J’ai rêvé cette nuit,
j’ai rêvé que tous avaient fui
j’ai rêvé qu’avec mes Sarahs
j’avais reconquis Lossulien…
J’ai rêvé qu’avec mes camions, mes canons
J’avais chassé les Prussiens.
J’ai rêvé que tous avaient fui
Pendant la nuit…
J’ai suivi l’avenue qui descend au vallon.
Par dessus les talus, j’ai revu la maison,
J’ai deviné la ferme et les toits du moulin
Cachés à l’ombre des grands ormes souverains.
J’ai reconnu les bruits familiers du hameau,
Le chant
Du vent
Dans les peupliers argentés
QU’illumine l’aurore au bord de la chaussée,
les aboiements des chiens, les battues des sabots
Sur les pavés usés du sentier de la source,
Les jurements d’Arthur qui conduit ses chevaux
Et le cri de Louis Grall qui rentre son troupeau.
J’ai croisé la chapelle, à genoux dans son pré
Comme une cordelière
En prière,
J’ai revu le jardin
Retrouvé le parfum
Des tapis d’héliotropes,
L’allée des camélias près du grand cyprès chauve ;
La porte du verger,
La charmille, les pommiers,
Le porche du manoir,
Le perron, les rosiers…
Dans la maison ?
Les bruits, non plus, n’ont pas changé.
Je reconnais celui des portes,
Celui des clenches et des loquets,
Celui des pas sur le parquet
Qui dit le nom de ceux qui passent…
J’ai remonté les marches du grand escalier
Qui suinte les senteurs humides de l’hiver
Dans la bibliothèque, les livres de marine,
Les cartes qui servaient aux travaux de mon père
L’attendent sur la table…il sera là demain !
Je veux l’entendre encore dans son parler marin
Nous raconter la mer, et la pêche hauturière
Des bancs de Terre Neuve aux Iles du Cap Vert :
Saint Laurent, Labrador, Saint-Pierre-et-Miquelon,
Roulis, chaluts, doris, et hissez la misaine…
Comptine de la mer…
Je veux entendre encore
Les copains de Kerhorre
Avec nous la chanter,
Comme aux temps des grandes vacances…
Nord-Dame de-Recouvrance,
Je ne veux plus rêver
Faites cesser les temps de la désespérance
Et que mon rêve enfin, soit la réalité.
Je veux vivre la joie suprême d’un retour,
Le temps…
Rien qu’un instant…
Je veux vivre le jour
Qui me fera revoir la dame de chez nous,
Celle de la maison,
Celle de nos départs…, collégiens et marins,
Marins et fantassins sans clairon ni canon,
Mais là…, sur ce perron,
La tête entre ses mains…
Le temps,
Rien qu’un instant,
le Temps d’aller lui dire
Ce qu’elle fut pour son fils en ces années d’errance :
Mon but, ma raison, mon guide, ma tendresse…
Le feu sur l’Angleterre
L’Egypte, la Libye, les combats du désert,
La vallée du Liri, les rives de Bolsène…,
N’auront de sens pour moi que dans cette espérance
Qu’un jour vous bénirez les joies de notre recouvrance
Dans notre maison libérée.
Après ? Je prierai Dieu pour qu’il m’emparadise
Dans des saharas de lumière ;
Je serai le sable et le vent,
Je serai la poussière
Que le désert immortalise…
J’y serai le sable et le vent,
Comme un vagabond sans valise
Attend que renaisse l’aurore…
Henri BEAUGE
Naples, hôpital de Bagnoli, Juillet 1944
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