* »HOMMAGE au COMMANDANT MIRKIN » par Pierre PASQUINI
Le 15 Août 1944, j’étais sur un bateau qui était polonais, et il n’apparaissait normal que ce bateau polonais ne ramène en France, puis que nous avions commencé la guerre à cause de Dantzig.
Dans la brume, nous avons commencé à distinguer un vague contour et c’est l’aumônier – était-ce un signe de Dieu ? – qui a dit cette phrase qui était peut-être ridicule, nais qui fit briller quelques yeux : » Regardez, regardez, disait-il en tendant ses jumelles, on voit des arbres français . » C’était la plage de Cavalaire.
Sept jours après seulement, le Commandant MIRKIN faisait à lui seul plus de 500 prisonniers, retranchés dans l’Arsenal de Toulon.
En effet, le 21 Août au matin, dans une ville où nos éléments les plus avancés étaient à peine arrivés à la place de la République, cet Officier, alsacien et français dans l’âne, était parvenu aux environs de l’Arsenal et, par téléphone, il avait fait croire au Colonel allemand que mandant l’Arsenal que sa garnison était encerclée, et qu’il n’avait d’autre chose à faire qu’à se rendre.
Il avait ajouté, avec une persuasion que seule pouvait lui donner une parfaite connaissance de la langue allemande, qu’un tir d’artillerie allait être déclenché sur l’arsenal, et c’est ainsi qu’il avait obtenu la reddition.
Je servais alors au 1e DCR., unité commode parce qu’on pouvait lui demander toutes sortes de choses, mais qui n’en fut pas moins une unité qui, proportionnellement à son effectif, avait perdu le plus de monde en Italie.
Le Commandant MIRKIN me connaissait bien. Il n’avait croisé au matin aux environs du faubourg Est de Toulon, qui a nom St Jean du Var, et il m’envoya chercher, avec une dizaine d’hommes, pour l’aider à sortir les prisonniers. Malgré l’aide des FFI, ce ne fut pas possible, et ils furent enfermés dans les magasins de Monoprix, qui continuent d’exister sous une autre appellation dans la rue de la République à Toulon. Ils y passèrent la nuit.
Le lendemain, 24 Août, des tirs allemands tombaient encore aux lisières de Toulon. Des balles sifflaient à peu près de tous les côtés. Le 22e BMNA, massé à l’entrée de la ville, attendait d’être débarqué pour nettoyer l’Est de Toulon.
J’ai reconnu la zone de débarquement du 22e avec le Capitaine PONS, qui commandait mon unité, en attendant les ordres du Commandant MIRKIN.
A 10 heures, avalanche d’obus très précis sur le fort Sainte Catherine ; la fusillade de rues continue.
J’ai demandé à mes hommes d’être tous guêtres, casqués et en baudriers blancs. J’ai l’effectif d’un demi-escadron, lorsque le Commandant MIRKIN arrive, et il nous indique immédiatement que nous allons essayer de sortir les prisonniers de Monoprix.
Départ, motards en tête ; le centre de la ville, à mesure qu’on en approche, parait de plus en plus ruiné ; beaucoup de dégâts. Nous passons une place où les bâtiments sont en feu et où des obus tombent à intervalles intermittents, les balles sifflent toujours.
Nous arrivons devant Monoprix et nous faisons sortir cette nasse d’Officiers, de Sous-officiers et ci ’bonnes, que nous devons cependant protéger des injures tardives de certains civils qui les houspillent et les bousculent.
Nous sommes obligés de les ranger en colonnes par quatre, et malgré les balles, nous voyons une, deux, dix et finalement de très nombreuses fenêtres s’ouvrir. Les gens sortent de leur trou, de leurs balcons et huent cette nasse d’ hommes désarmée.
Je fais avancer la tête de la colonne rue de la République, devant le magasin Christofle, jusqu’à ce que tout le monde soit dehors. La colonne est très longue.
Je dispose la moitié de mes jeeps d’un côté, la moitié de l’autre, échelonne les motocyclistes des deux côtés, des hommes à pied, l’arme à la nain, et au signal du Commandant MIRKIN qui exulte visiblement, je donne l’ordre de marche ; je me met en tête avec ma jeep à la vitesse de l’homme au pas.
Par surcroît de précautions, nous avons alerté deux half-tracks de fusiliers-marins, équipage à la mitrailleuse.
