Par le Général Bernard SAINT HILLIER,
article paru dans le bulletin BIR HAKIM…L’AUTHION n°146 d’octobre 1992.
En octobre 1942, les forces britanniques luttent depuis trois ans dans le désert contre les armées italo-allemandes
Dès juin 1940, les Français Libres combattent à leur côté, leur nombre atteint 7 000 hommes lors de la bataille d’EL ALAMEIN : aviateurs du Groupe Lorraine, Parachutistes des S.A.S, Spahis et soldats des Chars d’un petit groupement blindé, et deux brigades d’Infanterie. Sur mer, combat le Sarvognan de Brazza.
Durant ces trois années, les avances foudroyantes suivies de reculs précipités se sont succédés, entraînant le changement des Commandants en chef malheureux : Grazziani, Wawell, Auchinleck.
Nous appelions ce va et vient la promenade des Anglais .
Lorsque la bataille d’EL ALAMEIN commence, les combats n’ont pas cessé depuis Juin 1942.
Rommel a pour mission d’atteindre le Caucase par l’Afrique et le Moyen-Orient pour prendre à revers les défenses soviétiques : c’est l’époque de Stalingrad. En Juin 1942, il va de succès en succès et la VIII ème Armée battue est repoussée jusqu’à un goulet, large de cinquante kilomètres, situé entre El Alamein et la dépression des sables mouvants de QATTARAH.
Les quinze jours de résistance de la Brigade du Général KOENIG à BIR HAKEIM puis les quelques jours de combat de la Garde Anglaise à KNIGHSTBRIDGE (le chaudron du diable) ont donné le temps à AUCHINLEK d’installer une position de résistance occupée par des Divisions fraîches ainsi que des blindés américains venus d’Angleterre.
CHURCHILL, mortifié par la perte de TOBROUK consent désormais un effort considérable pour soutenir ses combattants du désert.
En revanche, du côté ennemi, les ravitaillements se font de plus en plus difficiles. Weygand a déjà livré 3 200 camions, des canons, des vivres, des munitions pour permettre l’offensive de ROMMEL en juin 1942. Maintenant l’Italie est le seul fournisseur et ne peut faire face aux besoins.
La marine anglaise attaque tout ce qui bouge sur mer soit au large de Malte, soit au Sud de la Crète.
La Royal Air Force mitraille les routes et bombarde les ports. Or, il y a 3 000 kilomètres à parcourir par cabotage pour acheminer le ravitaillement aux combattants ennemis.
La seule aide que Darlan puisse encore accorder se réduit à la possibilité de faire transiter la logistique adverse par la Tunisie.
En juillet 1942, les effectifs et les moyens des deux adversaires sont égaux.
AUCHINLECK lance alors une contre-attaque pour disloquer le dispositif italo-allemand. Les Italiens cèdent sous les coups des Australiens et l’élan de Rommel est brisé. Les Britanniques perdent deux fois plus de monde et de chars que l’ennemi, mais leurs ressources sont inépuisables, tandis que les pertes de Rommel sont irréparables.
C’est alors qu’ALEXANDER prend le commandement du théâtre d’opérations et MONTGOMERY celui de la VIIIe Armée.
L’Amiral Harwood règne sur mer, et l’Air Marshal Tedder dans les airs.
La personnalité de MONTGOMERY est aujourd’hui bien connue, mais à l’époque son arrivée fait sensation : il n’appartient pas à la catégorie des plaisantins, ile ne boit pas, ne fume pas, et vit dans le désert avec son Quartier Général. L’éducation physique obligatoire élimine les poussifs et les bedonnants, la pratique religieuse imposée fait partir les sceptiques.
L’instruction du combat est menée rondement, toujours avec des tirs réels : elle a pour but d’inculquer deux principe :
- il faut tuer pour ne pas être tué,
- une formation ne cesse d’attaquer que lorsqu’elle a perdu la moitié de ses effectifs.
AU mois d’août 1942, Montgomery tend un piège à Rommel. Il lui fait parvenir de fausses informations sur ses effectifs, il camoufle ses chars en camions inoffensifs et abandonne entre les lignes des cadavres d’officiers d’Etat-major, porteurs de cartes faussement renseignées.
Ainsi téléguidé Rommel engage trois divisions allemandes dans une nasse, les offrant aux coups de l’artillerie ou des chars anglais, et de la Royal Air Force qui déverse 1 300 tonnes de bombes sur l’Afrika Korps.
Rommel prend dans l’affaire un quart des blindés qu’il possédait encore, mais conserve un mouvement de terrain facilement défendable : l’HIMEIMAT…dont nous reparlerons.
