Le passé : Les annales de cette histoire sont dirigées vers le mouvement effectué par la 2e Brigade de la 1e D.F.L. vers BELFORT, à la mi-septembre 1944.La Division, libérée de sa mission de flanc-garde, vient prendre sa place dans la ligne déjà stabilisée à hauteur de l’ISLE-SUR-LE-DOUBS. Les bataillons arrivent l’un après l’autre relevant les unités de la 45e Division Américaine.
Les forces de la Division tiendront les lignes en permanence dans des conditions physiques très dures pour les Combattants où se retrouvent les anciens formés et durcis par les combats passés et les jeunes recrues incorporés de la veille.
Par cet écrit, sans prétention, je vous apporte succinctement mon témoignage sur l’action de mon unité : la 2e Compagnie du Bataillon de marche n°4, de la 1e Division Française Libre.
Le présent : il faut vous dire que bien des années sont passées depuis l’Automne 1944, quarante-six exactement et c’est par un bel après-midi de juillet de cette année 1990, que nous circulions, mon ami Henri CASTEL et moi-même sur la route nationale n°486, venant de LURE (Haute-Saône) en direction de VILLERSEXEL, chef-lieu de canton, d’une population de 1516 habitants( recensement : 1984)… Pèlerinage ? Ce bourg rappelle aux anciens de la 1e DFL, le lieu du cimetière Divisionnaire où furent enterrés nos morts, dans un premier temps, notre général BROSSET entouré des tombes du Commandant LANGLOIS (BM XI) et du Commandant MIRKIN (4e Brigade). Après la guerre, les corps des disparus ont été transférés à ROUGEMONT (Doubs), au Sud-Est et à 10 kms de VILLERSEXEL. Sur la départementale 4, en face du cimetière communal, nous avons revu l’emplacement du cimetière divisionnaire. La PAIX est revenue, à cet endroit nous découvrons un jardin dans lequel, une habitante cultive ses légumes !
La route nous absorbe, 5 kms au Nord, un village se dessine : VILLAFANS (573 habitants).Cette commune avait été un lieu de cantonnement au cours du mouvement. C’est entre ce village et avant d’aborder ATHESANS, le bois St Georges, que nous avions relevé les Américains. Nos Alliés étaient en position au bord de la route, dans le fossé, sous une légère pluie. A l’horizon un bois épais « le no man’s land », l’ennemi était-il là ? Le sergent américain n’a pu nous renseigner. Il était heureux de cette relève et m’avait donné spontanément : un imperméable, un fusil GARANT, et une cartouche de cigarettes.
La relève effectuée, nous avions reçu l’ordre de progresser le long de la départementale ; les tirailleurs africains se déployant à travers les prés, abordant avec précaution l’orée des bois.
Aujourd’hui, j’essaye de me remémorer, dans le paysage actuel notre marche de septembre 1944.
ATHESANS : 573 habitants, le village n’a pas changé, seules les façades des maisons sont rajeunies, les peintures refaites, la disposition des habitations est la même, puis une petite commune, un hameau, LA VERGENNE : 99 habitants. C’est bien là que des coups de feu étaient tirés dans notre direction, venant d’un étage d’une maison. Le contact avec l’ennemi était établi. Riposte immédiate des nôtres…. Une accalmie, un drap blanc était déployé d’une fenêtre, c’était la reddition : cinq allemands sortaient de leur repaire, les mains en l’air. C’est alors que les habitants du village nous apprenaient que l’ennemi avait établi une ligne de résistance à l’entrée du prochain village : MOFFANS, à l’est sur LOMONTOT et au sud à la VACHERESSE et le bois des Granges. Les allemands avaient inondé les prés environnants par les eaux d’une rivière : LE ROGNON.