La colonne avance le long de la grande avenue, en débouche, et se trouve tout à coup sur l’immense terre-plein qui porte, aujourd’hui, le nom de Bir-Hakeim. C’est à ce moment-là que des obus de mortiers allemands arrivent aussi sur nous. Un moment d’hésitation de na part., je continue à avancer.
Le Caporal CHERRY traduit en allemand à la tête de la colonne mon ordre » Pas de Gynnastique ».
Eclatements d’obus à droite et à gauche, assez près pour que je ne les entende pas siffler. Il semble qu’on tire également à la mitrailleuse. Un ou deux allemands tombent pas loin de moi ; violente réaction des half-tracks des fusiliers-marins.
Nous nous approchons de la rue qui, à travers les maisons de St Jean du Var, nous net à l’abri ; nous y sonnes, nous respirons, les prisonniers aussi. Et pourtant, c’est la traversée de St Jean du Var qui sera la plus pénible. Les civils, à l’abri, s’approchent des prisonniers, en frappent, en tuent. Je ne rends compte pour la première fois de ce que les Français ont souffert à la cruauté que je lis dans les yeux de certains et, du mieux que nous pouvons, nous essayons de protéger ces hommes qui ont les mains en l’air.
Nous continuons à marcher jusqu’à l’entrée Est actuelle de Toulon, où le Brigadier-chef Pierre PROVENÇAL a été chargé d’organiser le fort à prisonniers. Certains prisonniers sont exténués ; j’en fais mettre deux ou trois sur les jeeps.
Leurs Officiers en tête attendent et cherchent non regard. Il n’y a plus d’arrogance. L’un deux, petit officier roux, est en chemise ; le Commandant MIRKIN lui a fait enlever son pantalon.
Arrivés à l’endroit convenu, nous les faisons asseoir et je les laisserai plus tard aux nains de l’Aspirant BEER du 2e Bureau et d’une section de Troupes noires.
Vers 18 heures seulement, je reviendrai vers Toulon pour réquisitionner l’hôtel de la Roseraie où tous les hommes de mon escadron auront une chambre. La fusillade ne s’est toujours pas terminée, les balles continuent de siffler. Nous dormirons quand même, fiers d’avoir contribué à ce qui reste un exploit.
Le 5 Septembre, le Commandant MIRKIN, pour ce haut fait d’armes sera décoré par le Général de GAULLE. Je retrouverai bien plus tard un magazine lyonnais qui en reproduit la photo et j’irai la porter moi-même au Commandant MIRKIN devenu l’adjoint du Colonel RAYNAL, dans une ferme des environs de Belfort.
Le 20 novembre dans l’après-midi, j’apprends que le Général BROSSET , qui vient d’emprunter une de nos jeeps, le « Midi-passe » appartenant au Cannois SECCHI, vient d’avoir un accident. Je fonce sur les lieux. Le Général, qui conduisait comme toujours à tombeau ouvert, n’a pas pu éviter un fourneau de mines sur un ponceau qui enjambe le Rahin , et la jeep est dans l’eau, les quatre pneus en l’air.
Dans l’eau jusqu’aux cuisses, le Commandant MIRKIN, PICOT, le chauffeur du Général ; qui essayent de traverser et appellent à l’aide.
Nous sommes aussitôt à l’eau, Jacques ZEITOUNI, l’Aspirant Yves ROCCA, l’Aspirant TEZENAS et moi-même Le Commandant MIRKIN est furieux d’excitation : « Le Général est là-dessous. Il faut le sortir ! ».
Nous manquons d’être emportés par le courant. Nous soulevons la jeep ; nous traversons et courons sur la berge. Nous chercherons, trempés sur près de deux kilomètres.
ESTRADE est sauvé par TEZENAS , comme Jean-Pierre AUMONT a été soutenu immédiatement après l’accident par SECCHI . Nous traverserons à nouveau le Rahin pour remonter l’autre berge, faisant encore deux kilomètres inutiles, consternés, douloureusement peines, dans la nuit qui tombe.
GIROMAGNY sera pris le 23 Novembre au matin et le Commandant MIRKIN sera tué le soir-même d’une balle dans la tête en marchant en tête d’éléments de pointe du côté de ROUGEGOUTTE.
M Pierre PASQUINI (D.C.R)
Le combattant de la 1e Division Française Libre n°5, août-septembre 1984
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