Du côté britannique, une Brigade néo-zélandaise est rayée des effectifs.
Mussolini venu faire une entrée triomphale à Alexandrie , repart pour l’Italie, abandonnant son cheval blanc. Les médailles frappées pour célébrer la victoire italo-allemande ne seront jamais distribuées. Rommel est alors réduit à la défensive. Il répartit ses onze Divisions en deux groupements, gardant en réserve deux divisions blindées allemandes prêtes à se réunir pour contre-attaquer. Deux épais champs de mines continus, soit plusieurs millions de mines, protègent son front.
Il est obligé, pour soutenir le moral de ses alliés italiens, de truffer leurs formations d’Unités allemandes.
La supériorité britannique est alors écrasante
- 230 000 hommes contre 152 000 (90 000 Allemands, 62 000 Italiens)
- 1 400 chars contre 600
- 1 300 avions contre 400
Il faut noter à ce propos que la dernière offensive aérienne ennemie sur le front Ouest, durant toute cette guerre, s’est faite sur Bir Hakeim qui a subi 1 200 sorties aériennes.
Si ROMMEL dispose d’une artillerie imposante, MONTGOMERY lui, possède une artillerie encore plus puissante. et nombreuse qui le 23 Octobre déclenchera une préparation plus intense que celles que connurent nos anciens en 1916 à Verdun.
La rupture du front ennemi va se faire par une opération frontale d’une rare violence qui durera douze jours.
Il est possible de s’en faire une idée par les pertes subies en blindés : les Anglais perdent dans la bataille huit cent chars, et l’ennemi cinq cent vingt. Le 4 Novembre, vingt cinq mille tonnes d’obus seront consommées du côté britannique. Le nombre des morts est de quatre-vingt trois mille.
Venons en à la participation française à cette bataille.
L’idée de manœuvre de Montgomery est de percer au nord, afin de pouvoir utiliser la route côtière pour mener la poursuite. L’effort principal est confié au 30e Corps qui comprend quatre Divisions.
Pour tromper l’ennemi sur ses intentions, Montgomery fait attaquer avec la même détermination les trois Divisions du 13e Corps dans le Sud.
Deux Divisions Blindées britanniques se tiennent prêtes à entrer ensemble dans la bataille au point ou l’ennemi faiblira.
La 1e Brigade du Général Koenig reçoit le 19 Septembre l’ordre de remplacer la Brigade néo-zélandaise détruite. Nous reversons le matériel français rescapé de Bir-Hakeim et percevons un armement britanique. Les camions qui nous sont attribués généreusement ont une particularité curieuse : l’eau des radiateurs bout instantanément. Nos mécaniciens découvrent qu’une résistance électrique placée dans les radiateurs réchauffait le liquide : nos engins étaient destinés à la Russie !
Au début du mois d’Octobre nous sommes en ligne, à l’extrême Sud, en compagnie d’une colonne blindée française : une Compagnie de chars, et le 1e Régiment de marche de Spahis marocains. Notre mise en place attire l’attention de l’aviation allemande qui intervient à dix-sept reprises au moyen de quatre stuckas.
L’objectif qui nous est donné se trouve à seize kilomètres de notre base de départ, c’est le plateau de l’HIMEIMAT pris par Rommel en Août dernier.
Ce plateau présente sur sa face Sud un escarpement rocheux dominant la plaine de cent dix huit mètres et infranchissable même aux véhicules chenilles, sa face Nord en revanche s’abaisse progressivement en une douce inclinaison.
La 1e Brigade française attaquera l’escarpement Sud, tandis que la 7e Brigade blindée anglaise, celle des fameux « rats du déserts » abordera l’objectif par le Nord.
Cette action a pour but d’attirer la 21e Panzer allemande et de l’empêcher d’intervenir au Nord.
Deux Régiments d’artillerie, notre 1e Régiment d’artillerie, et un Régiment britannique appuieront l’action. Leurs positions de batterie seront protégées par le Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique qui- rassemble les « Marsouins » survivants de Bir-Hakeim : Français de métropole, canaques et caldoches, et la Compagnie antichars de la Légion.
Protégés sur leur flanc gauche par la Colonne blindée française, deux Bataillons de la 13e Demi-Brigade de Légion Etrangère donneront l’assaut.
Le Colonel AMILAKVARI commente ainsi l’ordre d’opération qui lui est donné » Ce n’est pas la première fois qu’on nous demande quelque chose d’impossible : mais cette fois c’est tellement c.. que cela peut réussir « .
