*CAMPAGNE D’ITALIE : d’avril 1944 à juillet 1944
20 avril 1944 . Après une bonne nuit, je me réveille vers 6h30, il fait beau temps, nous approchons de Naples. A gauche nous avons l’ile de Capri, à droite le Vésuve, mais il y a de la brume ; je suis fort déçu par les deux peut-être parce que ceux qui les ont décrits, les ont vus dans des conditions différentes. Nous entrons dans le port, il y a beaucoup de bateaux endommagés, mais encore plus qui chargent et déchargent. Nous accostons contre un bateau coulé sur lequel il y a une passerelle que nous emprunterons pour aller à terre. Des camions d’une compagnie française du Train nous attendent, nous y embarquons à 25 par camion et filons vers la campagne.
Nous traversons Naples, la région du port a été sérieusement endommagée par les bombardements. La campagne est belle et déjà on sent que l’on a quitté l’Afrique. Nous traversons de grands champs de peupliers, ils sont élagués et au pied de chacun il y a une treille dont les branches sont palissées de chaque côté. Entre les arbres le terrain est planté en céréales ou en chanvre. Il faut que la terre soit bien bonne pour nourrir toutes ces récoltes. Nous arrivons dans un village et nous nous installons dans un vieux théâtre romain, mais j’attends avant de déballer ; en effet le cantonnement ne convient pas et nous restons à attendre des camions qui doivent nous conduire à un village proche. Après deux heures d’attente nous décidons de nous y rendre à pied. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas marché sac au dos, enfin ce n’est qu’à quatre km et nous y arrivons sans trop de peine.
Nous sommes cantonnés chez l’habitant mais, notre colonel qui préfère la tente, s’installe dans un jardin et naturellement l’état-major l’y suit. C’est un très joli jardin, mais abandonné depuis quelque temps, le propriétaire était parait-il un fasciste. A l’entrée il y a une superbe glycine en fleurs, mais déjà dans les ruines de Naples j’en avais remarqué en pleine floraison. Dans ce jardin, il est assez curieux de trouver ensemble palmiers, bananiers, citronniers, orangers, avec des poiriers, noyers, pommiers etc. en somme des plantes d’Afrique et d’Europe. Pour les paysans, qui nous accueillent favorablement, c’est une source de richesse supplémentaire, car il parait que la nourriture est un peu insuffisante. Ce qui parait compréhensible vu le nombre d’enfants que l’on voit. Que de gosses ! il y en a partout, sales souvent, cependant ils ont presque tous bonne mine. Dans les maisons et sur les murs, il y a beaucoup d’images pieuses ; dans notre jardin il y a une Sainte Vierge et peut-être un sanctuaire dont les peintures sont effacées. Pour ce soir nous en faisons notre chambre à coucher. Comme nous n’avons qu’une couverture nous mettons du chanvre sec par terre. Nous dormons mal, des fourmis et d’autres insectes nous passent sur la figure. Déjà on sent que ce n’est plus l’Afrique, les nuits sont moins calmes et les chiens n’ont pas la même voix.
21 avril 1944. Montage de la tente et organisation.
Dimanche 23 avril 1944. Grand-messe, nous sommes nombreux a nous y rendre, l’église est sympathique, il y a beaucoup de statues de saints et de saintes, de vieux tableaux peut-être célèbres. Je regrette cependant qu’ils aient adopté des cierges électriques. Nous passons la journée à flâner dans le village qui s’appelle Frignanio (Maggiore) ; il faut faire attention ici car les villages marchent par paire pour ainsi dire. Ainsi, hier en allant percevoir de l’essence près de Fertillia, quand j’ai demandé ce village, on m’a demandé lequel je cherchais. Frignanio est à environ 20 km de Naples et 60 km du front de Cassino. Hier soir nous entendions faiblement le canon.
Les filles sont belles, surtout de poitrine, par contre elles ont de vilaines jambes marbrées ou avec de nombreuses cicatrices, peut-être par ce que plus jeunes, elles étaient toujours pieds nus. Leurs vêtements manquent de charme, la plupart sont faits avec des toiles de tente italiennes brunes ou camouflées.
A la sortie du village, j’ai remarqué de grands trous carrés, et je me rends compte ce soir que ce sont des carrières. A environ deux mètres de la surface il y a une roche molle qui durcit à l’air ; l’extraction en est très primaire, à la pioche et au marteau. Une fois durcie elle est taillée en cubes. Les maisons du village sont construites avec, et ne sont guère solides.
26 avril 1944. Pluie d’orage toute la nuit, la tente américaine ne tient pas le coup et ce matin tout est mouillé ou humide. Comme il pleut encore à midi le colonel nous cantonne. Pour la section, cinq européens, nous avons un local de deux chambres. Nous couchons au premier et mangeons et cuisinons au rez-de-chaussée. Nous avons le désavantage de ne pas être chez nous dans notre jardin, mais le gros avantage d’être au sec et de ne pas avoir à se mettre à quatre pattes pour tout faire. L’après-midi, je descends à Naples avec le capitaine pour y chercher nos véhicules qui sont annoncés. Nous revenons bredouilles, les bateaux ne viendront à quai que demain.
27 avril 1944. Les véhicules arrivent pendant la nuit, je me lève à 2 h du matin pour aller relever REY , qui les dirige sur les unités ; à 7 h je descends à Naples pour m’occuper de nos véhicules. Le déchargement s’opère mal car les Américains, qui en sont chargés, sont brutaux : les câbles et les treuils fonctionnent mal, plusieurs sont abimés, c’est lent ; les équipes de déchargement s’arrêtent pour casser la croûte toutes les deux heures. A midi les camions ne sont pas encore à terre et nous allons déjeuner en ville, à quatre. Nous trouvons un petit restaurant et y mangeons passablement pour 75 francs chacun (150 lires). Des joueurs de guitare et de violon viennent nous faire la sérénade, et nous chantent des chansons italiennes. Une table d’Américains leur demande une chanson américaine, et des Anglais leur font jouer Tipperary. Il est curieux de voir que les anglo-saxons veulent trouver leur pays partout où ils vont et désirent que tous les pays soient comme le leur, ce n’est vraiment pas la peine de voyager.
A 17 h je rentre avec nos véhicules, qui n’ont pas eu trop de mal et qui n’ont pas été trop pillés, ma cantine et celle du capitaine ont été ouvertes, mais peu de choses volées, je retrouve ce qui me manquait dans la cantine du capitaine. Le voyage des cargos véhicules s’est assez bien passé, ils ont mis sept jours en passant par Malte et le détroit de Messine, se sont arrêtés 24h en Sicile, mais naturellement sans descendre à terre. Ils ont pu admirer le Stromboli en éruption de nuit. Par contre, ils n’ont pas eu le confort que nous avions, et ont simplement campé sur le bateau et mangé des rations américaines.
28 avril 1944. Installation et vérification des véhicules. Ce soir au village de Casa Luce, à 2 km d’ici, il y a eu une bagarre entre deux de nos compagnies et des Italiens cobelligérants, rien de très sérieux heureusement. Le détachement précurseur fait passer notre nouvelle destination.