Nous sommes à MOFFANS : 555 habitants. Nous retrouvons la rue principale et ses maisons de chaque côté, au loin le clocher du village qui domine l’agglomération. Quel changement avec notre arrivée le 24 septembre 1944 où l’ennemi nous attendait, retranché. Le village a changé et a fait peau neuve, des parterres de fleurs jalonnent le devant des maisons. Ainsi le village est devenu accueillant en cette année 1990. CASTEL a sorti son appareil photo pour une vue d’ensemble. Un habitant vient vers nous, nous interpelle en nous indiquant que MOFFANS est le premier village fleuri du département. Méprise en ce temps de paix ! Nous lui indiquons que notre arrêt à MOFFANS a un autre but, que nous fûmes parmi les libérateurs de son village. Aussi tôt notre quidam nous fait part que quelques jeunes du pays s’étaient engagés à la 1e DFL à la libération. Un quart d’heure après, prévenus, nous les retrouvons, et parmi eux : GRANDMOUGIN, ancien maire du village, qui avait été incorporé au BM 4.Les retrouvailles se sont terminées autour d’un « pot » chez GRANDMOUGIN, les quelques anciens se rappelant la « DFL » et l’année 1944.
Nous reprenons la route vers LYOFFANS : 360 habitants, distant de 4 kilomètres. LYOFFANS, localité qui figure à la citation à l’ordre de l’armée du 28 juin 1945 : » Bataillon engagé, un des premiers, à VILLERSEXEL, où les 25 et 26 septembre, il s’empare après une lutte héroïque, sous la pluie, des villages tenacement défendus de LYOFFANS et ANDORNAY .
Notre Commandant Jean BUTTIN écrira : le BM 4 reçoit l’ordre de s’emparer de LYOFFANS défendu maison par maison par des SS. Six fois l’assaut sera donné au cimetière dont les tombes sont éventrées par des obus. L’affaire ne se termina qu’à la nuit. Le lendemain la prise d’ANDORNAY sera tout aussi dure. Le village n’est conquis qu’à 18 heures. Le BM 4 est alors relevé par le BIMP. Il est épuisé .
Je repense à cette journée du 25 septembre 1944 alors que notre véhicule aborde quelques tournants sur la départementale. Le paysage n’a pas changé. Je revois ces mêmes lieux, marchant avec précaution à l’approche du village, dans le fracas de l’artillerie et le « tac.tac » des armes automatiques. L’allemand résistait farouchement.
A la fin de la matinée nous étions arrivés à proximité des premières maisons de LYOFFANS. Ce fût une dure journée et au prix de beaucoup de pertes dans nos rangs. Notre appui était assuré par un élément de reconnaissance du 1e régiment de Fusiliers-Marins de la Division qui ne manquait pas d’ouvrage dans ses interventions.
Ver s les midi nous occupions une ferme pas très loin du carrefour formé par la départementale 438 et la 4, à l’ouest de la localité. De cette position nous avions comme objectif, à environ 400 mètres, le cimetière du village où se trouvait l’ennemi. Mitrailleuses légères 7,62, et mortiers de « 60 » étaient en batterie dans un verger situé près de la ferme, leurs feux dirigés vers l’ennemi.
Il était impossible de progresser sur le terrain en direction du cimetière, en raison d’une étendue à découvert à travers les prés qui nous séparaient de l’ennemi.
Plusieurs tentatives d’approche avaient été effectuées se soldant par plusieurs blessés atteints par les armes allemandes. Je me souviens de Francis JOUVE, un jeune engagé de CHATEAURENARD, blessé par balle à la jambe.
A la nuit, nous étions toujours sur notre position, arrêtés par la résistance ennemie.
Un tour de garde fut assuré, permettant un repos sur place pour la section.
Cette nuit du 25 au 26 septembre 1944 se passa par un service de « quarts de veille » à chaque heure. J’avais pris mon tour en compagnie du sergent-chef DEVILLERS, de la 1e Section, surveillant les tirailleurs postés en sentinelles.
Dans la nuit, au cours d’une conversation, je constatais que DEVILLERS était pessimiste, il parlait avec une prémonition, m’annonçant que c’était fini pour lui et que le lendemain serait fatal. J’essayai s de mon mieux de lui remonter le moral, hélas sans résultat.
26 septembre au matin…la compagnie doit attaquer à nouveau le cimetière. Un char des Fusiliers-Marins, sort du village et vient se poster à l’angle du verger où nous nous trouvons. Son tir est dirigé vers le cimetière où nous voyons par moment les pierres du mur de clôture voler en l’air. Des brèches apparaissent et nous voyons les allemands se déplacer, surpris par le tir du blindé. Le cimetière sera arrosé surabondamment au cours de la matinée du 26 septembre. Néanmoins l’ennemi ne bouge pas sa position et résiste sans faiblir.
