Compagnon de la Libération
*Le vainqueur de Bir Hakeim
Né à Caen en 1898, il s’engage (1917), sous-lieutenant (septembre 1918), il choisit de rester dans l’armée après l’armistice.
Affecté aux chasseurs alpins, puis à la Légion étrangère, il prend part aux opérations de pacification du Maroc (1930-1934) avant de rejoindre l’état-major de Catroux, chef de la région de Marrakech.
Il accompagne la 13e DBLE en Norvège (février-avril 1940).
Rallié à la France Libre, il est chargé par de Gaulle de préparer l’expédition de Dakar, en liaison avec l’état-major anglais.
Il participe à la campagne du Gabon, est promu lieutenant-colonel, puis commandant militaire du Cameroun (décembre 1940).
Général de brigade après la campagne de Syrie, il prend le commandement de la 1e BFL (octobre 1941).
Au printemps 1942, il organise la position de Bir Hakeim, qu’il défend victorieusement contre Rommel (mai-juin 1942).
Deux ans plus tard, il est nommé commandant supérieur des troupes françaises de Grande-Bretagne et commandant suprême des FFI, puis gouverneur militaire de Paris (25 août 1944).
*Kœnig, la figure emblématique
De Kœnig, je dirais volontiers qu’il est davantage l’homme de Bir Hakeim que de la DFL à proprement parler, et c’est, je crois, à ce titre, qu’il en demeure la figure emblématique.
Né à Caen le 10 octobre 1898, d’un père facteur d’orgues d’origine alsacienne, il effectue ses études secondaires au collège Sainte-Marie et au lycée Malherbe de Caen, avant de s’engager en avril 1917 au 36e régiment d’infanterie, avec, pour tout viatique, ces mots de sa mère, qui a refusé de l’accompagner à la gare pour ne pas s’attendrir : J’aimerais mieux te savoir mort que vaincu !
Promu aspirant en février 1918 – à 19 ans et demi – il est envoyé au front quelques semaines plus tard. Sa conduite lui vaut d’être cité et décoré de la Médaille militaire; sous-lieutenant en septembre 1918, il choisit de rester dans l’armée. Il sera, vingt-trois ans plus tard, l’un des rares généraux sortis du rang de l’armée française. Affecté au 15e bataillon de chasseurs alpins, il sert ensuite, successivement, en Silésie, dans les Alpes puis en Rhénanie, dans les troupes françaises d’occupation (1919-1929). Lieutenant, versé dans la Légion, il prendra part, dans les rangs du 4e régiment étranger, aux opérations de pacification du Maroc (1930-1934), avant d’être affecté à l’état-major du général Catroux, alors chef de la région militaire de Marrakech (1934-1940).
En février 1940, le capitaine Kœnig quitte le Maroc et rejoint la 13e Demi-brigade de Légion, avec laquelle il s’embarque pour la campagne de Norvège. Promu commandant pendant la traversée, il joue un rôle important dans la prise de Namsos et résiste avec détermination aux violentes contre-attaques allemandes. Rapatriée en France dans les premiers jours de juin, la 13 débarque à Brest le 16 juin, le jour même où les troupes allemandes occupent Rennes. Quatre jours plus tard, en compagnie d’une dizaine d’officiers de Légion – parmi lesquels le colonel Magrin-Vernerey, le futur général Monclar – Kœnig gagne l’Angleterre et se rallie au général de Gaulle. La débâcle nous avait submergés peu après notre débarquement en Bretagne, écrira-t-il. Nous avions quitté la France avec la résolution de continuer la lutte jusqu’au bout, quelle qu’en fût l’issue.