Dimanche 30 avril 1944. Je vais percevoir des munitions d’instruction du dépôt français près d’Averra. Il y a surtout des munitions françaises. Somme toute, l’armée française en Italie est forte et bien organisée, bien qu’elle dépende des Américains ; elle a tous ses services et cela représente un bel effort. Presque toutes les brochures américaines sont traduites en Français, et bien. Il n’y a que quelques écriteaux dans la région du port dont la traduction me semble douteuse, par exemple pour Military Area , Aire Militaire au lieu de Zone militaire.
1e mai 1944. Je me lève à 5 h pour me rendre à Albanova servir de guide interprète à des camions d’une compagnie de transport américaine, qui doit nous aider à nous déplacer. Je voyage avec les trois camions de la CHR. Nous nous rendons à Ponte Ranito dans la région d’Avellino à 75 km à l’est de Naples et 110 km d’ici. Pendant la moitié du trajet nous empruntons des routes secondaires qui ne sont pas goudronnées et la poussière est effroyable, nous sommes obligés d’allumer nos lumières pour que les véhicules qui viennent en sens inverse ne nous emboutissent pas. La deuxième partie du voyage est moins poussiéreuse et très jolie et nous sommes maintenant en pays accidenté. Les chauffeurs américains noirs conduisent très bien et, bien qu’ils aillent vite par moments, je suis toujours tranquille.
Nous arrivons à Ponte Ranito ; la CHR est stationnée dans un moulin, l’EM dans la gare de Monternarana, les bataillons sont cantonnés dans les villages environnants. En somme c’est encore nous qui sommes les plus mal installés. Enfin, le site est beau, l’air est frais car nous sommes à 600 ou 700 m d’altitude, et une belle rivière coule à une centaine de mètres. Ce soir je vais faire un tour le long de la rivière, les habitants disent qu’il y a du poisson, de la truite selon toute apparence, mais il n’en reste guère, ils ont dû être péchés à la grenade par nos prédécesseurs.
Tous les ponts, routes et rails environnants ont été détruits par l’Axe, avant leur retraite. C’est un paysage agricole mais très pauvre, la main d’œuvre est fournie par les enfants des paysans, car presque tout est travaillé à la main et ne doit pas rapporter beaucoup. Les habitants ont l’air en meilleure santé et sont plus propres qu’à Frignagnio, et ils travaillent dur du lever au coucher du soleil. Le ravitaillement est assez bon, jambon à 150 F le kilo, œufs 7,50 F la pièce, c’est dans nos prix.
2 mai 1944. Organisation et reconnaissance des lieux. Tout le monde est d’assez mauvaise humeur.
3 mai 1944. Cela va mieux aujourd’hui, cet après-midi j’ai pris un bain dans la rivière, l’eau est froide mais supportable.
5 mai 1944. Hier soir je suis allé à Avellino chercher les officiers et la troupe rentrant de stages ou de permission. La route est tortueuse et belle. BEDARIDE est de retour de permission d’Alexandrie ; une fois de plus il a fait le voyage par la route jusqu’en Tunisie ; il me dit que maintenant la route est déserte, monotone et poussiéreuse. A Alexandrie, c’est la bonne vie, la guerre est finie pour eux, il reste juste assez de militaires pour rendre la vie agréable aux civils. Nous nous couchons assez tard, il y a un beau clair de lune, pas clair comme ceux du désert, mais avec de la brume dans les vallées. Les rossignols chantent toute la nuit, c’est la première fois que je les entends vraiment, c’est vraiment beau un peu comme les grives et les merles de jour.
Ce matin nous allons essayer nos 12,7 et nos rockets gun ; tout marche bien, le rocket traverse bien le blindage d’un char allemand, de 4 ou 5 cm.
Je reprends un bain dans la rivière, l’eau est toujours froide. Hier soir le vaguemestre nous a apporté le courrier, ce sont les premières lettres que nous recevons depuis avant notre départ de Béni Khiar.
6 mai 1944. Je pars en permission de la journée pour Naples, départ à 6 h, en passant nous irons visiter Pompei. Nous faisons la visite en une heure, c’est juste assez pour avoir un aperçu, pouvoir dire y être allé et compléter par une brochure. La ville est, curieusement, bien conservée et les peintures me frappent le plus, surtout celles du ail famé house (bordel) comme l’appellent pudiquement les Anglais. Naples est plein de mouvement, certains magasins sont bien achalandés, spécialement ceux des étoffes. Vers 18 h je retrouve le lieutenant FREMOND et PANCEL, et continue ma permission, en mission ; nous trouvons à manger et à coucher dans une maison particulière.
Le lendemain matin nous montons vers le front, pour percevoir du matériel dans des dépôts avancés. Nous passons deux jours à San Clémente, l’artillerie est derrière nous et fait un vacarme épouvantable. San Clémente, comme tous les villages sur le front, est complètement détruit. L’armée française est vraiment efficacement représentée dans ce secteur, d’ailleurs il n’y a que des Français en ligne. Nous redescendons à Ponte Ranito avec notre matériel et y arrivons sans trop de mal, malgré des routes très encombrées. De nouveau, pendant quelques jours, le calme de Ponte Ranito.
11 mai 1944. Nous devons partir et très vite, c’est toujours ainsi dans l’armée, enfin nous sommes presque prêts.
13 mai 1944. Départ de Ponte Ranito à 17 h. Je monte la route en lacet et je tombe en panne, juste en haut. Le carburateur est bouché ; heureusement, il fait encore jour et je peux le démonter. Nous repartons à la poursuite du convoi qui emprunte des routes détournées afin de ne pas bloquer la route principale N°7 B. A Aversa, comme je ne l’ai pas encore rattrapé et que je connais le chemin, je file en isolé par la route principale par Capua,Teano. Conca… Juste avant d’y arriver, il y a deux camions qui me suivent, peu après il y en a à l’infini. C’est le convoi qui m’a rattrapé et me voici involontairement chef de convoi. Nous arrivons à Conca à 3 h du matin, et trouvons notre emplacement vers 5 h ; mais c’est momentané car, dès l’après-midi nous repartons camper près de la passerelle (pont flottant) du Tigre sur le Garigliano.
16 mai 1944. Nos bataillons sont engagés, le génie a jeté une passerelle sur le fleuve, nous commençons à recevoir les bulletins de pertes et la tension nerveuse commence.
17 mai 1944. Nos troupes avancent et l’échelon les suit, nous même traversons le Garigliano et allons nous installer avant San Andréa. Nous passons devant quelques tombes et au moins un cadavre allemand, sur le côté de la route. Tous les ouvrages, petits ponts etc. ont été détruits par les Allemands en retraite. Le génie est déjà en train de les rendre passables.
L’endroit où nous sommes bivouaques est assez mauvais, le capitaine est parti plus loin, aussi je ne décharge que la moitié du camion au cas où nous devrions bouger, je suis ainsi à moitié paré des deux côtés. Le capitaine revient et, en effet, nous devrons aller plus loin afin d’être moins en vue de l’aviation.
Nous avançons jusqu’à quelques km de San Giorgio et là, sur la rive du Liri, nous sommes vraiment bien au point de vue confort, il y a beaucoup d’ombre.
Nous apercevons très bien le fameux monastère de Cassino.
Nous nous installons sommairement, sauf BROWN qui creuse son trou. Nous le chinons mais lui dit qu’il a toujours creusé son trou en arrivant et qu’il s’en est toujours bien trouvé. Vers 11 h quelques obus nous arrivent dessus, mais tombent à quelques centaines de mètres. Tout le monde se met ; creuser le trou individuel et Brown à son tour se moque de nous.