12 heures … l’ordre d’attaquer intervient. La première section commandée par le lieutenant MARY, l’adjoint étant le sergent-chef DEVILLERS, partira en tête à l’assaut du cimetière. La progression se fera en empruntant le vallonnement situé au sud.
Les hommes disparaissent l’un derrière l’autre, à travers la végétation. Au bout d’un moment nous les voyons réapparaitre au bas du terrain découvert. Les allemands réagissent, tirant sur les premiers voltigeurs.
De notre position, nous soutenons l’attaque par le tir sur l’ennemi des mitrailleuses et le tir courbe des mortiers.
A l’aide de jumelles, je suis la progression par bonds successifs, les tirailleurs essayent d’approcher du cimetière. Quelques tirailleurs tombent, d’autres se relèvent dans le feu du combat. Les allemands, bien protégés dans leurs trous offrent une résistance acharnée. Tout à coup, un blanc tombe au milieu du groupe de tête, c’est DEVILLERS. Il est à terre, ne bouge plus, est-il blessé ? De notre position, la cadence du tir s’est accentuée. Une deuxième section s’en va renforcer la première. Les « S.S » allemands ne veulent à aucun prix céder le terrain. Certains de leurs blessés, dans leurs trous continuent à se battre. Ce sont les tirailleurs à l’aide de grenades qui feront cesser leur combat. Peu après, nous faisons mouvement, empruntant toujours le vallonnement pour renforcer les deux sections.
L’ennemi se replie au-delà du cimetière, sur la route 4 vers ANDORNAY et FREFERIC-FONTAINE.
Nous arrivons sur le terrain découvert, pas très loin du cimetière, plusieurs corps sont étendus, sans vie. La mort n’a pas épargné les attaquants. DEVILLERS a été atteint d’une balle au cœur. Son visage est reposé, rigide. Près du mur de clôture du cimetière, nous découvrons des allemands tués dans leurs trous et sur leurs armes. Quel spectacle dans ce cimetière, un tableau de désolation, les tombes sont écrasées, des cercueils sont ouverts. Ainsi les anciens morts se sont éteints une nouvelle fois.
La fin de l’après-midi nous apporte la pluie, nous creusons nos trous individuels, près du cimetière et de la départementale 4. La guerre continue inlassablement. La terre devient boueuse et le moral n’est pas au beau fixe ! Nous sommes épuisés. Quand tout à coup, venant de LYOFFANS, nous voyons venir dans notre direction, des fantassins coiffés du casque anglais.
Peu après nous reconnaissons les « gars » du Bataillon de marche du Pacifique, le BIMP qui vient assurer notre relève. Ouf ! Quel soulagement ! Nous passons les consignes d’usage et nous retournons vers LYOFFANS où nous avons passé la nuit dans la paille sèche de quelques granges. Ce repos était le bienvenu pour les combattants.
L’attaque du village de LYOFFANS (Haute-Saône) avait coûté 21 morts au Bataillon de marche n°4 de la 1e DFL, soit :
18 Tirailleurs Africains et 3 français : l’aspirant GEOFFROY René, le sergent-chef DEVILLERS Armand et le sergent NIELLI Jean.
Ce que nous pouvons retenir de ce récit, c’est que la relation d’une histoire vécue apporte une accumulation de faits vrais, vécus, lesquels ne se retrouvent pas toujours à l’intérieur des fonds d’archives traditionnels. Ainsi par la parution d’une nouvelle, le témoin d’une histoire, rapporte l’exécution d’un mouvement qui est à un niveau individuel mais qui peut être aussi intéressant que la conception au niveau d’un état-major. La nature du témoignage qui est recueilli pourra aller vers une information non négligeable destinée à un fonds d’archives du service historique.
Texte : MALDANT, photos : CASTEL, VIDBERG
Bulletin de l’Association des Anciens de la 1 e Division Française Libre n°78 juillet-septembre 1990
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