L’Association, les Amis de l’Institut Charles de Gaulle organisait en 1986, avec grand succès, une conférence sur Bir Hakeim, par Pierre MESSMER, ancien Ministre, et en 1988 une conférence sur la 1e DFL par le Général SIMON, grand Chancelier de l’Ordre de la Libération, et Président de l’Association des Français Libres.
Ce témoignage a l’intention de faire ressortir l’importance de l’engagement des Forces Françaises Libres, aux côtés des Britanniques en Juin 1941, lors de la campagne de Syrie et tout particulièrement son incidence sur Bir Hakeim.
Le Général CATROUX s’installe au Caire en 1940, d’abord comme hôte du Baron de BENOIST, représentant le Général DE GAULLE au Moyen Orient ensuite comme Commandant en chef des Forces Françaises Libres.
Il est visible que les militaires Britanniques portent peu d’intérêt aux éléments de la France Libre en Egypte, qui sont à leurs yeux une force symbolique, qui ne leur est d’aucun appoint.
Les Forces Françaises Libres en Egypte sont en effet peu nombreuses : un escadron de Spahis Marocains du Capitaine JOURDIER venu de Syrie, et le Bataillon d’Infanterie de Marine (BIM) venu de Chypre. Enfin un dépôt à Ismaïlia qui reçoit les isolés et instruit les jeunes Français ralliés en Egypte.
A Jérusalem un bureau de liaison, sous l’autorité du Capitaine REPITON PRENEUF, est la base des services de renseignements sur révolution de la situation au Levant. Le cœur généreux et enthousiaste, REPITON PRENEUF s’est rallié à DE GAULLE dès son appel. Il connaît bien le Levant. Avec le Capitaine B.O. MASSE de l’Intelligence Service , il organise son service ; tous deux sont des anciens de la Shell de Beyrouth. Engagé dans les Forces Françaises Libres, dès mon arrivée au Caire — venant d’Iraq (Iraq Petroleum Company) en Mars 1941, le Général CATROUX m’affecte comme adjoint à leur service. Je suis spécialement chargé de tenir à jour Tordre de bataille des troupes de Syrie et du Liban, de recevoir les isolés, d’assurer la liaison avec le bureau de Haïfa où est installé un poste d’émissions clandestines.
*SITUATION DU MOYEN ORIENT AU PRINTEMPS 1941
Le Général Sir ARCHIBALD WAVELL est le commandant en chef des Forces Britanniques du Moyen-Orient, c’est-à-dire de l’Egypte, de la Palestine, la Transjordanie et du Soudan. Il avait été le chef d’Etat-major d’Allenby pendant la première guerre mondiale. Le Général WILSON, commande les troupes de Palestine et tient essentiellement à maintenir la tranquillité entre les Juifs et les Arabes.
Le Général CATROUX, depuis novembre 1940 espère pouvoir ébranler et atteindre les chefs militaires Français au Levant, dont plusieurs avaient été ses collaborateurs et ses amis. C’est une fin de non recevoir qui trahit une soumission aveugle à l’Armistice, mais aussi une conviction de la victoire allemande .
Les Britanniques auraient vu avec un grand soulagement la rentrée du Levant dans le front allié, car ils apprécient sa position stratégique, mais écartent pendant l’hiver 1940/1941, l’idée d’un recours à la contrainte pour la provoquer. La stabilité et le maintien de l’ordre dans les pays sous mandat français et en Palestine leur paraissent désirables et tout particulièrement à Wavell, le Commandât en chef pour des économies de forces armées. En conséquence le gouvernement de Londres ménage Dentz et atténue la rigueur du blocus, et ceci jusqu’à la révolte en Iraq en mai 1941.
Le 2 mai 1941, l’Iraq se révolte contre les Britanniques à l’instigation de RASHID ALI KILANI, ancien premier Ministre, et les faibles troupes Britanniques se trouvent en position difficile et doivent être dégagées par des forces venant de Palestine. Le 31 mai l’insurrection est maîtrisée, malgré l’appui de l’aviation allemande, transitant par la Syrie et le renfort en matériel de guerre (800 tonnes) que lui a fourni le Général DENTZ de Syrie. Le 12 mai 1941, et les jours suivants, des avions allemands camouflés aux couleurs iraquiennes atterrissent en Syrie et continuent leurs routes en Mésopotamie et, pour faciliter leur transit, la base aérienne d’Alep est mise à leur disposition.