Tous ceux qui n’ont pas voulu se charger de leurs outils individuels sont bien embêtés. Enfin le bombardement s’arrête et nous pouvons continuer tranquillement à nous installer.
L’après-midi, je fais avancer le dépôt de munition et ce n’est que le soir en rentrant que je peux vraiment aménager mon trou. Je le fais suffisamment grand pour pouvoir dormir dedans, ce qui n’est pas plus efficace, mais je sais que, quand je dors, je suis assez long à me décider à me lever pour m’abriter. Bien m’en a pris, vers 11 h du soir j’entends des avions qui semblent voler bas et être nombreux. Je suppose que ce sont des Alliés, car il est assez tard pour que l’aviation ennemie vienne nous embêter. Ce sont pourtant bien des Allemands, ils jettent des fusées éclairantes et la D.C.A. entre en branle. Il fait clair comme en plein jour. Tout le monde vérifie le camouflage des véhicules ; plusieurs bombes tombent très près et la terre en tremble. Les avions cherchent les grosses pièces d’artillerie et tournent assez longtemps, de plus de l’autre côté du Liri se trouve un camp canadien. En somme si nous sommes bien au plan du confort, nous sommes mal d’un point de vue stratégique, puisque nous sommes bivouaques entre deux routes et une rivière. Les avions s’en vont et nous pouvons dormir.
18 mai 1944. Les bombes de la nuit dernière sont tombées tout près et une remorque du QG a été touchée par des éclats d’obus, plus en avant de nous. Des légionnaires qui venaient d’arriver ont eu 128 hommes hors de combat dont environ 25 tués, ils ont été atteints par un nouveau type de bombes, remplies de grenades, qui explosent avant d’arriver au sol. Nous continuons à encore mieux aménager nos trous.
Nos unités avancent très vite, la ligne Gustav (le long du Garigliano) est enfoncée, mais hélas les pertes sont sérieuses. De PALESNET est tué, pauvre vieux tout le monde le regrette, il s’était rallié au tout début et avait participé à la campagne de Libye 1940-41, avec le BIM ; il faisait partie de la flotte d’Alexandrie et était un des 150 marins qui n’avaient pas attendu trois ans et avaient rejoint Ismaïlia en juin 1940.
Ce qu’il y a de plus terrible dans la guerre, c’est que ce sont toujours les meilleurs et les plus jeunes qui sont tués. Les hors combat se chiffrent par centaines, rien qu’à la brigade, et parmi eux beaucoup d’officiers et de sous-officiers. Les Allemands non seulement défendent chaque pouce de terrain, mais laissent des tireurs d’élite dans les arbres ; ceux-ci laissent passer la troupe et abattent les officiers par derrière, ils cherchent ensuite à se rendre, mais je crois que peu sont fait prisonniers.
Le village de San Giorgio, comme tous les autres, est sérieusement détruit, des pelles mécaniques déblaient la route des éboulis des maisons. J’y passe assez souvent pour aller au QG. A certains endroits, l’odeur des cadavres est abominable, il y en a un d’Allemand juste de l’autre côté du mur, dans un jardin, le tronc recouvert de branches avec les jambes bottées qui dépassent. Saleté de guerre. Evidemment, personne n’a encore eu le temps de s’occuper de ces détails, il faut que les arrières suivent et vite. Heureusement que l’aviation ennemie est presque nulle, car la route n’est qu’une longue file de véhicules. Plusieurs Allemands qui traînent encore, isolés dans la nature, sont fait prisonniers, en particulier un, en civil, qui est confié à un tirailleur pour être conduit à la division et y être interrogé. Comme la plupart, c’est un gosse de 18 à 20 ans, il pense que sa dernière heure est arrivée. Ils ont beau être jeunes et peu aguerris, ils se défendent quand même fanatiquement. Nous utilisons maintenant les prisonniers pour enterrer les morts et pour manutentionner les munitions. Le cadavre du jardin a enfin disparu. Charles, un motocycliste, qui était parti l’autre soir en expédition à la tombée de la nuit, n’est pas encore rentré. Nous espérons encore qu’il a eu un accident et se trouve dans un hôpital quelque part, mais nous commençons à en douter.
22 mai 1944 . Pontecorvo est pris et dépassé, nous avançons de nouveau d’une vingtaine de km et nous nous installons à quelques km au N.O. du village. Pontecorvo n’est plus ; je crois que c’est un de ceux qui a le plus souffert : pas une maison n’est intacte mais, de loin, le monastère à l’air en assez bon état. Fleury a été blessé en hissant le drapeau français sur le village. La brigade est au repos pour quelques jours, ils l’ont bien mérité et il faut qu’elle se réorganise. Naturellement, pour nous échelon B, nous avons encore plus à faire, afin de remplacer les pertes en matériel et en personnel. Il y a des abris et des positions fortifiées vraiment formidables. Nous recevons trois compagnies de renfort. Le repos est de courte durée et à nouveau les unités remontent en ligne.
29 mai 1944. Nous allons nous installer à 5 km au sud de Pico, dans un joli petit coin, plein d’arbres et entouré de fortes collines. Ici déjà les dégâts sont moins importants car l’avance devient plus rapide. La maison dans laquelle sont cantonnés les officiers, était précédemment occupée par un état-major allemand. Elle est habitée par des femmes, et il y a trois filles, et aussi deux jeunes gens qui évidemment pensent à tout autre chose qu’à s’engager dans l’armée Badoglio. Dans les maisons environnantes il n’y a pas ou peu de gens, ils sont encore dans les monts environnants et rentrent petit à petit, en ramenant ce qu’ils avaient emportés. Nous passons quelques jours assez calmes, car la brigade est en réserve.
5 juin 1944. Nouveau déplacement, la brigade monte en ligne soi-disant pour nettoyage. Nous sommes cantonnés dans une belle villa, du moins le fut-elle, car elle a été bombardée ; elle appartenait à un député fasciste et gros banquier de Rome. Il est naturellement parti à Rome ou plus loin. Les échelons B des unités sont à côté dans une châtaigneraie et vraiment bien camouflés. Le village d’à côté s’appelle Zagarolo. Les dégâts ici sont moindres qu’à Pico. La villa est située sur une hauteur et surplombe la vallée ; de l’autre côté des collines, nous faisant face, se trouve Rome. Nous bivouaquons dans les jardins de la maison, ils sont magnifiques, on sent que c’est une villa d’été pour gens fortunés de Rome et non une propriété de rapport. Comme toujours un état-major allemand occupait la maison avant nous, est-ce une coïncidence ou un point stratégique ? En tous cas, si j’étais en retraite et si je disposais d’une aviation, j’irais toujours bombarder mon ancien emplacement et je serais presque sûr d’y trouver un nouvel état-major. Il y a des caves dans les environs et, dans ce qui reste de la nôtre, car une bombe est tombée en plein dessus, nous trouvons des bouteilles de Champagne français, vides hélas.
6 juin 1944. Nous apprenons avec joie la nouvelle du débarquement en France, les rumeurs sont fantaisistes et varient de Dunkerque jusqu’à Brest avec Le Havre et Rouen pris. Nous restons suspendus à la TSF, la BBC ne parle que de la Normandie. Le journal La Patrie, organe français du CEF (Corps expéditionnaire Français) annonce la prise des îles de la Manche. Je ne puis y croire et jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas réussi à en avoir la confirmation. Nous aussi faisons des déductions fantaisistes et parions que les Alliés seront à Paris avant une quinzaine de jours. Enfin, le fait est quand même beau, nous sommes en terre française, c’est un commencement. Comme nous envions la 2e DB qui doit y être ou en tout cas les Français qui y sont. Nous restons à Zagarolo jusqu’au 10 juin. Les opérations de nettoyage nous coûtent tout de même assez cher.
