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*BIR HAKEIM
13 février – 26 mai 1942 26 mai – 11 juin 1942 In : Les services de santé de la France Libre de 1940 à 1943 Par Guy CHAULIAC (Compagnon de la Libération) La 1e BFL s’installe à Bir Hakeim avec 3 700 hommes environ, le 13 février 1942, à une soixantaine de km de la côte méditerranéenne. Tobrouk est à 70-80 km au NE. L’échelon arrière, certains services, ravitaillement, 101e Compagnie du Train (médecin aspirant DESNOS ) vont s’établir à 35 km hors de la zone de Bir Hakeim en direction de Tobrouk en un lieu appelé Bir Bou Maafes. Depuis la côte à El Gazala jusqu’à Bir Hakeim les Anglais ont établi un considérable barrage continu de mines qui barre le désert et abrite la première ligne des divisions britanniques. Bir Hakeim est un lieu qui ne se distingue guère de la platitude désolée environnante que par deux petites éminences de quelques mètres au NO vite appelées « les mamelles » et par les débris d’un ancien fortin au Sud complètement ruiné. Le camp s’établit sur 16 km2 et revêt une forme presque triangulaire aux angles arrondis dont flaque côté a environ 6 km. Il est défendu par des champs de mines ménageant trois portes de sortie, à l’Ouest, au Sud et à l’Est. La position est divisée en trois secteurs est occupée au NO par le BM2, au SO par le BP1, à l’Est par le 2e BLE. Au centre se Trouve le 3e BLE, et le QG, les services médico-chirurgicaux. L’artillerie et les armes lourdes, les antichars et les antiaériens du RFM sont répartis suivant un plan de feu très étudié qui montrera son efficacité. Une batterie antiaérienne anglaise renforce la DCA. Tout est enterré dans le roc, et chaque combattant a son trou individuel Le général KŒNIG veille personnellement à l’exécution de ces travaux auxquels il attache la plus grande importance, ce qui, on le verra par la suite, permettra de limiter les pertes. Au Nord, le marais de mines forme un V, dont la pointe touche à la limite du camp et permet de pénétrer entre ses branches pour en surveiller la continuité et chasser les démineurs adverses. Le service de Santé de chaque unité a creusé un poste de secours souterrain dont l’entrée est protégée par des sacs de sable et dissimulée aux vues aériennes. L’ambulance Spears reste déployée à Sollum. Elle a envoyé un poste chirurgical avancé avec le médecin lieutenant-colonel FRUCHAUD , son équipe opératoire et les deux camions opératoires construits au Caire sur les plans du médecin capitaine LEMANISSIER (dit ASQUINS). Un vaste abri permettant d’hospitaliser les blessés opérés a été creusé. Mais la veille du combat, le 22 mai, le PCA Spears en place depuis 3 mois et qui a traité dans des conditions particulièrement difficiles les nombreux blessés des Jock Columns et des attaques sporadiques, reçoit l’ordre de rejoindre le gros de l’ambulance à Sollum, afin de lui permettre de faire face à une arrivée massive de blessés. Restent toutefois sur place le médecin capitaine THIBAUX et son équipe chirurgicale. Le médecin commandant DURRBACH, chirurgien de l’ACL, gagnera en outre le camp pendant la bataille à la faveur d’un convoi de ravitaillement. Le PCA Spears a également laissé sur place la quasi-totalité de son matériel dont les camions opératoires. Ces derniers très importants n’ont pu être enfouis, et détachent leur haute silhouette sur la platitude du camp retranché. Depuis longtemps ils ont été surnommés « La Cathédrale ». Le groupe sanitaire de Brigade ( médecin commandant VIALARD-GOUDOU ) avec ses ambulances s’est également enterré. Le lieutenant STUYVESANT au cours d’une mission de relève de blessés sera capturé avec deux ambulances. Dans l’après-midi du 1e juin, au cours d’une autre mission le médecin commandant VIGNES s’échappera, mais perdra deux ambulances sur huit. Les conditions d’hygiène sont très dures. A la température torride du jour, 40-45°C, succède un froid glacial durant la nuit. Des myriades de mouches se jettent dans la journée sur les hommes. La nourriture est réduite au corned-beef, riz et biscuits. Des tablettes de chlorure de sodium à 10 Cgr sont distribuées avec une ration d’eau dérisoire