Ce récit inédit à ce jour a été transmis en 2006 à l’Amicale de la Division Française Libre par Monsieur Roger LEBON, frère de Yves LEBON, ancien de la D.F.L et camarade de Emmanuel GOUBIN.
Le début de cette aventure a commencé à Bir-Hakeim, ce nom qui, à l’époque, a fait battre d’espoir le cœur de bien des Français.
Après 15 jours de vie d’enfer, le 10 Juin 1942, dans la nuit, la sortie de vive force devait avoir lieu puisque nous étions encerclés et entourés de nos propres mines. Le Génie avait mission de déminer un passage de 100 mètres pour laisser passer la colonne des véhicules. Ordre nous fût donné de laisser toutes nos affaires sur place afin d’avoir le plus possible de place pour les hommes.
Dès que la nuit fut venue, l’ordre bien chronologué par le Général Koenig, les premiers éléments sortirent sans trop de difficultés, mais donnèrent ainsi l’éveil à l’ennemi.
Aussi, il n’en fut pas de même pour le reste et un camion contenant des munitions fut touché au moment de passer, il flamba aussitôt et des explosions s’en suivirent, Tout le reste de la colonne se trouva bloqué et nous arrosés de toute part par une pluie d’obus, de balles, faisant trop de victimes, hélas !
A un moment donné, Je tentai de passer : mourir pour mourir…,. Je pris le volant de mon pick up Ford, car mon chauffeur, un Indochinois, avait disparu depuis longtemps (il avait dû s’enterrer dans le sable, puisque je l’ai retrouvé le lendemain au nombre des prisonniers). Je me lançai donc, le pied à fond sur l’accélérateur. A peine 200 mètres plus loin, Je me sentis soulevé de terre et retombai brutalement : j’étais en plein champ de mines…
J’étais abasourdi, légèrement blessé au genou et au coude gauche. Je détruisis non pay book et mes papiers importants. Quant à mon véhicule, il était inutilisable. Je brisai encore le delco et la batterie, puis, prenant mon revolver, mon bidon, ma boussole, avec deux camarades qui se trouvaient à proximité, Je tentai de sortir à pied, afin de m’éloigner de ce lieu où les hurlements des blessés étaient affreux à entendre. Le désert était recouvert de brouillard ; la mitraille continuait son chant devenu familier.
Sans nous soucier, nous sommes allés de l’avant, Hélas ! par pour longtemps, car nous sommes tombés sur un nid de mitrailleuses et n’avons pas eu d’autre solution que de lever les bras : nous étions prisonniers !
Dès la pointe du jour, nous avons groupés et durant toute la matinée, nous avons vu arriver des colonnes qui avaient été rejointes par des patrouilles blindées. Je me disais » Personne ne s’est échappé, ceux qui ne sont pas morts sont prisonniers.
Heureusement ce n’était pas la réalité, nous étions 600 environ. Les tués étaient malheureusement plus nombreux.
Là commença notre calvaire : on nous fouilla. J’avais dans mon portefeuille 6 mois d’économie du désert ; je vis mes belles livres égyptiennes disparaître, ma montre, mon alliance ; je demandais à conserver une photo de ma femme, le boche me mit sa mitraillette sur le ventre en criant raoust . Puis, durant 4 jours, nous sommes restés parqués dans ce coin de désert torride, par une chaleur accablante, sans une goutte de liquide. Je suçai des cailloux, mon dentifrice, je léchais la rosée sur mon casque au matin, Je buvais mon urine. J’ai vu mourir 5 camarades qui, dans leur délire hurlaient Maman Tue moi, mais donne-moi à boire.
Un autre est devenu aveugle, la langue pendante, les lèvres baveuses, comme une bête enragée.
Je voyais devant mes yeux les petits ruisseaux de chez moi. Hantés par le besoin de liquide, nous aurions trouvé la mer à ce moment-là que nous aurions tous bu ; témoins ces 18 noirs qui trouvèrent un jerrican contenant de l’essence et burent, tous, naturellement, ont péri dans d’atroces souffrances.
Quand on nous a emmenés de cette position, nous avons découvert, dans un vieux fut de 200 litres une espèce de liquide, mélange d’eau stagnante et d’huile, sur lequel nous nous sommes précipités.
Il a fallu que les boches nous en arrachent à coups de crosse.