10 juin 1944. Départ de Zagarolo pour la maison cantonnière, route de Cassia au km 94, juste quelques km avant le beau village de Montefiascone. Nos unités sont cette fois vraiment engagées, ce n’est parait-il, pas très dur, mais hélas, le contraire se produit. Des chars américains doivent nous soutenir, en effet ils sont toujours derrière l’infanterie et ne s’approchent même pas des tirs de mortier. Heureusement, notre régiment de fusiliers marins fait des prouesses avec ses chars légers et ses quatre Sherman ; malheureusement il y laisse des plumes. Le commandant FOUGERAT du BM 4 est tué, c’est encore un de la première heure, ainsi que le capitaine de corvette AMYOT D’INVILLE qui, lui aussi en juin 40, avait remplacé le capitaine de corvette DETROYAT commandant des FM, lorsqu’il avait été tué en Syrie. Le commandant LANGLOIS du BM11, qui avait été blessé à Pontecorvo, s’est échappé de l’hôpital et se trouve de nouveau en ligne avec son bataillon.
Dès mon arrivée, je me rends à la partie du village située près de la gare pour y faire renouveler notre provision d’eau. Le village est presqu’entièrement désert sauf quelques vieux qui sont restés. La plupart des maisons sont intactes, mais fermées. Plusieurs militaires se promènent dans les rues, l’arme à la bretelle, et visitent quelques maisons et caves qui sont ou ont été ouvertes. Ils y prennent des petites choses, des ustensiles de cuisine ; certains détruisent un peu. Personnellement je n’ai pas le courage d’entrer dans ces maison si récemment habitées et encore en ordre. Sur le pas d’une porte est déposée une Sainte Vierge. C’est terrible de penser à ce que la guerre peut faire, pour aviver les mauvais instincts humains, surtout chez les jeunes. Evidemment cela peut à peine s’appeler du pillage, puisque les maisons sont abandonnées, mais plutôt récupération ; et puis on se dit toujours : si ce n’est pas moi qui le prend, celui qui viendra derrière le ferra. Enfin ce sont des Italiens, et beaucoup se sont mal comportés en Corse, et il y a beaucoup d’engagés corses chez nous.
J’entre cependant dans une cave ouverte, pendant que nos bidons se remplissent d’eau. Les fûts sont apparemment vides. Seules quelques bonbonnes sont remplies d’eau, elles ont été remplies par les habitants qui s’y étaient réfugiés pendant les bombardements. En fin de compte j’en prends quatre car la fontaine coule si doucement que je suis las d’attendre que mes bidons soient pleins. Je fais un tour dans les environs de la fontaine et trouve des petits poussins abandonnés, j’en attrape trois et les met dans le coffre de la voiture. Enfin nos bidons sont pleins et je rentre à la maison cantonnière. Nous nous installons dans le jardin autour des poulaillers et des clapiers. PANEL et MARIUS sont partis armés de mitraillettes à la recherche d’Allemands qui, parait-il, se promènent dans le secteur et qui nous ont été signalés par des civils. Ils reviennent bredouilles, mais ont trouvé un tunnel dans lequel sont réfugiés deux ou trois cents habitants du village. Ils ont été reçus en libérateurs, évidemment ces gens ne savent pas ce qui se passe au village. Ils entendent toujours le tonnerre du canon et ne savent pas quels canons tirent, si ce sont des coups de départ ou d’arrivée. Pour nous ça va, nous savons que ce sont nos pièces qui tirent sur l’ennemi et que nous sommes hors de portée de leur artillerie. Quand ces pauvres gens retourneront au village, ils regretteront bien de l’avoir abandonné car, comme le disait une vieille à un camarade :
— Les Allemands nous ont pris tout ce qui était de valeur, et vous, vous prenez le reste.
Evidemment, pour eux, des assiettes, un moulin à café ou une table leur sont indispensables, à nous aussi pour le moment, mais ensuite nous l’abandonnons en partant. Enfin c’est la guerre, et j’ai du mal à plaindre les italiens qui nous ont combattus.
12 juin 1944. Je dois aller chercher des munitions au dépôt 436. A l’entrée de Viterbe, j’avais remarqué un panneau, maintenant il faut le retrouver et il commence à faire nuit. Nous devons rouler en black-out et ce n’est pas facile de s’y reconnaitre. Enfin, à force de demander, je trouve le dépôt. Il est tenu par des Français qui m’apprennent qu’ils n’ont pas encore reçu les munitions que je demande. Ils viennent d’arriver et sont à peine installés. On sent que l’avance est si rapide que le dépôt de munitions a du mal à suivre. Comme nous, ils se déplacent tous les quelques jours et la route n’est pas suffisante pour contenir tous les véhicules qui y roulent. De jour comme de nuit, ce n’est qu’une double file de véhicules qui se croisent, heureusement que l’aviation ennemie nous fout la paix. Pour rentrer, nous avons plusieurs points de repère, les ponts coupés, les véhicules allemands carbonisés et l’odeur des chevaux crevés sur les bords de la route en certains endroits. L’avantage de ces chevaux crevés, c’est que lorsque l’on sent du cadavre, on peut toujours penser que c’est un cheval et non un homme. Je rentre bredouille mais j’ai au moins localisé le dépôt et nous pourrons nous y rendre très vite demain matin.
13 juin 1944. En face de chez nous est installé le LAM, ils viennent de trouver le cadavre d’un fusilier marin derrière des arbres. Ils pensent que ce sont les Allemands, signalés en liberté, qui l’ont descendu, car il est encore bien conservé. J’émets un doute car, comme il a plu hier, il est possible qu’il soit mort depuis quelques jours déjà. Nous prévenons son unité et en effet c’est un des leurs qui est tombé pendant l’attaque du village mais ils n’avaient pas réussi à le retrouver dans les vergers. Pendant que j’y pense, je dois signaler la rumeur qui commence à courir, que les Allemands achèvent les tirailleurs. C’est peut-être vrai, mais dans le cas présent c’est un camarade qui, lors d’une tournée en voiture, a vu, alignés par terre, les cadavres de six tirailleurs les poignets liés et l’un d’entre eux la gorge arrachée, et il en avait déduit qu’ils avaient été attachés et égorgés. En fait, c’est le service de ramassage qui les avait groupés et leur avait attachés les poignets afin qu’ils soient plus faciles à enterrer. En effet il parait qu’au moment de la mort ou peu après les membres se raidissent et comme ce n’était qu’un ensevelissement provisoire et peu profond, cela devient très gênant pour l’inhumation définitive.
Ce soir, nous avons la visite de l’aviation allemande. Ils mitraillent et lancent des bombes remplies de grenades antipersonnel. Je m’habille, mais reste dans mon poulailler en brique, ils ne sont pas nombreux, mais il n’y a pas de trous efficaces proches. Les abris sérieux sont plus loin, mais cela n’a pas l’air d’en valoir la peine. Des Américains qui sont venus s’installer près de nous, s’abritent et gueulent, l’un d’eux s’était malheureusement jeté dans un ancien trou individuel, utilisé comme latrines par plusieurs soldats, d’où les jurons etc.