de deux litres par jour avec lesquels on fait chauffer le thé, boisson fort appréciée. L’eau est conservée dans des réservoirs métalliques ou des fûts de 2001 enterrés. Durant les 15 jours de combat le camp subira au cours de six journées des tempêtes de sable. La nuit, des brouillards pesants s’établissent fréquemment. Trois convois de ravitaillement parviendront à pénétrer dans le camp les 31 mai, 5 juin et 8 juin apportant des vivres, de l’eau, des munitions et des médicaments. Les deux premiers pourront repartir emmenant blessés et prisonniers et les réfugies de la Division indienne bousculée par la Wehrmacht au sud de Bir Hakeim. Les camions du 3e convoi bloqués dans le camp seront bien utiles au moment de la sortie. A partir du 30 mai, les Allemands commencent à parvenir par leur mouvement tournant au sud à gagner les arrières des Britanniques et s’efforcent en même temps de passer à travers le marais de mines au Nord de Bir Hakeim. La BFL reçoit l’ordre de pousser vers L’ouest une forte patrouille : le bataillon du Pacifique atteint, à une quarantaine de km, Rotunda Segnali et fait quelques prises. Toujours sur ordre le 2 juin, le BP1 se regroupe à Bir Hakeim car ROMMEL a réussi à percer dans le Nord et à atteindre la 150e Brigade britannique. A partir de cette date, ROMMEL va foncer vers l’Egypte et le Canal mais il doit se débarrasser de la résistance de Bir Hakeim qui menace ses camions de ravitaillement. Il investit la place avec la Division italienne Trente, la 90e Division, les 15 et 20 Panzer, 14 batteries d’artillerie, secondées par des vagues journalières et successives de 60 et 130 bombardiers et chasseurs. le dire des anciens de 14/18 : Bir Hakeim C’était Verdun.
**Le médecin aspirant GILLET à Bir Hakeim donne ainsi ses impressions sur les attaques aériennes :
« Si l’on est à quelque distance du point que les Stukas cherchent à atteindre, il est possible de les voir basculer, piquer droit vers le sol à la verticale l’un derrière l’autre, au botte à botte si j’ose dire, à une vitesse de plus en plus vertigineuse entre les traînées roses des obus traceurs des Bofors, de les voir ralentir tout en conservant leur direction, lâcher leurs bombes à 100 ou 200 m du sol, se redresser et filer en rase-mottes à une allure folle tandis que de quart de seconde, en quart se seconde s’élèvent de gros champignons de poussière grise et que parvient le fracas des explosions. Bientôt la zone bombardée disparaît sous un épais mur opaque de poussière haut de 300 m d’où émergent un à un les derniers avions « . « Ceux qui sont dans la zone visée entendent le bruit de plus en plus intense, de plus en plus aigu des moteurs emballés qui se rapprochent. Puis c’est le hurlement rauque et strident de sirène enrouée de leurs freins à air au moment où apparaissent ces petits avions. Entre leurs roues se profilent les bombes, elles se détachent, s’éloignent lentement du fuselage. Le bruit de sirène cesse et dans le tonnerre de reprise de son moteur l’avion se redresse. Bien abrités dans nos étroites tranchées nous le voyons passer en trombe au-dessus de nos têtes avec sous ses ailes ses grandes croix noires. Derrière lui, nous voyons grossier, se rapprocher sa bombe, un fin sifflement et c’est le bruit tonitruant de l’explosion suivie de dix, vingt, trente autres. »
**Le 8 juin, Bir Hakeim est totalement cerné.
ROMMEL en personne commande et envoie en vain trois ultimatums. Canons de 88, 105, 155 et même 2010 se déchaînent. 40 000 obus vont tomber sur le camp. La RAF envoie ses chasseurs qui abattent un bon nombre de bombardiers allemands tandis que la DCA des fusiliers marins abat 7 avions. Les 9 et 10 juin on compte jusqu’à 35 vagues de de bombardiers. Une bombe écrase les camions opératoires, une autre tombe sur l’abri des grands blessés qui sont tous tués. GUILLON et DURRBACH dressent des tentes. Un blessé raconte, qu’opéré dans la nuit, il se réveille ayant pour voisin un pilote allemand qui lui explique que le poste de secours de l’ACL a été pris pour le poste de commandement par l’aviation. Vers midi le PS fut anéanti. L’auteur de ce récit en est le seul rescapé.