Il n’a rencontré de Gaulle, alors commandant le 19e bataillon de chasseurs à pied en Allemagne occupée, qu’une ou deux fois, à la fin des années 20. Il a, en particulier, assisté à une de ses conférences devant les officiers de la garnison de Coblence et conserve le souvenir d’un homme très mince, très grand, plutôt distant, parlant une langue châtiée, sans aucune note – d’une personnalité très forte. Il le retrouve quinze ans plus tard, en compagnie de Magrin-Vernerey, et tous deux apportent au chef d’une France Libre encore très pauvre en effectifs un cadeau de poids : le ralliement de la plus grande partie des légionnaires de la 13. De Gaulle leur explique le sens de son action et leur dit sa certitude de la victoire finale. Après avoir pris congé, Kœnig et Monclar éprouvent la même impression : Nous venions de rencontrer un génie clairvoyant, écrira Kœnig. Il nous dépassait sans peine de toute la hauteur de ses vues prophétiques et je le sentis bien vite avec certitude. Quelques jours plus tard, il est chargé de préparer, dans le plus grand secret, les plans de l’expédition de Dakar, en concertation avec l’état-major allié. Après l’accablant échec de l’opération Menace (septembre 1940), il prend une part décisive à la campagne du Gabon (novembre 1940), avant d’être nommé lieutenant-colonel et commandant militaire du Cameroun (décembre 1940).
Au début de 1941, nommé colonel, il est envoyé au Levant comme chef d’état-major du général Legentilhomme. Après la campagne de Syrie, il est nommé général de brigade (août 1941) : en moins d’un an, il est passé de trois barrettes à deux étoiles – spectaculaire progression pour quelqu’un qui n’est même pas breveté de l’École de Guerre ! À la fin de 1941, il devient donc le chef de la 1e Brigade française libre, où il retrouve ses anciens compagnons de la 13. C’est à ce poste qu’il organise la riposte française à l’avancée de l’Afrika Korps vers l’Egypte, successivement à Halfaya, à Mechili, puis à Bir Hakeim. Retracer son rôle dans l’héroïque siège de Bir Hakeim par les armées de l’Axe, commandées par le plus brillant général du IIIe Reich, nous entraînerait évidemment trop loin. Je me contenterai de rappeler ce qu’écrira Pierre Messmer, ancien capitaine à la 13e DBLE, au lendemain de la mort de son ancien chef :
Pour les Français, Kœnig a été et restera le héros de Bir Hakeim. C’est lui qui avait organisé la position et entraîné la brigade chargée de la défendre. C’est lui qui commandait quand l’assaut allemand se déchaîna. C’est lui qui rejeta l’ultimatum de Rommel, et, après quinze jours, ayant presque épuisé ses réserves d’eau et de munitions, décida une sortie de vive force qui brisa l’encerclement ennemi. (Le Figaro, 4 septembre 1970)
Et tout le monde a en mémoire le texte du télégramme que, de Londres, le 10 juin 1942, le général de Gaulle envoyait au chef de la BFL : Général Kœnig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil. Quinze jours plus tard, le vainqueur de Bir Hakeim devient Compagnon de la Libération.
Avec Leclerc, Kœnig devient, du jour au lendemain, l’une des plus illustres incarnations militaires de la France Libre. Après Bir Hakeim, il participe à la bataille d’El Alamein, puis à la campagne de Tunisie, à l’issue de laquelle il sera promu général de division. Le 1e août 1943, il est nommé chef d’état-major adjoint, à Alger, avec la délicate mission d’opérer l’amalgame entre l’armée d’Afrique et les Forces françaises libres; dans cette mission, écrit le général Jean Delmas, il révèle une grande largeur de vues qui freine les ardeurs épuratives de certains FFL et les aigreurs de fidèles maréchalistes. En mars 1944, il devient, à Londres, délégué du GPRF auprès du général Eisenhower, commandant suprême interallié; à la même date, il est également nommé commandant supérieur des troupes françaises de Grande-Bretagne et surtout commandant des Forces françaises de l’intérieur (FFI).