14 juin 1944. Nous apprenons ce matin que les avions d’hier soir ont malheureusement fait quelques dégâts. Une de nos pièces de DCA située tout à côté a été endommagée et plusieurs servants blessés. L’état-major de la di vision qui s’était installé en plein village de Montefiascone a eu quelques pertes par mitraillage et grenadage, dont le lieutenant ENSUQUE des transmissions avec qui j’avais fait la retraite de Quattara. Je ne comprends toujours pas pourquoi les états-majors vont toujours se fourrer dans les villages, évidemment il y a un peu plus de confort. Aujourd’hui nous repérons plus sérieusement les abris possibles, ils sont beaux d’ailleurs, ce sont de profondes tranchées, creusées par les Italiens ou les Allemands, certainement de beaucoup supérieurs à tous les abris que nous n’ayons jamais fait. La bataille continue et le morceau est dur à enlever. Enfin, la ville de Bolsena est prise et notre objectif atteint. Demain nous allons descendre prendre un repos bien gagné.
16 juin 1944. Nous allons bivouaquer près du lac Bolsena. Ce lac est magnifique et le site est beau. Nous n’entendons le canon que de loin, les Allemands se sont franchement retirés de plusieurs kilomètres. Comme toujours, pour nous échelon B, ce n’est qu’un petit repos, car il nous faut s’occuper de compléter les unités en armement, habillement, munitions etc. enfin cela se passe en toute tranquillité. Je prends un bain également bien gagné car, avec tout le trafic sur les routes, ce n’est pas la poussière ou la boue, suivant le temps, qui manque.
17 juin 1944. Je suis permissionnaire pour Rome et, comme toujours, s’il y a moyen, j’accepte le premier tour. Départ à 5 h, je me réveille à 5 h moins dix et réveille vite Brown, Rey etc. Heureusement le même tour est arrivé au chauffeur et nous partons à 5h30. Comme toujours, la route est encombrée de véhicules, mais heureusement, la plupart en sens inverse de nous. Varlin le chauffeur est excellent et nous arrivons vite et sans encombre. Nous sommes au Vatican vers 7h30 et visitons directement Saint Pierre. L’ensemble est vraiment grandiose. Nous visitons très vite. Ce sont surtout les sculptures et les mosaïques qui me frappent et, même en n’étant pas con naisseur, je trouve que le travail en est merveilleux. Nous nous rendons en camion sur la place de Venise et le laissons là en prenant rendez-vous pour ce soir, 21 h.
Maintenant, notre but est de se faire raser, couper les cheveux, et de chercher à manger. Nous ne jetons donc qu’un vague coup d’œil à la place de Venise et au balcon d’où Mussolini pérorait. Sitôt pomponnés, nous cherchons un restaurant, retenons une table et allons faire un petit tour en ville ; heureusement nous trouvons un fiacre et nous en voyons plus avec moins de fa tigue. Place ceci et colonnade cela etc. Nous admirons aussi les belles Romaines qui sont jolies, bien habillées et souriantes.
A dix heures, ce matin, il y avait une bénédiction du Pape pour les Français. Rey et moi n’y sommes pas allés, la journée est trop courte pour tout et nous avons bien l’intention d’y retourner. L’après-midi, nous allons voir le Colisée et nous sommes déçus ; il est certainement beaucoup moins grandiose que ceux d’Afrique et surtout que celui d’El Djem, peut-être est-ce parce qu’il est entouré de maisons, que les Américains radiodiffusent de la musique de swing, et aussi qu’il sert à beaucoup d’Américains de lieu ombragé pour faire la sieste. Enfin, l’honneur est sauf, nous y avons jeté un coup d’œil. Il s’agit maintenant de trouver un café tranquille où s’asseoir et se dé saltérer ; c’est hélas une chose impossible et, après avoir traîné nos bottes aux alentours de la place de Venise et de la Via délia Tritone, nous tombons accidentellement sur un cinéma où nous entrons pour nous reposer et passer le temps. Ils passent In which we serve , avec des sous-titres en Italien. Nous en sortons tout frais vers 6 h et pensons de nouveau à manger. Nous parcourons toutes les rues avoisinantes sans trouver un restaurant ou un café ouvert. Il parait que tout ferme l’après-midi, faute de moyens, et aussi parce que les Américains se sont affreusement saoulés les premiers jours.
Nous rencontrons Charlie Kennedy (ordonnance du capitaine French, officier de liaison), en Jeep. Effusions et il nous indique un restaurant chic et cher, mais qui est aussi fermé et, en désespoir de cause, nous décidons de rejoindre le camion et manger les boîtes de ration que le chauffeur transporte toujours dans son véhicule. En y allant par une petite rue, nous tombons sur une friterie qui vend des aubergines et des courgettes, frites par 100g, sur du papier. Nous sommes maintenant huit et nous en prenons plusieurs kilos, avec quelques mauvais biscuits achetés dans une pâtisserie en face. Il nous tarde de revenir au camp pour pouvoir mieux manger car, en ce moment, au camp nous mangeons vraiment bien. En effet nous touchons les vivres de la Compagnie, par section, et faisons notre cuisine nous-même. Comme ce ne sont que vergers autour de nous, nous mangeons salades, pommes de terre, haricots verts à volonté, mais aussi du poisson et de la viande, le tout à très bon marché (le mouton est à 400 lires), car les gens n’ont pas encore appris que les prix pouvaient monter avec les militaires. Tout près du camp, il y a aussi des sources d’eau minérale gazeuse, très agréable à boire. J’essaie d’en apprendre les qualités, mais personne ne peut me renseigner ; elle a l’air ferrugineuse. Nous avons aussi la chance de pouvoir trouver à Montefiascone, pour rien ou presque rien, du vin blanc mousseux excellent, ainsi que du parmesan. Les caves du village ont bien souffert de notre passage.
Enfin, après nous être rassasiés, nous retournons nous asseoir sur les pelouses, au pied de la statue de Victor-Emmanuel II et attendons l’heure du départ. Il n’est que 19h30 et il n’y a absolument rien à faire, si l’on ne connaît pas Rome. Déjà presque tous les camarades sont là, prêts à partir ; ils ont eu moins de chance que nous. Ils n’ont pas trouvé de rôtisserie. A 20h30 nous partons, tenant à sortir de Rome avant la nuit et, après avoir un peu hésité, nous retrouvons notre route N 2, celle de Cassia et espérons bientôt arriver au camp. Hélas, nous tombons tout de suite sur un convoi de chars sur porte-chars de la VIIIème armée qui monte. Nous les doublons ainsi que d’autres véhicules, jusqu’à Viterbe. C’est un vrai cauchemar que de doubler ainsi ces mastodontes, de nuit en utilisant le moins de lumières possible car, à partir de Monterose il y a black-out partiel et à partir de Viterbe, black-out complet. Nous arrivons au bord de notre lac à une bonne heure du matin, et nous avons bien roulé. Heureusement, comme je l’ai déjà dit, que nous avions un chauffeur d’élite. Le jeu n’en vaut pas la chandelle dans ces conditions et je n’ai pas l’intention de retourner à Rome d’ici peu.