Arrivé à un point d’eau à Timini, je crois en avoir bu plus de 10 litres. Nous avons tous récolté la dysenterie. Nous avons été remis aux mains des Italiens, ceux-ci ont commencé par nous enlever nos chaussures. Durant 3 mois, nous avons marché sur les routes caillouteuses, sur les épines. A Benghazi, où nous avons été parqués, ce fut notre première étape où nous avions séjourné deux mois. La faim a fait son apparition, elle est aussi terrible que la soif. J’ai cueilli des dattes vertes, des figues de Barbarie. Tout ce mélange cuit dans une gamelle m’a donné l’impression de faire un bon repas. Mais les feuilles de figues et les dattes n’ont pas duré longtemps. Je vois encore, un soir, un de nos noirs grimper sur un dattier pour cueillir ce qui restait au soumet il fit une chute d’au moins 10 mètre, on le crut mort, mais il n’en était rien.
Nous en étions tous au même point et j’ai pu voir les deux commandants qui avaient été faits avec nous trier, comme nous, dans le sable, les quelques grains de riz tombés d’un camion de ravitaillement ?
Dormir, il n’en était pas question, car, dès que nous nous allongions à même le sable, une vraie cavalerie de puces nous envahissait. Nous étions rongés par toutes sortes de vermines et notre grande distraction était de concourir à celui qui tuerait le plus de poux.
Le 15 août 1942, à la tombée de la nuit, on nous a embarqués sur un cargo, le Nino Bixio, neuf, à cloisons étanches ; 8e traversée, à destination de l’Italie. Nous étions à 7 000, dont 400 français en fond de cale, les 200 noirs étant restés à Benghazi, pour travailler au port. Nous avions toujours l’espoir d’être arraisonnés par une escadre anglaise et délivrés.
Aussi, le 17, vers 16 h, quand nous avons senti une secousse, nos cœurs ont bondi de joie, d’espérance. Nous étions tous levés pour monter sur le pont lorsqu’une seconde secousse plus forte, nous rejeta du côté où le bateau avait penché. Une grande nappe d’eau vint nous arroser c’était un sous-marin anglais qui nous torpillait, la première torpille, dans les machines, stoppa le bateau. La deuxième, hélas, dans une cale plus loin que la nôtre, fit 400 victimes, réduites en une bouillie de chair de sang, avec l’eau.
Car le cargo était un croiseur léger, emblème de la Croix Rouge.
Personne ne pouvait monter sur le pont, pour aller aux wc qu’un seul à la fois, or nous étions entassés dans une cale, ne pouvant même pas nous allonger, vivant parmi nos résidus. Je vois encore la file permanente sur les échelles, ceux à en haut ne pouvant se retenir avec la dysenterie entérique arrosaient de leur délicieux parfum les camarades d’en bas.
Ce fut donc dans notre cale une panique générale. Tout le monde prit les échelles d’assaut.
J’arrivai sur le pont la main et le pied arrachés, pour voir mes camarades sauter à la mer, jeter un jeter un dessus de cale (assemblement de quelques planches) qui tomba sur un camarade en dessous, lequel disparut à jamais.
D’autres descendaient par les cordes. Une cinquantaine prit place dans une barque qu’on ne pouvait descendre ; l’un se servant d’un couteau de cuisine coupa une corde : tout le contenu de la barque fut lestement vidé à la mer.
L’équipage et notre escorte étaient composés d’Italiens, la D.C.A, d’Allemands.
Or, dès la première torpille, tous abandonnant armes et bagages sautèrent à la mer. Un officier allemand fut tué à son poste par une barque soulevée par la déflagration, transportée à 10 mètres de son attache, pour venir tomber sur ce poste. J’assistais mélancoliquement à ce spectacle.
Les avions nous survolaient, les Hindous hurlaient à la mort. Je voyais les navires d’escorte patrouiller avec les avions à la recherche du sous-marin. Ils passaient et repassaient sans aucun souci sur le flot d’êtres humains qui se débattait dans la mer. Je demandai conseil à un marin qui me répondit : A présent, c’est à la grâce de Dieu ; quelques instants plus tard, je l’apercevais se débattant comme une carpe dans le mazout qui recouvrait l’eau, puis disparaître à jamais.
Alors, réfléchissant, ne sachant pas bien nager et dans l’état physique où je me trouvais, je me décidai : périr pour périr, autant s’engouffrer avec le bateau. Avec un camarade, Je fumai donc celle je croyais être ma dernière cigarette, le film de ma vie se déroula devant mes yeux, et je me disais : c’est dommage de mourir dans de telles conditions.