**Autre souvenir du médecin aspirant BERNASSE
Je vis arriver à mon poste de secours un légionnaire accompagné d’un soldat de l’Afrikakorps, prisonnier blessé. A la place de son bras gauche ne restaient que quelques lambeaux de chair sanglants. Je m’étonnais que ce blessé grave puisse encore trouver l’énergie de se déplacer à pied dans ce sable brûlant sous un soleil de plomb, mais je suis resté stupéfait lorsque celui-ci, apercevant ma qualité d’officier, rectifia la position pour m‘adresser de son bras restant, un impeccable salut militaire. Cette vision d’un soldat ennemi est restée gravée dans ma mémoire et veut témoigner de la valeur militaire et humaine du soldat allemand. Vivant les mêmes souffrances et les mêmes dangers, les combattants de choc manifestent parfois une certaine connivence quand les politiques ne viennent pas semer la haine et le mensonge parmi les combattants . Deux autres postes de secours furent anéantis dont celui où se trouvait le médecin aspirant MAYOLLE qui venait de pratiquer une amputation d’urgence avec l’aide de l’aumônier sur un lieutenant africain. On établit des nids de blessés dans les unités. Les attaques infanterie-chars se concentraient sur le secteur Nord où se trouvait un point faible défendu par les Africains du BM2. La 6e compagnie du BM2 perd trois officiers sur quatre et est relevée par la 9e compagnie de Légion du capitaine MESSMER. Bir Hakeim tenait depuis quinze jours au lieu des dix qui étaient prévus quand le commandement britannique fit savoir le 9 juin que la BFL pouvait tenter de rejoindre les unités anglaises qui se retiraient. Le général KŒNIG décide la sortie pour la nuit du 10 au 11 juin par la porte sud-ouest après déminage, en direction de la borne 837 à 10 km, lieu de recueil prévu par les Britanniques. NB : Effectifs Santé à Bir Hakeim du 26 mai au 10 juin
- Equipes médicales des Unités et Postes de Secours des BP1, BM2, DBLE etc. médecins, gradés, infirmiers, brancardiers environ 60
- Groupe Sanitaire de Brigade n°1, environ 50 Ambulance Chirurgicale Légère, 8 Ambulance Spears : 1 équipe chirurgicale 4
**La Sortie de Vive Force Nuit du 10-11 juin 1942
Le 10 juin la garnison était exténuée. Les vivres manquaient, l’eau était rationnée à 1 litre et demi et les réserves épuisées, les munitions avaient été presque entièrement utilisées. Le repos, le sommeil étaient impossibles. Les explosions continuelles des obus de gros calibre et des bombes d’avion provoquaient chez certains un véritable choc nerveux, une tension exténuante. Chez d’autres c’était une sorte de prostration, d’indifférence, des absences, des pertes de mémoire. Le médecin aspirant BERNASSE échappe 4 fois à la mort, 4 bombes explosent successivement à quelques mètres de son trou individuel. Il faut souvent délivrer des voisins dont le trou a été recouvert de sable par les explosions. Les médecins n’avaient plus de possibilité de recueil et de traitement des nouveaux blessés, tandis que ceux des jours précédents avaient été tués dans les abris du Groupe Sanitaire et du PCA. Depuis 48h les ordres étaient de garder les blessés dans les postes de secours régimentaires plus ou moins réaménagés. Les chirurgiens n’avaient plus que des tentes criblées d’éclats équipées avec ce qui restait de matériel. Pourtant une reddition n’était ni envisageable ni envisagée. La sortie de cet enfer était pour la nuit qui venait, le soir du 10 juin. C’était vaincre l’impossible. On savait l’ennemi établi solidement tout autour de Bir Hakeim sur 3 lignes concentriques de résistance. Sans doute estimait-il que, si sortie il y avait, et il pensait plutôt à une reddition, elle se ferait sur la face Est du camp. L’idée du général KŒNIG était de sortir par la porte sud. Après déminage, l’Infanterie partirait à pied accompagnée de