En accord avec le Général DE GAULLE, le Général CATROUX provoque une réunion au Caire, sous la présidence de l’Ambassadeur Britannique, du Général WAVELL et ses adjoints, de l’air et de la marine pour exposer son plan en cas de débarquement Allemand en Syrie par air ou par mer.
Il obtient la promesse de l’intervention Britannique aérienne et navale, mais le Général WAVELL refuse nettement à porter ses forces terrestres en Syrie et de fournir les moyens de transport nécessaires au mouvement des Forces Françaises Libres, c’est-à-dire la Division Legenthihomme, regroupée au camp de transit de Qastina, au sud de Jaffa en Palestine. Il s’agit de 300 camions que WAVELL, en raison de ses charges en Iraq et en Palestine, ne peut pas fournir.
Fin mai, le Général CATROUX persévérant dans ses efforts avec l’appui de l’Ambassadeur Britannique et du Général Spears représentant le premier Ministre WINSTON CHURCHILL, au Moyen-Orient, au cours d’une nouvelle réunion, ne parvient pas à ébranler le refus du Général WAVELL.
Le Général DE GAULLE intervient fermement auprès de W. CHURCHILL , ainsi que l’Ambassadeur Britannique et le Général SPEARS . Ces deux démarches convergentes emportent la décision de Londres, qui prescrit au Général WAVELL le 21 mai 1941 de préparer l’opération conjointe Britannique et Française sur le Levant dans les meilleurs délais.
*LA CONVENTION DE SAINT-JEAN D’ACRE
Depuis le mois de mars 1941, les bataillons des Forces Françaises Libres, ignorant à peu près tout des événements du Levant s’acheminent lentement vers la Palestine, au camp de transit de Qastina, au sud de Jaffa. Le 1e groupe d’unités arrivé à Suez le 23 avril comprend un bataillon de fusiliers marins, un bataillon de chars, un bataillon de marine (BM 2) d’Afrique Noire.
Le Colonel KOENIG est présent. D’autre part, à travers l’Afrique, le BM 1 venant de Bangui et le BM 4 venant du Tchad, les rejoignent en ayant parcouru près de 8 000 km.
Enfin le Bataillon d’Infanterie de Marine venant d’Egypte arrive à Qastina, vers le 21 mai ainsi que les bataillons de la Légion Etrangère et les artilleurs arrivés de Massaouah en Erythrée. Le Général LEGENTILHOMME commande cette troupe pauvrement armée et mal équipée. En fait la 1e D.F.L. n’a de division que le nom. Elle manque surtout de véhicules, d’artillerie et de moyens de transmissions. Le Capitaine Laurent CHAMPROSAY, commandant l’artillerie a mis sur pied en Erythrée, une batterie de 65 de montagnes Italiens, mais n’a pas de véhicules.
Le 20 mai, le Général CATROUX , rencontre le Colonel COLLET , à la frontière Syrie/Jordanie. COLLET commande un groupe d’escadrons Tcherkesses, et est le plus sur compagnon de l’armée du LEVANT. Il confirme au Général CATROUX que les forces de Syrie s’opposeront fermement à la poussée des Français Libres sur Damas, ainsi que sur Beyrouth. Aucune unité ne fera défection, même les officiers qui nous sont acquis prendront part au combat.
Le samedi 7 juin, le convoi de la 1e DFL quitte Qastina. Le défilé a de quoi surprendre. Si le B.I.M. en tête, est motorisé sur camions Morris, derrière lui la Légion, le BM 1 et le BM 2 se trouvent dans des camions civils et des autocars réquisitionnés. En fait le BM 2, transporté dans des autocars civils, voit les paquetages de ses hommes placés sur les galeries, repartir à Tel-Aviv : à proximité du front les chauffeurs sont pressés de rentrer chez eux. Les combats débutent le 8 juin et se terminent le 14 juillet par la signature de la Convention de Saint-Jean d’Acre. Le 9 juillet DENTZ approche le Général WILSON pour entamer les négociations d’Armistice, mais lui demande de ne pas amener ses Alliés, les Français Libres, ce que le Général WILSON écarte. La réunion débute le 12 juillet à Saint-Jean d’Acre. Le Général CATROUX est accompagné du Colonel BROSSET et du Capitaine REPITON PRENEUF. Au cours des négociations le Général CATROUX propose lui-même et obtient l’accord du Général WILSON pour que les troupes rassemblées à Tripoli ne soient pas désarmées mais gardent leurs armes individuelles et que la reddition des armes collectives soit présentée comme un apport à la guerre contre l’axe.