Au bout d’un certain temps, le commandant du cargo et les officiers qui étaient restés là vinrent nous annoncer qu’après sondage par des scaphandriers, le cargo ne coulerait pas, que nous allions être remorqués par deux contre-torpilleurs jusqu’en Grèce d’om nous nous trouvions à 40 milles, que nous étions les maîtres à bord et que nous pouvions boire et manger ce qui nous faisait plaisir, mais ne pas saboter. Sitôt dit, sitôt fait : nous nous sommes précipités, vers la cambuse et les cuisines : champagne, vins fins, petits pois, pommes frites, saumon, fromage, lait, tout cela s’engouffrait dans un mélange inextricable, puis, bien rassasiés, nous avons entrepris la reconnaissance du navire, tout ce qui tomba sous nos mains, destruction des cabines, tout à la mer, car l’ennemi, après la catastrophe, réapparaissait pour une fois. En quinze mois, nous avons mangé à notre faim. Nombreux ont été les malades.
Une bonne nuit passée sur le pont et, le lendemain, nous avons aperçu la terre ? Nous sommes arrivés à Pilos, baie de Savarin. Là, nous avons eu une nouvelle garde venue de terre. On récupéra les restes des infortunés tués lors de l’explosion, pour les enterrer dans un cimetière : c’étaient des Anglais-néozélandais, Australiens. Quand nous avons fait l’appel, 160 des nôtres environ manquaient, qui sont restés à la mer. Je ne peux pas avoir une idée exacte, mais plus de la moitié du bateau avait certainement disparu. Là, nous avons eu une sérieuse surprise : un des nôtres, tombé du haut de l’échelle dans la cale (chute de 6 m. au moins) que l’on avait jugé mort, est revenu à la vie. Une nuit passée à bord, le temps de tout décharger et puis lorsque l’on s’est aperçu des destructions que nous avions opérées, cela alla plutôt mal. Les Hindous surtout en furent victimes, car, naïvement, ils avaient conservé sur eux des objets du bord. Nous, les Français, nous avons été félicités. Durant cette nuit, un de nos camarades s’est évadé en faisant à la nage les 300 m qui nous séparaient de la terre. II a été repris 15 Jours après.
Le lendemain, une caravane de camions est venue nous chercher et nous conduire à une gare pour prendre le train pour Patras.
Nous avons été embarqués dans des wagons à bestiaux entre une haie de baïonnettes et de fusils mitrailleurs, une vingtaine dans chaque wagon, cadenassés, avec sentinelles sur les vigies. L’idée d’une évasion me poursuivant, nous avons entrepris, un camarade et moi, d’enlever les planches du plancher ; désapprobation de certains autres.
Après bien des efforts, nous avons réussi. Notre plan était de nous glisser entre les rails, durant un arrêt ; hélas, sur ces wagons, il y avait des sortes de chasse-neige qui passaient à quelques cm des traverses. Nous avons réussi à découvrir un couteau anglais sauvé des fouilles puis, nous avons enlevé les 24 vis de la grille où pouvait passer le corps d’un homme. Voyant notre réussite d’autres voulaient fuir, nous ne voulions pas être trop nombreux. Le chiffre de 4 fut arrêté : le premier viendrait à la rencontre du 2e et la 4e, à la rencontre du 3e ; puis les groupes se réuniraient.
Le but était de remonter la Grèce, de passer en Turquie, puis en Syrie nos moyens consisteraient en une simple carte d’un almanach, sans argent ni vivres ; bref, après le tirage au sort, le premier disparaissait le vide, le train roulait à 40 ou 50 à l’heure. Puis ce fut mon tour. J’avoue que j’ai eu quelques secondes d’hésitation en voyant filer l’herbe et les buissons mais c’était mourir ou la liberté. J’ai plongé à mon tour puis glissé quelques mètres sur le ventre. J’ai attendu que le train soit passé, me suis relevé, tâté. A par quelques égratignures aux mains et à la figure j’étais indemne.
Je me préparais donc à attendre mon premier camarade lorsque, tout à coup, de grands coups de sifflets et une fusillade déchirèrent le calme de la nuit. Le troisième camarade, en sautant était tombé sur la tête et s’était évanoui ; quant au quatrième, il s’était fracturé une jambe en sautant et c’est lui qui, par ses cris, avait alerté nos gardiens. Je ne me suis plus occupé d’attendre et ai foncé dans la direction du premier qui lui aussi, venait à ma rencontre : il était indemne. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et avons pris la direction de la montage que nous distinguions dans la nuit. Nous avons couru de toutes nos forces, car les explosions de grenades et les coups de fusils dans les fourrés, nous étions persuadés que c’était pour nous, que nous étions poursuivis. Pour comble de frayeur, lorsque nous passions près d’une maison, les chiens se mettaient à aboyer et, dans la nuit, cela s’entendait trop bien. A un certain moment, nous nous sommes arrêtés pour manger des raisins verts puis, vers l’aube, exténués par une marche de 15 à 20 kms, nous nous sommes étendus sous un grand chêne. Alors qu’il faisait grand jour, mous avons été réveillés par le tintement des clochettes que portent les vaches au cou. Nous avons inspecté l’horizon, tout était calme.