Brenn-Carriers, chenillettes très maniables et bien armées et forcerait le passage en détruisant les points de résistance des armes lourdes, distants entre eux d’environ 300m mais entre lesquels étaient retranchés des nids de mitrailleuses et fusils-mitrailleurs. Une fois le passage forcé, les 200 véhicules encore en état et les ambulances s’engouffreraient azimut 213, jusqu’à la borne B837, lieu prévu pour le recueil par les unités britanniques à une dizaine de km. Au cours d’une liaison avec le 3e BLE dans le nord du camp, le médecin capitaine GENET fut chargé d’aller avertir le capitaine MESSMER de l’heure et des ordres concernant la sortie, car le combat faisait rage de ce côté et les transmissions étaient interrompues depuis le matin. Trois hommes avaient au cours de la journée cette mission et n’étaient pas revenus. Le médecin commandant VIALARD-GOUDOU médecin chef du camp, reçut l’ordre d’emmener tous les blessés transportables et le personnel sanitaire encore valide. Il lui restait 7 sanitaires sur 12, un camion sur 5, 2 voitures légères sur 4. La 101e compagnie du Train lui fournit 6 camions. 130 blessés assis et couchés provenant des bataillons, et ce qui restait des blessés du PS1, PS2 et du GSD fut embarqué avec l’aide de véhicules des compagnies. Avec un certain retard sur l’horaire prévu, le 2e bataillon de Légion ( commandant BABONNEAU ) en tête, suivi du 3e BLE ( commandant PUCHOIS en flanc-garde Est) s’élancèrent. Les véhicules sur 2 colonnes dans l’obscurité étaient prêts à les suivre. L’effet de surprise ne dura pas, bien que, sans doute les assiégeants n’aient pas saisi tout de suite l’importance de l’opération. L’ennemi lança des fusées éclairantes, la nuit s’embrasa de balles traçantes multicolores, c’était un feu d’enfer dans un bruit de tonnerre. On déposa les blessés à terre momentanément pour les protéger. Malgré l’épuisement des hommes, le combat s’engageait acharné. Chaque pôle de résistance était attaqué dans la semi-obscurité. Les Brenn-Carriers passèrent à l’assaut écrasant les servants et leurs armes. Le tir ennemi était difficile à ajuster par suite des ombres causées par les fusées, des nuages de poussière, de la fumée. Mais comme l’Infanterie n’arrivait pas à déboucher, KOENIG ordonna une charge motorisée : les véhicules s’élancèrent dans la nuit et réussirent la percée. Le convoi de véhicules fonçait mais était aussi une belle cible. Des voitures sautaient sur les mines. L’héroïque aspirant BELLEC , blessé, sauta trois fois. Des véhicules s’arrêtaient pour charger des rescapés et ceux-ci s’accrochaient aux ridelles. Plusieurs véhicules brûlaient dans un nuage de fumée noire, et deux ambulances, en flammes avant d’avoir réussi à franchir la 1e ligne, illuminaient le champ de bataille. Le médecin commandant VIGNES et le médecin-auxiliaire BAPST avec un camion et des ambulances Austin ont les plus grandes difficultés car ils s’égarent dans l’obscurité. Par chance ils évitent un champ de mines et redressent leur direction. La 2e ligne d’investissement est à 1 200m, la 3e à 3 000m plus loin mais elles sont moins fournies en armes automatiques. Dans la confusion, dans la dispersion des unités, beaucoup de chefs ont perdu leur compagnie ou leur section. Des groupes d’hommes errent en tous sens et se trouvent tout à coup à proximité d’Allemands. Les plus faibles, les blessés, sont tués ou faits prisonniers. Les armes crépitent de toutes parts, le bruit est insoutenable. De nouveaux blessés, faute d’être vus, gisent sur le sol sans secours, des tués sont écrasés par les véhicules. Les lieutenants ou capitaines SAVEY, DEWEY, GUFFLET, BRICOGNE, LAMAZE, BOLIFRAUD … sont tués. Le général KŒNIG et son chef d’Etat-Major sont perdus de vue. Au milieu d’un marais de mines, l’ambulance où se trouvent parmi les