18 juin 1944. La vie au bord du lac continue. Je vais, ce matin, à la 9e CED qui est à une vingtaine de kilomètres vers l’avant. La route est toujours aussi encombrée de véhicules. Par endroits il pleut, ce qui n’est pas drôle et il est même étonnant qu’il n’y ait pas plus d’accidents. Je déjeune à la 9e CRD et. en parlant avec l’adjudant BECQUIN, j’apprends qu’il est de la Paillandrie près de Saint-Maixent. Nous avions joué et fréquenté ensemble l’école de Fialle lorsque nous avions 6 et 7 ans.
Je rentre au camp vers 15 h. Nous devons repartir tout de suite pour Frascati où nous avons laissé en dépôt les bagages dont nous n’avions pas un besoin immédiat et dois rapporter ce soir ceux de la section, tout cela en prévision d’un départ très proche. Je pars aussitôt et, jusqu’à Rome, nous marchons bon train. La traversée de Rome nous prend plus de temps. Ce n’est qu’au bout d’une heure que je trouve la route N°7, Via Appia qui sort de l’autre côté. J’ai enfin eu le plaisir de voir un peu mieux Rome, et de traverser de magnifiques quartiers. Nous suivons la Via Appia jusqu’à Albane, et prenons à gauche pour Frascati. La route est vraiment très belle. Elle est bordée de gros chênes et, par endroits, surplombe le lac d’Albane à plusieurs centaines de mètres au-dessous. A Frascati les bagages ont été laissés au château. Je les y trouve, ils sont déjà chargés sur les camions de la CHR qui nous ont précédés, et qui vont rentrer demain. Il ne me reste donc plus qu’à m’en retourner.
Sur la route, l’auto-stop marche bon train ; déjà en venant nous aurions pu prendre un plein camion de civils qui cherchaient à rentrer à Rome, nous n’en avons pas pris, un peu parce que c’est interdit et un peu aussi parce que nous gardons toujours une dent envers les Italiens pour leur coup de 1940. Peut-être que, si cela avait été des femmes, nous les aurions laissé monter, mais il y avait toute la famille et des bagages. En revenant de Frascati, un jeune couple nous arrête, nous les prenons quand même, la femme est jolie et son mari correct, nous les conduisons jusqu’à Rome. Pour la traversée, cette fois, nous trouvons un sergent de ville italien qui va de notre côté. Il y a toujours pas mal de trafic sur la route mais, comme le black-out n’est pas si strict, nous sommes rentrés pour 23 h.
24 juin 1944. Départ du lac de Bolséna. Comme toujours, nous sommes contents de partir, surtout qu’il est question que nous allions à Salerne afin d’y embarquer. Les véhicules d’organisation partent par la route à 15 h ; les troupes ne pouvant être transportées par ces véhicules, se rendront à pied jusqu’à Montefiascone. Je suis détaché de la brigade auprès de ce deuxième détachement, comme adjoint au commandant DOUFFLARD . Je me rends donc au BM11 vers quinze heures.
A 19 h nous quittons le camp, le commandant et moi en jeep, le reste à pied. Ceux qui vont à pied arrivent sur le chantier d’embarquement en camion vers 21 h, ils sont fatigués, car la montée est rude avec le barda et, pour comble, il commence à pleuvoir. Enfin, vers 22 h tout le monde est sur place, sur une route de traverse mesurant 3 km. Il pleut de plus en plus. Avec le commandant, nous allons à l’entrée de la grande route, attendre les camions du train qui doivent venir nous enlever. Une jeep s’arrête et nous demande où se trouve le 2e BMA. En fin de compte nous apprenons que c’est le chef du détachement qui vient nous enlever et seuls les ordres diffèrent un peu.
Il pleut toujours. Les convois arrivent par petits groupes car ils ont été coupés par des camions américains. Je suis là, sur le bord de la route à les trier. Drôle de vie ! Passer la nuit sous la pluie à diriger des convois, et j pense à la vie civile, encore que moi au moins j’ai la chance de me déplacer TI jeep. A 1 h du matin le convoi démarre à peu près au complet, nous restons en tête du convoi jusqu’au jour. Nous roulons beaucoup trop doucement, à peine 25 km/h ; notre chauffeur s’endort une fois et fait une petite embarc-30 km de Rome. Le commandant prend le volant et nous filons sur Anzio et Nettuno où nous devons embarquer. Nous y arrivons vers 7 h. Là, personne n’a l’air d’être au courant de ce que nous devons faire. Vers 10 h, le convoi arrive en pièces détachées. Ils se sont perdus pendant la traversée de Rome. La région d’Anzio n’est pas très démolie et d’ailleurs il n’y a guère de quoi démolir, car ce ne sont que des champs entre Albano et Nettuno. Nettuno est un peu démolie, mais ce n’est rien en comparaison de Pontecorvo, San Andréa etc.
Nous arrivons à Yellow beach où des chalands viennent presque jusque sur la plage, et quand ils ont abaissés le panneau arrière, on peut monter à bord, sans se mouiller. C’est ce que nous faisons vers 13 h. Les chalands nous conduisent à deux Liberty ship qui sont en rade. Là, ils s’amarrent contre le bateau ; il s’agit maintenant de grimper à bord par les échelles de corde qui pendent au flanc du bateau. Il y a un peu de roulis et les Noirs sont un peu maladroits, mais enfin nous y arrivons quand même et tout le monde est embarqué vers 16 h. Cela me rappelle mon embarquement à Saint-Jean-de-Luz il y a juste quatre ans. Le bateau est bien et le capitaine pour cette courte traversée ne s’appesantit pas trop sur les consignes habituelles aux transports de troupes. Il est vrai que c’est un cargo. Nous couchons dans les premières cales sur des couchettes à étages. Nous sommes fatigués et nous nous endormons très vite.
26 juin 1944. Je me réveille vers huit heures et pense que je suis toujours à l’ancre. Ce n’est qu’en arrivant sur le pont que je m’aperçois que nous voguons. Il parait que nous sommes partis à 1 heure. Nous devrions donc être presque arrivés. En effet des îles de connaissance sont en vue et le commandant annonce le débarquement de la lère compagnie pour 9 h. De fait nous continuons à voguer jusqu’à 16 h. Pourquoi ? Nous débarquons à Naples en bon ordre et sur un bateau couché sur le flanc. Là, des camions du Train nous attendent. Il parait que nous retournons à Albanova et occuperons nos anciens emplacements. Avec le commandant nous filons vers Frignagnio que je revois avec plaisir. Non c’est bien à Albanova que nous sommes stationnés, dans une ferme abandonnée au milieu des vergers. Au fond ce n’est pas trop mal, il y a des légumes, du maïs et un peu de travail. Des permissions pour Naples sont accordées. J’y descends deux fois, maintenant que nous connaissons un peu c’est plus agréable. Brown a trouvé un bon restaurant sur le haut de la ville et puis il y a l’opéra qui est agréable ; j’y vois Mademoiselle Butterfly et The bride of the Golden West. Au théâtre il est agréable de se sentir presque civil, les militaires qui y vont se tiennent bien, c’est calme et reposant. Le reste de la ville n’a pas changé, les gosses vous racolent pour vous offrir à manger ou autre chose, il y a quelques soldats saouls et des mendiants. Le soir même, il y a de sérieuses bagarres entre troupes de chez nous et américaines. Tant et si bien que les permissions sont restreintes et que les fusiliers-marins qui se sont particulièrement distingués voient les leurs complètement supprimées.