Les Italiens, furieux, après nous avoir cherchés une partie de la nuit, continuèrent leur chemin. Ils étaient d’autant plus furieux qu’après notre départ du wagon des camarades avaient remis la grill, ils n’ont jamais pu comprendre comment nous étions sortis. Ils employèrent tous les moyens : un camarade fut sommé, le revolver sur le ventre, de parler ; celui qui avait la jambe fracturé recevait des coups de crosse sur cette jambe ; une vieille femme ayant voulu soigner le blessé, fut tuée sur le champ.
Le ventre creux, nous avons vu un village à peu de distance de nous. Nous l’avons évité, puis avons repris le chemin vers la montagne. En cours de route, nous avons rencontré un paysan qui nous a offert des cigarettes. Plus loin, d’autres paysans, au pied de la montagne qui travaillaient à faire sécher des raisins dits de Corinthe, nous ont fait manger des raisins et du pain.
Puis, à l’heure du déjeuner, ils nous ont emmenés avec eux au village aperçu le matin. Nous étions mis en confiance, bien que nous ne parlions pas le même langage et ne pouvions nous comprendre que par gestes. Nous les avions pris pour des alliés, mais les Italiens avaient signalé notre disparition dans tout le pays. Aussi, en, pleine restauration, nous avons vu apparaître deux policiers grecs ; je dis à mon camarade « Nous sommes flambés : il n’y croyait pas encore mais les policiers du monde entier, sont bien tous les mêmes : ils nous ont emmenés avec eux au poste, nous ont donné à boire et à manger, mais se sont opposés à ce que nous sortions. Nous avons passé la nuit chez eux et, le lendemain matin, une patrouille italienne est arrivée, commandée par un lieutenant hargneux et menaçant, menottes aux mains, enchainés, nous avons refait le chemin du retour.
Comme la route paraissait longue… ! Nous nous attendions à être fusillés, surtout lorsqu’on pleine campagne, sus un arbre nous avons aperçu un peloton, une table derrière laquelle se tenait un général qui nous a questionné. Après plusieurs réponses, toute fantaisistes, il m’a demandé pourquoi je m’étais évadé.je lui ai répliqué : Quel est le rêve d’un prisonnier, si ce n’est de recouvrer la liberté ? Si vous étiez à à ma place, qu’auriez-vous fait ? Là-dessus, on nous a jetés dans une camionnette pour rejoindre nos camarades à Patras. Nous avons été jetés en prison, enchaînés aux pieds.
Un Capitaine de carabiniers est venu nous tenir un discours nous insultant, nous traitant de chair vendue, de mercenaires des Anglais, nous disant que nous ne savions pas le mal le que nous avions fait à la France, au Maréchal Pétain ; que l’axe gagnerait la guerre, qu’il se trouvait dans le Caucase ; que tous les navires anglais avaient été envoyés au fond de l’eau à Dieppe, etc. Puis, nous flanquant un coup de cravache à travers la figure, un coup de pied le ventre, que j’esquivai, il a disparu.
Dans une cellule voisine se trouvaient des prisonniers politiques grecs qui avaient tout entendu et dès que le geôlier eut disparu, nous avons vu descendre près de nous un panier, des cigarettes, des frites des raisins avec un mot écrit en français par un étudiant en droit et durant les trois jours que nous nous sommes trouvés là, malgré nos fers, il ne nous a rien manqué. Les familles de ces prisonniers venaient leur apporter à manger, elles nous gâtèrent aussi et lorsque nous sommes sortis de là, nous avions 5 000 chacun drachmes chacun.
Puis, à nouveau, nous avons été embarqués pour l’Italie. Nous étions aux fers et me pouvions communiquer avec nos camarades. Débarqués à Bari, nous y sommes restés quelques jours. Puis nous avons été envoyés dans un camp dans le sud, Altamura ; durant 10 jours nous avons conservé nos menottes qui nous rentraient la chair ; pour dormir, c’était pénible, car si nous avions le malheur de bouger, nos chaînes martyrisaient le camarade. A Altamura, nous avions découvert un mets succulent qui consistait en des sauterelles que nous embrochions sur un fil de fer pour les rôtir : nous avions l’impression de faire un bon festin. Les épluchures de légumes, les trognons de choux lavés étaient pour nous un vrai régal. Puis il y avait le manque de tabac nous fumions des feuilles de maïs, du thé desséché, de la mousse des arbres, etc…
Au bout d’une quinzaine, nous avons été embarqués à nouveau pour le nord. Nous avions pris une petite boite dans nos wagons ça ; notre dysenterie persistait, étant donné qu’aucun soin ne nous était prodigué. Deux d’entre nous moururent encore.