derniers blessés le capitaine BAYROU (ancien chef des Services Vétérinaires du Tchad), le lieutenant KOUDOUKOU, le sergent LAFON, est atteinte de plein fouet et se met à flamber. Les blessés sont distribués sur des véhicules dont l’un est coupé en deux par un obus quelques instants plus tard. Des camions sont contraints de s’arrêter pour vérifier l’azimut 213 à la boussole pour éviter de s’égarer. L’aspirant BELLEC se distingue, bien que blessé, en prenant en charge des sanitaires et camions qui ont perdu leur route, car une sorte de brouillard et de brume s’abat sur le désert comme cela se voit fréquemment au cours de la fin de la nuit. Cette pénombre aide le convoi à se dissimuler mais beaucoup d’hommes s’égarent et certains mourront de soif s’ils ne sont pas capturés, tués ou retrouvés dans la journée. Vers 4h du matin les premiers camions de blessés finissent par arriver, mêlés à toutes sortes de véhicules, à la borne du rendez-vous, à 10 km, où les Anglais ont réuni 50 sanitaires, 60 camions et des médecins, le tout protégé par des unités et automitrailleuses. Il y a aussi des véhicules de l’échelon B de la Brigade venus de Bou Maafes. Les médecins capitaines THIBAUX et GUILLON sont parmi les premiers arrivés. VIGNES, qui s’était perdu, après avoir erré au hasard, a fini par arriver au but. L’aspirant BELLEC est parvenu avec une Austin et 3 camions bondés de blessés mais il lui manque une sanitaire et un camion. VIALARD-GOUDOU et BAPST transbordent 120 blessés dans 30 sanitaires anglaises qui filent vers l’Est avec une escorte britannique. DURRBACH et DUVAL arrivent avec des camions chargés des derniers blessés de la nuit. Le BM2 avec le médecin capitaine GUENON, le médecin aspirant MAYOLLE, est resté sur position en arrière-garde pour donner le change. Il parvient au but au lever du jour après avoir ramassé des blessés oubliés pendant la percée. La dernière ambulance du BM2 encore en état de marche permet d’emporter quelques blessés, mais touchée à plusieurs reprises, il fallut l’abandonner. Les blessés les plus atteints furent hissés dans des véhicules de fortune, les autres durent continuer à pied. Mais un char allemand jaillit de l’obscurité. La poussière de sable et la fumée permirent aux fugitifs en se couchant sur le sol de ne pas être vus. Au petit jour un véhicule vint à leur rencontre. Le médecin capitaine GUENON était là, la pipe à la bouche, très calme. C’était un entraîneur d’hommes connu pour son courage. Il devait quitter le BM2 le 24 septembre 1942 pour occuper un nouveau poste dans la 1e DFL. Il sera tué en 1946 à la tête d’un commando en Indochine. Voici ce qu’écrit à son sujet son chef de bataillon, le commandant AMIEL : « Tous, au bataillon nous conserverons de ce médecin colonial expérimenté, d’un courage et d’un dynamisme entraînant, le souvenir d’un ami sur lequel Blancs et Noirs pouvaient compter en toutes circonstances ». L’hôpital Spears est à Sollum à 70 km, installé, sur le rivage. Le médecin commandant VERNIER qui vient de succéder à FRUCHAUD , et des formations chirurgicales britanniques vont prendre à leur charge cette masse de blessés rescapés qui leur parviendront après bien des souffrances. Un bilan précis de la grande bataille de Bir Hakeim et de la sortie de vive force est difficile à établir en raison de la précarité des évacuations sanitaires et de la retraite précipitée qui a suivi rupture générale du front. 