Les Légionnaires vétérans des débarquements de Bjerwick et Narvik, des combats du Gabon, d’Erythrée, de Syrie, de Mechili et Bir-Hakeim, eux, ne s’étonnent plus de rien.
Nous savons que l’opération sera difficile, car trois champs de mines couvrent l’objectif, et les observateurs britanniques, chargés de surveiller le terrain en avant de nous, se sont faits tout simplement enlever la veille de l’attaque par une patrouille de Parachutistes de la Folgore.
Il nous faudra cinq heures pour parvenir au pied du plateau de l’Himeimat. La préparation d’artillerie a commencé le 22 Octobre à 23 heures. Depuis la dépression de Qattarah jusqu’à la mer, le champ de bataille est éclairé comme en plein jour par la lune et les éclairs des coups de départ de mille deux cent canons qui déversent plusieurs milliers de tonnes d’obus sur nos voisins. L’ennemi réplique bientôt.
A minuit le premier Bataillon de Légion commence l’ascension du plateau, il se heurte à deux champs de mines : il est aussitôt pris sous le tir violent d’armes automatiques, de mortiers et de canons antichars. Il est impossible d’alerter notre artillerie car la radio ne fonctionne pas dans cette zone. Un phénomène électrique ne permet pas de correspondre.
Jusqu’à 3 heures du matin, les Légionnaires tentent de progresser et les pertes s’accumulent. Soudain sur le flanc gauche du Bataillon apparaissent les premiers chars allemands : ceux du 33e Groupement Recce de la 21e Panzer.
Notre flanc garde blindée et le 1e Bataillon font face mais doivent reculer pas à pas sous la pression des blindés ennemis.
Le Colonel AMILAKVARI donne alors l’ordre au 2e Bataillon de Légion d’enlever les hauteurs de l’Himeimat pour être à l’heure au « rendez-vous » avec la 7e Brigade blindée anglaise qui, en principe, progresse au Nord et doit assurer notre protection contre les chars.
Malgré les pertes et les mines, le 2e Bataillon, Compagnies LALANDE et MESSMER en tête, aborde à la baïonnette le Verne Bataillon Parachutiste italien qui défend âprement ses positions. Notre artillerie tire devant nous au jugé faute d’observateurs.
A 5 h 15 nous envoyons deux fusées, une rouge, une verte, l’objectif est conquis. Nous avons fait cent huit prisonniers et de nombreux cadavres parsèment le plateau.
A 6 heures, le //e Bataillon de la Folgore contre attaque en hurlant. Le choc est rude, nous arrêtons l’assaillant. Quelques Légionnaires sont blessés à coup de poignard.
Mais soudain, sur le plateau, débouche le Groupement Kiehl de la 21e Panzer, la 7e Brigade, empêtrée dans les champs de mines, n’est toujours pas là pour nous protéger.
Nous tenons une heure, mais les munitions s’épuisent et l’ordre de repli est donné : le 2e Bataillon redescend dans la plaine. C’est alors que, pressée par deux Groupements blindés, la Légion se replie. Elle a perdu tous ses camions brûlés un par un par l’artillerie ennemie, les liaisons radios sont intermittentes. Les canons de 75 antichars sont traînés à bras, reculant et tirant l’un après l’autre.
A 9 heures, nous formons un hérisson dans la plaine derrière un champ de mines.
L ’artillerie adverse et des avions nous prennent à partie. La situation devient critique, nous évacuons nos blessés, mais nous ne voulons nous replier que sur ordre.
Au flanc de l’HIMEIMAT, nous avons laissé une quarantaine de nos morts ou blessés.
L’Adjudant-chef BRANLER, vieux Légionnaire, vétéran de la guerre de 1914-1918 faite au Régiment de marche de la Légion rassemble les blessés. Ils tireront toutes leurs cartouches sur les patrouilles italiennes qui essaient de les capturer. Dernier survivant, Branler se fera sauter la tête avec une grenade, pour ne pas être pris.
Vers 10 heures, la Légion reçoit l’ordre de repli. C’est à cet instant que la dernière salve italienne blesse mortellement le Colonel AMILAKVARI.
La plupart des officiers sont blessés . le Capitaine SIMON prend le commandement du 2e Bataillon, je prends le commandement de l’ensemble pour ramener la formation sur une petite éminence où les stukas nous accueillent. Aucune attaque ennemie ne nous fera lâcher cette ligne de crête située à huit kilomètres de notre base de départ. Nous avions perdu un quart de nos effectifs, dont un nombre important de tués, mais la mission de maintenir au Sud la 21e Panzer avait été remplie. Nous avions détruit une dizaine de chars et quelques automitrailleuses.