On peut s’interroger sur la réalité de ce commandement : l’état-major des FFI était-il en mesure d’exercer efficacement la moindre autorité en territoire occupé ? Il est permis d’en douter, surtout lorsque l’on songe au déclenchement prématuré d’insurrections encouragées par les messages radiodiffusés, comme celle du Vercors, le 6 juin 1944, dont Kœnig s’efforcera d’atténuer les effets dans un ordre adressé à l’ensemble des FFI le 10 juin : Freiner au maximum activité guérilla stop Impossible actuellement vous ravitailler en armes et en munitions en quantité suffisante stop Rompre partout contact dans la mesure du possible pour permettre phase réorganisation stop éviter gros rassemblements stop Constituer petits groupes isolés stop Directives impossibles à appliquer sur un plateau déjà submergé par de jeunes volontaires bien décidés à se battre jusqu’à la mort contre les troupes d’occupation. Général de corps d’armée en juin 1944, il devient gouverneur militaire de Paris le 25 août suivant – poste qu’il occupera jusqu’à la fin de la guerre : Sa simplicité, son dégoût de toute publicité, de toute exhibition, sa franchise directe, brutale même, écrit son biographe, Louis-Gabriel Robinet, consacrèrent sa popularité. Modeste, fidèle à ses amis, généreux envers ceux qui lui paraissaient les plus malheureux, incapable de tricher avec l’honneur, il garde, dans sa charge éminente, toutes les qualités de l’homme privé.
En avril 1945, il sera chargé par de Gaulle de la délicate mission de procéder à l’arrestation du maréchal Pétain, remis par la Suisse aux autorités françaises. On lui reprochera d’avoir refusé de serrer la main du Maréchal; il s’en expliquera plus tard franchement avec son avocat, Jacques Isorni, qui confiera à Louis-Gabriel Robinet : Il lui paraissait déplacé de serrer publiquement la main tendue d’un homme qu’il allait arrêter. Après une demi-seconde d’hésitation, il prit la seule attitude qui lui parût convenable : il claqua les talons, se mit au garde-à-vous, et, la main au képi, salua le Maréchal. Il pensait que c’était l’attitude la plus convenable et la plus déférente. C’était également l’avis d’Isorni…
Il sera ensuite commandant en chef des forces françaises d’occupation en Allemagne, poste où il mettra en application le vieux précepte dominer sans humilier : Son but, écrit Louis-Gabriel Robinet, était de créer un climat dans lequel les Allemands se rendraient compte eux-mêmes de l’intérêt qu’ils avaient à repousser toute nouvelle tentative d’hégémonie et de rechercher plutôt les moyens de rassurer la France et les pays occidentaux pour coopérer avec eux à la consolidation de la paix en Europe.
On lui reprochera parfois son goût de la pompe et des fastes, mais ils étaient sans doute nécessaires pour faire subir au peuple allemand le choc psychologique qui l’inciterait à oublier la fausse grandeur promise par le régime hitlérien.
Dans les années qui suivent, il cumule honneurs et responsabilités, mais aussi déceptions et, sans doute, amertume. Le récit de cette partie de sa vie excéderait largement le sujet qui m’a été fixé. Je me contenterai donc de rappeler qu’après avoir quitté l’armée, où sa fidélité au général de Gaulle le rendait suspect, il entre en politique à la demande même du Général – mais non sans hésitation. Elu député du Bas-Rhin lors des législatives de 1951 – au lendemain de son élection à l’Académie des Sciences morales et politiques -, il fut ensuite, à deux reprises, ministre de la Défense dans les cabinets Mendès France et Edgar Faure en 1954-1955. Parlementaire apprécié, président de la commission de la Défense nationale, champion de la lutte contre la CED, il se porte un instant candidat à la succession de Vincent Auriol à la présidence de la République (décembre 1953). Mais, au fond, il n’était pas fait pour la carrière politique et il avait peu de goût pour les honneurs. Il n’était ni intrigant ni ambitieux : J’ai quitté la Grande Muette pour dire la vérité au pays , avait-il déclaré lors de sa première campagne électorale. Mais l’expérience montre que les Français sont rarement prêts à entendre la vérité.
Paradoxalement, le retour au pouvoir de Charles de Gaulle accentue son effacement : Kœnig n’est pas d’accord avec le Général sur l’Algérie et le fait savoir. D’autres points de litige aggraveront le fossé : la politique israélienne et aussi la présence de Kœnig dans de nombreux conseils d’administration. La rupture entre les deux hommes ne sera jamais publique, mais elle se manifestera par le froid qui s’installe entre eux. En décembre 1965, seuls les intimes seront informés que Kœnig votera pour François Mitterrand, qui s’était engagé à amnistier les hommes de l’OAS. Quatre ans plus tard, il mènera une campagne active – et publique, cette fois – pour Alain Poher contre Georges Pompidou, héritier du Général.