187 morts ont été inhumés sur place auxquels il faut ajouter le nombre indéterminé des grands blessés qui furent évacués sur les différents hôpitaux anglais ou français et qui ne purent survivre à leurs blessures. Il faut tenir compte également des blessés faits prisonniers qui moururent avant d’avoir atteint les hôpitaux italiens ou allemands. Deux convois de blessés purent être acheminés au début de l’encerclement. On sait que Spears, pour sa part, reçut environ 800 blessés à Héliopolis du 2 juillet au 15 août 1942. Globalement 30% de l’effectif avait été tué, blessé ou a disparu. La sortie de vive force à elle seule aura coûté 72 tués, dont 13 officiers et 130 blessés, officiers, sous-officiers et hommes de troupe. Des isolés vont rejoindre durant les 48h après la sortie, mais 763 combattants perdus dans la tourmente, choqués, hébétés, plus ou moins inconscients et blessés ont disparu. La plupart seront prisonniers. 140 d’entre eux, en route pour la captivité, seront par la suite torpillés en Méditerranée. Des 3 296 hommes présents au 10 juin à Bir Hakeim, 2 100 ont pu rejoindre les lignes franco-britanniques. C’est un miracle, mais le BM2 a perdu 40% de son effectif et le BIM sensiblement autant depuis février. Mais le résultat était là. Le retard provoqué par la résistance de Bir Hakeim à l’offensive de ROMMEL avait aidé les Britanniques à préparer l’ultime résistance aux portes d’Alexandrie, avec les unités fraîches qu’ils avaient ramenées d’urgence de la IXe Armée, venant de Palestine, d’Irak et d’Iran, et les fameux chars Sherman qui venaient d’être débarqués. Les pertes de l’aviation allemande à Bir Hakeim avaient affaibli définitivement sa puissance. La RAF était maîtresse du ciel en Tripolitaine. KESSERLING a écrit que les avions perdus par la Luftwaffe à Bir Hakeim ont été une des causes de la défaite de Stalingrad.
**Bir Hakeim : Le groupe sanitaire, Le PCA de l’ambulance Spears le PCA de l’ACL
Il est intéressant d’avoir le témoignage du pharmacien aspirant Pierre MERCIER qui faisait partie du PCA de Spears à Bir Hakeim depuis la mi-février 1942. Il a dû quitter le camp sur ordre le 31 mai, c’est-à-dire en plein début de la bataille avec son chef, le médecin commandant FRUCHAUD au moment de la relève par l’ACL (Ambulance Chirurgicale Légère). Il a recueilli les souvenirs du sergent-infirmier KEREBEL resté avec le camion opératoire jusqu’à la sortie de la nuit du 10 au 11 juin et raconte ses impressions puis celles de KEREBEL. « Aux nuits glaciales de février ont succédé des nuits moins fraîches et, surtout, des journées de plus en plus étouffantes. Des rumeurs diverses circulent dans le camp. La plupart laissent entrevoir une prochaine offensive des forces alliées, donc un départ proche, de ce lieu peu hospitalier. De rapides liaisons avec Tobrouk, notre base arrière, nous permettent d’aller vérifier, à tour de rôle, que certains plaisirs élémentaires, dont nous avons perdu le goût, existent encore :passer sous une douche, s’étendre devant la mer sur un sable tout propre, voir des arbres, en l’occurrence deux palmiers qui agrémentent la crique où le gros de la formation a déployé ses tentes, à côté du « Beach Hospital », un peu à l’écart du port quotidiennement harcelé par les Stukas. « Cependant, vers la mi-mai, nos camarades des Jocks colonnes nous rapportent des nouvelles qui laissent à penser que nos adversaires, eux aussi, sont en train de préparer quelque chose. Des traces de chars, d’un type nouveau, ont été observées dans le no man’s land qui nous sépare des lignes italo-allemandes. L’aviation se montre plus active, ce qui nous vaut, de temps en temps, d’assister, en spectateurs passionnés mais impuissants, aux passes rapides d’un combat aérien se déroulant juste au-dessus de nos têtes. Nous devons enterrer et camoufler au maximum nos réserves d’eau et d’essence pour les protéger des bombes et de l’ardeur du soleil. Chacun commence à prendre conscience que ce coin perdu du du désert, dans lequel nous sommes confinés depuis des mois, sera peut-être appelé, un jour prochain, à entrer dans l’Histoire. C’est dans cette atmosphère de veillée d’armes que le 23 mai, nous apprenons toute une