrailleuses, une vingtaine en tout, le long de la rive Ouest du Canal du Rhône au Rhin. L’attaque arrive à KRAFFT (12 km de profondeur) en « doigt de gant ».
Le Scout-car arrière de l’Enseigne de Vaisseau CHATEL (2e escadron) reçoit deux coups d’un « Panther » : deux blessés légers, l’équipage rallie nos lignes à pied. Un anti-char du 4e Escadron à KRAFFT détruit un char en 3 coup et lui-même est détruit par un « Panther » (2 tués – 2 blessés). Le 1e Escadron vient en appui d’infanterie à HERBSHEIM (peloton BOKANOWSKI) – OBENHEIM et BOOFZHEIM sont momentanément isolés du reste de la 4e Brigade
Les avant-postes de FRIESEMEIM – RHINAU – NEUNKIRCH – WITTERNHEIM sont évacués – 4 chars ennemis probables détruits.
PERTES du R.F.M. dans cette journée du 7 Janvier 1945 : 4 tués – 7 blessés.
Le Combattant de la 1e D.F.L. n°76 mars avril 1988
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