Au cours de ce combat la 1e Brigade avait perdu cent sept tués et vingt-deux disparus.
Le Colonel AMILAKVARI était un prince géorgien, dont les ancêtres avaient acquis par leur courage la charge héréditaire de Commandant en chef de la Cavalerie cosaque du Caucase. Exilé en France, il travaille comme mécanicien chez Citroën, il est admis à Saint Cyr en 1924 et rejoint alors la Légion Etrangère à la sortie de l’école. Il participe à la pacification du Maroc. Son courage, son mépris du danger sont déjà légendaires à la Légion lorsque la guerre est déclarée.
Après la Campagne de Norvège, de 1940, il gagne l’Angleterre le 18 Juin en partant de Bretagne et se rallie au Général de Gaulle, entraînant à sa suite tous ses subordonnés. Mille cent Légionnaires de la 13e Demi-Brigade constituent ainsi le noyau des Forces Françaises Libres.
« Je dois tout à la France, disait-il, je lui dois d’être ce que je suis, je ne l’abandonnerai pas lorsqu’elle a besoin de moi « .
Adjoint du Général KOENIG à Bir-Hakeim, il mène toutes les contre attaques et, de ce fait, prend une part importante à la résistance opposée aux quatre Divisions que commande Rommel en personne.
Une promotion de Saint Cyr porte son nom.
*LA PERCEE
Après le repli de la Légion, le combat continue dans la plaine au pied de l’Himeimat, les chars allemands très actifs sont repoussés par les auto canons CONUS des Spahis de KERSAUZON et les chars de DIVRY. Le Bataillon d’Infanterie de Marine intervient et le 1er Régiment d’Artillerie exécute des tirs de harcèlement sur le plateau, les Paniers reculent.
La 2e Brigade (Bataillon de Marche n°5 et Bataillon de Marche n°11) est en ligne à dix kilomètres au Nord de l’HIMEIMAT et participe à la bataille. Elle est rejointe dans la nuit du 27 au 28 Octobre par la 1ère Brigade qui s ’installe à ses côtés, au Sud.
Mais le Général de LARMINAT n’a pas reçu pour autant le commandement des formations françaises regroupées, le Général Montgomery a rattaché les Brigades françaises à deux Divisions britanniques différentes, la première à la 44e Division, la deuxième à la 50e Division.
Leur mission est d’accomplir des « mock attacks » (fausses attaques, mais vrais combats), afin d’attirer sur elles l’attention ennemie loin de l’Action Principale qui marque, à cet instant, de réels progrès dans le Nord près de la Côte.
Face aux Français et couverts par les champs de mines Von » et « Volga », les Parachutistes allemands du Groupe Burckhart et ceux de la Division Folgore italienne tiennent des points d’appui solidement organisés sur les cotes 104, 103, 92 et 101.
Les deux Brigades reçoivent l’ordre de s ’emparer de ces points forts, et le 30 Octobre, le BM 5 du Lieutenant-Colonel GARDET, et le BM 11 du Capitaine LANGLOIS s’emparent de 104 et 103, mais ils sont arrêtés dans leur progression par des tirs de mortiers et le feu nourri de mitrailleuses qui partent de 101.
Toute l’artillerie de la 50e Division et le tir dans les embrasures des canons de la Compagnie antichars n°2 du Capitaine MAGENDIE ne peuvent venir à bout des Parachutistes défenseurs de la cote 101.
Le Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique entre alors en action, le Commandant BOUILLON l’entraîne à l’assaut des cotes 92 et 101. La 3e Compagnie du Capitaine LABORDE parvient jusqu’aux réseaux de barbelés truffés de mines qui couvrent les mitrailleuses lourdes Breda et les canons de 47 des Parachutistes ennemis.
On se bat à la grenade puis au corps à corps et les pertes sont énormes. Les Lieutenants DOMANGE et BOLLOT sont blessés, le Lieutenant ANGLADE reste le seul chef de Section indemne.
Le Commandant BOUILLON signale dans son compte rendu que des Tahitiens ont été blessés à coup de poignards par les Parachutistes de la Folgore.
Notes
(1 ) Blessés : les Commandants Bollardière, les Capitaines Bablon, Morel,. Lalande, Wagner, le Sous-Lieutenant Lepoivre. Tués le Colonel Amilakvari, le Sous-Lieutenant Suberbielle.
*EN SAVOIR PLUS
- Robert de KERSAUSON : la participation des Français Libres à la Bataille d’El Alamein
Comments (1)
les italiens et les francais qui se tuent…c’est pas juste.