série décisions concernant l’ambulance Spears, le gros de notre formation doit quitter Tobrouk et aller se déployer à Sollum. Le PCA doit aller rejoindre la maison mère au plus tôt, sans doute dans la perspective d’un afflux massif de blessés. Le relais doit être pris par l’ambulance chirurgicale légère… mais l’ACL n’est pas encore là. Comme il est indispensable qu’une permanence des soins chirurgicaux soit assurée, il est décidé, en accord avec le commandement, que l’équipe du médecin capitaine THIBAUX restera sur la position jusqu’à nouvel ordre ; elle sera prise en charge et épaulée par le groupe sanitaire du médecin lieutenant-colonel VIALARD GOUDOU . La situation exige également que Spears laisse sur place ses camions opératoires, ainsi que le camion-pharmacie, lesquels sont le soutien matériel logistique indispensable au fonctionnement d’un centre de triage et de traitement qui se constitue autour du groupe sanitaire. Le sergent KEREBEL , de l’ambulance Spears qui, depuis l’origine, s’occupe de l’entretien et du fonctionnement de la salle d’opérations mobile, reste également sur place. Tandis que le convoi motorisé du PCA coupant à travers le désert, rejoint la partie principale de Spears qui a déployé ses tentes sur la plage même de Sollum, les événements se précipitent à Bir Hakeim où, dès la journée du 26 mai, la canonnade se fait entendre. Le 27 mai est marqué par une première et spectaculaire attaque de chars, appartenant à la division Ariete, qui se heurtent aux tirs très efficaces de l’artillerie. L’attaque tourne court. De nombreux équipages de chars sont faits prisonniers. Parmi eux, leur chef, le colonel PRESTISIMONE qui est blessé et conduit au groupe sanitaire pour y être opéré. Il fait preuve de beaucoup de cran mais provoque des réactions de surprise amusée lorsqu’il réclame du Champagne avant de passer sur la table. Cette première action entraîne peu de pertes dans nos rangs. La plupart des blessés de la journée sont Italiens. Tous sont traités dans les meilleurs délais. Pendant les jours qui suivent, les combats s’éloignent et les patrouilles reprennent leurs activités tous azimuts autour de la position. La plus grande incertitude règne quant aux opérations en cours sur l’ensemble du front. L’activité aérienne est réduite et les blessés, peu nombreux, proviennent essentiellement des opérations de harcèlement, menées par les groupements mobiles opérant autour du camp retranché. Le 30 mai au matin, le médecin capitaine DURRBACH arrive à Bir Hakeim avec un convoi de ravitaillement. Le retour des camions vers leur base arrière permet d’évacuer les blessés, français, italiens et hindous, qui saturent la faible capacité d’hospitalisation du Groupe Sanitaire. Le 31 mai, il est de nouveau question de faire mouvement en avant, mais, dans le même temps, l’aviation de l’axe reprend ses bombardements et ses mitraillages, causant des pertes sensibles au niveau du BM2 dont l’infirmerie est détruite. Le 1e et le 2 juin commence l’investissement de la position par les forces italo-allemandes tandis que le général KŒNIG rejette le premier ultimatum qui lui est adressé Le 3 juin, après le rejet d’un deuxième ultimatum, il apparaît clairement qu’il va falloir faire face à un siège en règle. Les duels d’artillerie s’intensifient, de même que les bombardements aériens : le nombre des tués et blessés augmente parallèlement. Le médecin commandant VIGNES, qui était parti opérer sur place les blessés à Rotonda-Signali, rentre à Bir Hakeim avec le groupe mobile du colonel BROCHE . L’arrivée de quelques camions chargés de munitions les 4 et 5 juin laisse espérer qu’une nouvelle évacuation de blessés, devenue tout à fait urgente, va pouvoir avoir lieu mais le convoi qui tente de rejoindre les lignes alliées le 5 juin au soir, se heurte