En 1966, il rédigera un brouillon de testament dont son biographe cite ce passage significatif : Je pars dépouillé de toute tristesse terrestre, de tout vain désir, de tout appétit; non que je n’eusse pas eu d’appétit – mais j’en avais trop vu, j’étais trop chrétien (donc trop humble) pour ne pas savoir que les égards, les prébendes, les marques d’honneur terrestres sont sans grande valeur. Quatre ans plus tard, à l’annonce de la mort de son ancien compagnon devenu un adversaire politique, le général de Gaulle fera connaître à sa veuve sa peine en des termes d’une admirable élévation :
Rien n’a jamais valu, ne vaudra rien, quant à l’amitié et à l’estime qui me lient au général Kœnig, en comparaison de ce fait immense qu’il fut, pendant les plus grandes épreuves de notre histoire, mon très cher, précieux et glorieux compagnon.
C’est dire que, sa mort dissipant le reste, comme le vent balaie la poussière, je lui garderai jusqu’à mon dernier jour l’attachement et le souvenir les plus émus et les plus fidèles.
Je suis d’ailleurs convaincu qu’à mesure du temps, les insignes services qu’il a rendus à la France paraîtront plus purs et plus beaux.
Une fois de plus, de Gaulle voyait loin et ne se trompait pas : quatorze ans après sa mort, enfin, le général Kœnig se verra, en effet, attribuer par le gouvernement de Pierre Mauroy la plus haute distinction militaire. Le biffin du 36e RI de 1917 ne se doutait sûrement pas que, tout au fond de sa musette, il y avait un bâton de maréchal…
Extrait de la conférence de François Broche sur les généraux de la DFL
*Le ralliement de Koenig : Je continuerai à me battre…, par le général Koenig
*
Extrait de la Revue de la France Libre, n°156 bis, juin 1965.
► Avez-vous entendu l’appel du 18-Juin 1940 ?
R. – Non.
► Sinon, comment en avez-vous eu connaissance ?
R. – J’appartenais alors à la 13e D.B.L.E. débarquée de Norvège trois jours auparavant, et ce 18 juin 1940, je partais en reconnaissance d’officiers avec le colonel Monclar, chef de corps, dont j’étais l’adjoint. La reconnaissance, qui visait à organiser une position de résistance dans un futur réduit breton, fut perturbée par l’apparition presque immédiate d’unités motorisées allemandes, axées grand train sur Brest. Après une journée de travail consciencieux et fort difficile, notre colonel, un guerrier entre tous, décida de gagner si possible l’Angleterre où nous espérions retrouver la demi-brigade qui aurait été réembarquée à Brest, puisqu’elle n’avait pu nous rejoindre sur le terrain. Nos prévisions se confirmèrent, le 21 juin, dès notre arrivée à Southampton où la 13e D.B.L.E. nous avait précédés de quelques heures. C’est là que nous apprîmes, en termes d’ailleurs fort vagues, l’appel du 18 juin. Dès notre arrivée au camp de Trentham Park (comté de Trent) où nous avons été transportés, la nouvelle se précisa.
► Comment vous êtes-vous rallié ?
R. – En fait, j’étais déjà rallié avant la lettre dans la mesure même où, dès notre débarquement de Norvège à Brest, j’avais écrit à ma famille demeurée au Maroc pour lui annoncer que, de toute manière, je continuerai à me battre. Dès le 22 juin, la B.B.C. annonça le ralliement de la 13e D.B.L.E. au général de Gaulle; cette nouvelle précédait, si mes souvenirs sont exacts, un nouvel appel du général prononcé ce jour-là. Mais en réalité, compte tenu des difficultés de liaison avec Londres, je considère que je me suis officiellement rallié, de même que les deux tiers de la 13e D.B.L.E. lorsque le colonel Monclar et moi-même fûmes autorisés par les autorités anglaises à nous rendre à Londres, vers la fin du mois de juin, pour annoncer notre décision au général de Gaulle alors installé dans un bien modeste et lugubre appartement de Saint-Stephens House, transformé en Q.G. de la France Libre.
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