29 juin 1944. Revue du général de Gaulle sur le terrain d’aviation de Caserta. Cet après-midi on m’a fait l’honneur de me confier le fanion de la brigade ; j’avoue que cela m’ennuie un peu parce que je suis de l’échelon B, je suis de réserve et n’ai pas de décorations qui comptent, et aussi parce que je sers toujours au titre Chars et non pas Coloniale. Enfin, il parait qu’à un officier qui en aurait parlé au colonel GARBAY, il aurait été répondu qu’il savait ce qu’il faisait. Cet honneur me fait un peu peur. Pour la première fois je porte le calot bleu de la coloniale, il y a d’ailleurs quelque temps que j’ai décidé de l’adopter, car je suis ici depuis trois ans et y ai obtenu galons et décorations.
Bref, nous partons à 13 h et arrivons peu après. Le Général est attendu pour 17 h ; nous nous mettons sur les rangs à 16 h, mais j’avoue que je n’aime guère tous ces défilés et présentations. C’est d’ailleurs le premier auquel je participe activement. L’avion à Croix de Lorraine arrive, et peu après le général de Gaulle passe en voiture. Il continue pour s’arrêter à l’endroit où doivent être remises les Croix de la Libération, et les décorations aux fanions, celui du BM5 en particulier. Pour moi rien ne se passe, tout est terminé vers 19 h et nous rentrons chez nous. Ceux qui escomptaient beaucoup de cette visite ont dû être déçus. L’avion est reparti pour Rome une heure après son arrivée. Je crois que les anciens comprennent, mais les nouveaux ont dû trouver que c’était un peu juste comme revue de sa Division.
7 juillet 1944. Je descends de nouveau à Naples avec BROWN . Notre intention première est, comme presque toujours, de faire un bon gueuleton. Brown, qui y est descendu il y a quelques jours, a trouvé un bon restaurant dans la ville haute. Alors que dans la ville basse il y a surtout des gargotes pour militaires qui rappellent assez d’ailleurs les petits restaurants moches de Tunis. Nous prenons donc le funiculaire qui nous grimpe dans une ville totalement différente du Naples que je connais, avec rues plus larges bordées d’arbres. Joli coup d’œil sur la rade et la ville basse, mais nous avons des goûts plus terre à terre. Nous trouvons le petit restaurant à la porte duquel est fixée une pancarte annonçant qu’il est réservé aux civils. Les Italiens considérant que les soldats français pouvaient être traités comme des civils nous passons donc en arrière de la salle, et, nous faisons un somptueux repas avec langouste, jambon, fruits et bon vins, le tout au choix et servi par le patron qui parle un excellent français. Le reste de l’après-midi nous tournons dans la ville sans vraiment apprécier, car des permissions de la journée sont trop justes pour bien visiter. Le repas nous a coûté 450 lires chacun. J’ai aussi acheté des bas de soie naturelle pour les Hubert à 450 lires la paire soit 225 F. On se réunit pour le départ sur la place à 10 h.
Comme tous les soirs, la place est pleine de camions pour les permissionnaires rentrants, la plupart et surtout les Américains, sont sérieusement pris de boissons.
Puisque nous sommes au repos en attendant l’embarquement, il faut aussi prévoir des détentes pour les tirailleurs ou d’autres qui ne descendent pas souvent à Naples. (…) Les melons et les pêches commencent à mûrir et nous en profitons. Malheureusement pour nous, le champ de pêches dans lequel nous sommes installés est d’une variété tardive.
17 juillet 1944. Les véhicules partent pour s’embarquer à Brindisi. Hier et avant-hier, les préparatifs habituels ont eu lieu, peut-être un peu plus sérieusement cette fois-ci, car nous ne devons embarquer que le strict minimum de choses et, de nouveau, former un dépôt du reste qui théoriquement nous suivra. Le strict minimum consiste en une tenue sur soi, une série de linge de corps de rechange, une couverture, et une demi-toile de tente. Nous sommes trop vieux soldats pour appliquer strictement cette règle, nous savons que nous aurons besoin d’un peu plus de confort que ça une fois débarqués en France ; aussi les véhicules sont-ils chargés, à la dernière minute, de choses n’ayant pas figuré lors de la revue. Heureusement que mon Dodge a quatre coffres sous les banquettes et deux sous les sièges. Le départ est ainsi prévu, aujourd’hui : véhicules, avec un chauffeur par véhicule, et un chef de rame pour 7 ou 8, le reste de la troupe devant rejoindre le port d’embarquement par d’autres moyens, chemin de fer sans doute.
Je suis chef de rame pour la section, deux camions et cinq jeep ; le lieutenant DE GLAS, chef de détachement pour le BC2 (Bataillon de Commandement), me prend tout de même comme adjoint. Nous partons donc de bonne heure. Une fois de plus ce plaisir du départ est renouvelé, une voiture, la route, le beau temps. Cette fois-ci la joie est double car nous nous doutons bien que c’est pour la France, malgré des rumeurs pouvant nous faire croire que ce serait pour les Balkans. Le voyage se fera en trois étapes ; Aversa, Cariovanio, Casoria, Avellino, Anzano di Puglia, Foggia, Cerignola, Canosa di Puglia. Jusqu’à Avellino la route nous est un peu connue puisque nous y étions cantonnés avant l’attaque. Que la nature est belle, les routes secondaires ont toujours un brouillard de poussières, les grandes routes sont magnifiques. La plupart des villages sont situés sur des collines. Un en particulier où, pour y monter à petite allure de convoi, je suis forcé d’utiliser la première vitesse et le démultiplicateur ; le convoi en général et le BC2 en particulier, marchent bien. Les chauffeurs, noirs ou blancs, sont maintenant habitués à ce genre de sport, seuls quelques véhicules tombent en panne ou s’arrêtent pour laisser refroidir le radiateur. Le dépannage qui suit, ramasse les trainards. Fin de la première étape ; nous arrivons en zone anglaise : VIIIème Armée. La zone d’étape est prête à nous recevoir. Elle se trouve dans une petite forêt et dans un champ d’amandiers, et tout est prêt pour y passer la nuit avec eau courante et poubelles ; nous connaissons la musique, préparons notre repas du soir et nous couchons près de nos véhicules, enroulés dans notre couverture.
18 juillet 1944. Départ pour la nouvelle étape : Andria, Corato, Terlizzi, Modugno, Bitteto, Sannicandro di Bari, Adelfia, Casamassima, Gioia di Colle, Noci, Locorotando, Martina Franca, Tarante. Nous filons toujours vers le sud avec haltes et grandes haltes comme prévu, sans incidents. Cette partie de l’Italie rappelle sérieusement l’Afrique du Nord. Après Bari, nous arrivons dans de riches plaines, puis, au fur et à mesure que nous avançons vers Tarente, le terrain devient rocheux et nous retrouvons les oliviers dont certains sont immenses et ont sans doute plusieurs siècles d’âge. Les maisons de pierre ont même le toit en pierre, en somme les murs continuent pour se terminer en pointe ronde, le faite étant une pierre sculptée. Elles ressemblent à des huttes, il faut croire que cela rappelle vraiment l’Afrique puisque mon chauffeur noir Antoine me demande s’il y a des antilopes dans la nature. Les filles sont fortes, bronzées et pieds nus. Nous arrivons enfin en vue de la mer.