a détachement blindé ennemi et doit faire demi-tour en partie. Le 6 juin, les attaques des forces de l’Axe contre le camp retranché redoublent de violence et la densité du feu est telle qu’elle interdit d’utiliser plus longtemps la salle d’opérations mobile dont la haut silhouette semble attirer les tirs de l’ennemi. Ses cloisons métalliques sont percées en maints endroits par les éclats. Désormais les chirurgiens interviennent dans des trous sommairement aménagés. Il n’est même plus possible de se déplacer, de jour, qu’en rampant, l’ennemi surveillant étroitement ce qui se passe dans le périmètre du camp et prenant pour cible tout ce qui bouge. Le 7 juin, les combats se poursuivent avec Pour cette seule journée on dénombre 34 tués et 64 blessés. En fait, le nombre des blessés est certainement supérieur comme mais comme les faibles capacités d’hospitalisation du groupe sanitaire sont complètement saturées, la plupart des blessés légers sont soignés dans les unités et beaucoup ne sont pas pris en compte dans les états journaliers. Le 8 juin la situation sanitaire s’aggrave encore et les médicaments les plus indispensables commencent à manquer. Une tentative de ravitaillement sanitaire par air a échoué, la veille, les parachutes ne s’étant pas ouverts. Le 9 juin, au moment où l’infanterie ennemie se prépare à lance de nouvelle attaque, vers 13h, deux vagues de Stukas viennent déverser leurs bombes sur le centre de la position où se trouvent concentrés, dans un rayon de 0 m, le PC de la brigade, le groupe sanitaire et des prisonniers italiens et allemands. La tente d’hospitalisation est anéantie par plusieurs coups directs. C’est peu dire que ses occupants sont tués : ils sont littéralement volatilisés, comme l’ait été le lieutenant ALDERSON à El Azrag, dans des conditions identiques, quelques mois auparavant. Par recoupement, il apparaît que 15 blessés au moins et 3 infirmiers ont disparu. A la nuit tombée, le Génie envoie un engin recouvrir leurs restes. Le tertre marquant l’emplacement de la fosse commune qui deviendra, par la suite, le centre de l’ossuaire. La cathédrale a été elle aussi, complètement détruite sans perte de vies humaines puisque depuis quelques jours elle n’était plus utilisée pour cause d’insécurité. La fin de la journée est marquée par un nouveau bombardement du groupe sanitaire qui est désormais considéré par les combattants de Bir Hakeim comme un lieu maudit. La journée du 10 juin est consacrée à une remise ordre partielle de la partie du camp occupée par le groupe sanitaire, après les grands bouleversements de la veille, puis à la préparation de l’évacuation. Conformément aux ordres de l’état-major, les unités combattantes évacuent les blessés couchés sur le groupe sanitaire à la nuit tombante. Peu après, les ambulances dans lesquelles ils ont été chargés, vont prendre place dans le convoi qui est en train de se former en vue de forcer la sortie. Pendant des heures, elles subiront tous les aléas de la difficile progression nocturne à travers les lignes ennemies. Deux d’entre elles sont incendiées au cours de l’opération. Certains des blessés sont blessés une deuxième fois ; d’autres ne rejoindront jamais le point de ralliement et seront faits prisonniers, le lendemain, par les forces de l’Axe. Comme le reste de la brigade, le groupe sanitaire sort très éprouvé de la bataille mais la présence d’équipes chirurgicales en première ligne, comme l’avaient prévu et voulu les responsables du Service de Santé, a permis de sauver de nombreuses vies humaines. Elle a, sans aucun doute, contribué également à maintenir le moral des combattants, ce qui n’a peut-être pas été suffisamment souligné dans les récits, strictement militaires, qui ont été faits depuis lors.
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