Au bout de 48 heures de voyage, nous sommes arrivés à Bergame où un camion spécialement aménagé pour nous attendait notre arrivée.
C’était une usine désaffectée, nous faisions pitié à voir toujours nu-pieds, ayant juste un morceau de chiffon comme cache-sexe, car notre chemise de brousse et notre short, notre seul vestiaire, étaient en lambeaux : ils avaient servi de papier hygiénique. Là enfin, je fus dépouillé de ma barbe et de mes cheveux de trois mois, passé à la désinfection et il nous fut remis d’autres vêtements. Ce fut un sale coup pour nos amis les poux. Toujours tenaillés par la faim nous ne pouvions plus tenir debout. Nous étions rendus à l’état squelettique. Je n’ai jamais repris mon poids normal depuis. La faim nous hantait tellement qu’à chaque fois que nous voyions passer dans le camp le médecin italien bien gras et dodu, nous avions envie de sauter dessus pour le faire rôtir et le dévorer.
Sans jeu, sans aucune lecture, les journées étaient affreusement longues et pénibles à vivre.
Ceci dura jusqu’à la semaine précédant Noël où nous avons reçu de la Croix-Rouge anglaise un premier colis de 5 kg. II fut englouti comme un éclair. Puis, après, chaque nous avons perçu un colis analogue ; nous étions considérés comme sujets britanniques. D’autres colis nous sont parvenus de nos amis de Syrie et d’Egypte. Pour notre part, je recevais en outre de mes deux marraines d’Angleterre 600 cigarettes par mois. Les livres, les jeux firent leur apparition. A partir de ce moment-là il ne nous manquait que la liberté. Seules les souffrances morales et les vexations quotidiennes de nos braves gardiens nous empêchaient d’être heureux ; le massacre de nos colis aussi, car avant de nous les distribuer, toutes les boîtes étaient ouvertes et vidées. Or, comme nous n’avions que notre gamelle comme récipient, il fallait mettre le reste dans du papier et les aliments ne se conservaient pas. Ce camp était un camp de représailles où, pendant très longtemps, il n’y eut que des Français. Par la suite il est venu des Anglais, des alliés et, à un moment donné, 52 nations étaient représentées. Le Colonel qui commandait le camp était un fasciste notoire. Il nous faisait lever à toute heure de la nuit pour faire l’appel, car une douzaine de tentatives d’évasion eut lieu. Une seule a réussi.
Jusqu’en août 1943, tous les soirs en nous enlevait nos pantalons ; nous marchions en sabots de bois. Les souliers que la Croix-Rouge nous avait envoyés étaient stockés dans un local. Ce colonel, qui avait fait fusiller deux prisonniers, a par la suite condamné à mort à son tour par un tribunal allié. C’est ce que j’ai appris par la suite par des amis italiens. Quant à la Croix-Rouge anglaise je lui conserverai une reconnaissance éternelle.
Le 10 Septembre 1943, je réussissais la vraie évasion grâce à la complicité de la population, devenue plus clémente en, voyant la tournure des événements. Je suis resté caché 4 mois une maison en Italie du Nord, en attendant l’arrivée des armées alliées, bloquées dans le Sud.
Le 20 Janvier 1944 je passais en Suisse, après deux nuits de marche fatigantes à travers les montages couvertes de neige où j’ai eu les pieds gelés.
En Juillet 1944, je suis passé dans le maquis de Savoie et le 5 Octobre, je prenais l’avion avec des aviateurs anglais que j’avais connus en captivité. Le soir j’atterrissais à Londres où rescapé de Bir-Hakeim, je recevais un accueil inoubliable.
En Décembre 1944, je revins en France et rejoignis la 1e D.F.L .en Alsace. Sans doute que je n’avais pas encore assez souffert puisque fin 1945 je partais en Indochine d’où je suis rentré il y a quelques mois.
Le nom de mes trois camarades de première évasion sont Henri Duval, Georges Martinet – que je n’ai jamais plus revus – Fernand Chancoin qui a eu la jambe fracturée en sautant du train ; lorsque ce dernier est arrivé un France, on lui recassa sa jambe pour la remettre, les Italiens l’ayant estropié. Je l’ai retrouvé sur le front des Alpes peu avant l’Armistice, dans l’hôpital où il fut soigné.
Il sympathisa avec son infirmière et ils devaient se marier.
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