Nous surplombons Tarente où nous mène une belle route en lacet. La descente commence et nous arrivons à Tarente qui doit être la fin de la deuxième étape, il est environ cinq heures. Le contrordre réglementaire de toutes les armées arrive, nous devons brûler l’étape et filer sur Brindisi, fin du voyage.
Après deux jours de route nous sommes passablement fatigués, surtout du fait de la monotonie de rouler lentement en convoi. Il reste encore une quarantaine de km à faire ; je surveille mes chauffeurs du coin de l’œil et après que le mien ait fait un écart, je prends le volant. Zone d’étape Brindisi ; nous sommes reçus par les Anglais, et je suis content d’être de nouveau avec eux. Les voitures sont rangées en bon ordre, à touche-touche, et forment ainsi des lignes de plusieurs km, séparées les unes des autres d’une cinquantaine de mètres. Aussitôt alignées, le mot passe que le souper nous attend aux cuisines. Là, nous reconnaissons bien nos vieux copains. Ce soir il n’y a que peu à manger, mais au moins du pain et du café, c’est énorme, parce qu’on se lasse très vite des conserves et des biscuits ; nouvelle nuit à la belle étoile et pas de rêves.
Quelle chance nous avons de faire la guerre dans des régions chaudes et sèches.
19 juillet 1944. Organisation du campement, nettoyage des véhicules, défense de sortir du camp pour aller aux villages environnants. La journée terminée, les chauffeurs camerounais se réunissent autour de deux d’entre eux qui jouent de la guitare. Ils sont d’excellents chanteurs. Les repas qui nous sont donnés par les Anglais sont plutôt maigres, avec surtout des conserves, mais il est curieux de remarquer que personne ne proteste, cela parce que la confiance règne et que nous savons que, si ce n’est pas mieux, c’est parce que cela est impossible pour une raison ou pour une autre. Ce serait sous commandement américain ou français, nous gueulerions en pensant qu’il y a de la pagaille ou de la resquille, sans doute avec raison d’ailleurs. Baignades tous les jours.
21 et 22 juillet 1944 . Préparation, apprentissage et pratique de l’étanchéification des véhicules, qui consiste à imperméabiliser les véhicules de façon à ce qu’ils puissent rouler dans au moins un mètre d’eau. Pour cela il faut couvrir d’une graisse spéciale à l’amiante toutes les parties où passent un courant électrique pour éviter tout court-circuit, fixer un tuyau flexible d’un mètre sur la prise d’air du carburateur, boucher tous les évents avec de la graisse. C’est un rude travail en plein soleil, j’y veille personnellement, car je ne voudrais tout de même pas atterrir à la nage, sans mon camion et les précieuses choses qu’il contient.
23 juillet 1944. Les véhicules prêts à embarquer sont rassemblés au centre de triage par ordre d’embarquement, et numérotés, le tout en ordre inverse du débarquement, afin que les premiers soient les derniers.
24 juillet 1944. En route pour un deuxième lieu de rassemblement près du port. Nous pouvons enfin ce soir aller faire un tour dans Brindisi ; les fusiliers marins y sont d’ailleurs déjà descendus hier en fraude et plusieurs bagarres ont eu lieu. Brindisi est en effet port de guerre, n’a pas eu de guerre et est restée fasciste. Quand nos marins voient des marins italiens, maintenant des cobelligérants, mais pour eux ce sont des ennemis de 1940, ils voient rouge, d’où les bagarres. Un marin italien qui a eu le malheur de mettre une tomate sur son béret, pour imiter ou se moquer du pompon rouge français, a fini à l’hôpital. Enfin jusqu’à la nuit la ville est calme et bien patrouillée par les M.P. casquettes rouge et qui nous sont maintenant sympathiques.
25 juillet 1944. Commencement de l’embarquement, chaque véhicule occupant exactement le volume qui lui a été assigné sur le plan. Une fois à bord, je suis chargé d’en assurer la garde et de servir d’interprète. J’aime autant cela, car je n’aime pas être éloigné de ma voiture qui, depuis deux ans, représente un peu ma maison. De plus, je suis plus libre qu’au camp et je peux m’arranger pour descendre prendre mes repas en ville et, comme sur le bateau nous aurons un régime conserve, nous en profitons.
27 juillet 1944. Les véhicules sont à bord, tout est paré, nous partons, good bye Italie, une bonne chose de faite car la campagne a été dure ; nous n’allons pas bien loin d’ailleurs et le lendemain nous sommes en rade de Tarente.
29 juillet 1944. Il semble que nous allons rester en rade de Tarente pour quelques temps, sans doute pour y attendre que les troupes qui sont à terre, soient embarquées. La rade est pleine de bateaux. La vie à bord s’organise, nous avons des bat-flanc dans la cale, mais nous nous organisons par petits groupes pour coucher et vivre sur le pont où, naturellement, il fait bien meilleur. Le bateau est un cargo et la discipline y est moins sévère que sur un transport de troupes. Le pont devient donc un assemblage de tentes et la cale, où il fait une chaleur étouffante, n’est utilisée que pour les repas. Les tours de service sont établis et je deviens adjudant de la 2ème Brigade, cela m’occupe et je m’en tire assez bien, naturellement il y a toujours des hommes qui gueulent, affirmant que ce n’est pas leur tour, mais c’est là un fait qui doit dater de la naissance de l’armée et je n’oserai ni m’en froisser ni espérer y rien changer. L’équipage est anglais mais pas très sympathique. C’est d’ailleurs un peu général dans la marine marchande qui est assez variée dans son recrutement, et ne voit pas les choses de la même manière que les militaires. L’officier du port de Brindisi me l’avait déjà dit.
A Brindisi nous avons embarqué un détachement de Noirs américains, environ une cinquantaine, ce sont les dockers qui seront chargés de transférer nos véhicules du bateau dans les péniches de débarquement. Leurs officiers noirs sont bien et les tiennent bien en main ; ils me préviennent de faire très attention à ce que nos hommes ne leur donnent pas de vin, pour éviter des histoires. Le ravitaillement est en effet mi-français, mi-américain, c’est à dire que, comme tout le corps expéditionnaire d’Italie, nous touchons du vin, ce qui est parait-il une nécessité pour le soldat français. Bref, ce vin est une source de tracas et, il faut y mettre une garde spéciale, mais plusieurs d’entre nous l’échange avec l’équipage, contre du thé ou de la nourriture. Nous sommes au fond assez bien nourris avec des conserves américaines préparées par nos cuisiniers à la cuisine fixée sur le pont. Le pain est fait à bord par des militaires, anciens boulangers de métier. Un des matelots du bord est particulièrement friand d’alcool, et il est rarement à jeun, il est tout petit, âgé d’une quarantaine d’années et lorsqu’il est ivre il s’en prendrait à n’importe qui ; le fait est qu’il doit avoir une endurance formidable car il est soutier à la pelle et avec la chaleur, c’est dur. C’est lui qui a monté à bord, en fraude, nos animaux (pets), trois chats, un chien, et mon poulet de Montefiascone. BROWN et moi espérons bien qu’au débarquement nous pourrons récupérer le poulet. C’est lui d’ailleurs qui a gagné car, au moment du débarquement, le poulet avait disparu. La vie à bord s’organise donc, avec bridge, lecture, baignades deux fois par jour, en somme le temps passe agréablement.
Source Bibliographique
Laisser un commentaire