Mais CATROUX ne réussit pas à faire admettre à WILSON que les troupes soient détachées de leur encadrement avant le réembarquement pour la France, ce qui rend illusoire leur rallie-ment. Le Général DE GAULLE rejette les accords, par un télégramme de Brazzaville, du fait que la Convention équivaut à la remise de la Syrie et du Liban aux autorités Britanniques. Ce n’est que le 24 juillet que le Général DE GAULLE , après un arrangement au Caire, avec le Capitaine Olivier LYTTLETON, stipulant l’interprétation à donner par les autorités Françaises et les autorités Britanniques à la Convention d’Armistice du 14 juillet , approuve l’ensemble des textes.
Le paragraphe qui nous concerne tout particulièrement ici, la remise à la France Libre du matériel de guerre, dont elle a un besoin n’est pas garantie. Le Général DE GAULLE reproche à WILSON d’avoir conclu une Convention favorable à Vichy, en omettant de propos délibéré, de tenir compte de ses obligations vis-à-vis de la France Libre, l’alliée de la Grande-Bretagne, et d’avoir ainsi affaibli sa position morale, vis-à-vis de la France et des pays du Levant. Mais en fait WILSON ne fait qu’obéir à des directives supérieures. Depuis 1940, la lenteur des Britanniques à armer et équiper les unités de la France Libre est évidente et ceci plus particulièrement au Levant où les visées de la Grande Bretagne sur la Syrie sont toujours vivantes. Enfin le refus de DE GAULLE d’intégrer les Forces Françaises Libres au commandement Britannique est une raison supplémentaire. Ces forces disparates : légionnaires venus de Narvik, troupes coloniales, ralliés individuels, Nord-Africains, embarrassent les Britanniques et tout particulièrement le Général WAVELL.
La disposition totale et entière de tout le matériel de guerre et des parcs du Levant est un point capital pour le Général DE GAULLE. Cependant la Convention n’a en fait pas frustré les Forces Françaises Libres du matériel de guerre du Levant, car elles l’ont reçu immédiatement après la signature de la Convention des autorités Britanniques. Les besoins en armements et en matériels de la France Libre ont donc été servis par un détour. Pour qu’ils le soient directement il aurait fallu que le gouvernement de Vichy consente à livrer les armes à des Rebelles . Cette hypothèse est inconcevable, et il est évident que si cette obligation avait été imposée aux troupes de Dentz elles auraient détruit le matériel pour ne pas avoir à le remettre à la France Libre.
*LA FORCE L – LE WESTERN DESERT
Après l’Armistice de Saint-Jean d’Acre, la 1e DFL est repartie dans les différentes garnisons du Levant. Le Chef d’Etat-major du Général CATROUX, le colonel BROSSET , installé à Beyrouth est sensible au moral des troupes, et après un repos temporaire, faisant suite à une dure campagne, les chefs et leurs hommes sont impatients de repartir au combat, cette fois contre les Allemands. Les Britanniques se proposent de reprendre l’offensive en automne et pour le Général DE GAULLE, il est essentiel qu’une division Française Libre soit engagée dans une opération qui peut les conduire en Tunisie. A Beyrouth sous le Capitaine CANCE chef du 4e Bureau, avec comme adjoints le Capitaine THOREAU pour l’armement, et le Capitaine CLERC pour le matériel automobile, tout le matériel est recensé, les parcs et munitions réorganisés. Deux brigades motorisées sont mises sur pieds, pouvant se mouvoir et se battre par leurs propres moyens : dans la bataille du Désert il n’y a, ni avant, ni arrière.
Début septembre avec l’accord du Général CATROUX, le Général KŒNIG, nouvellement promu, m’affecte à l’artillerie commandée par le Commandant Laurent CHAMPROSAY, installée quartier Soudois à Damas. Avec les ralliés de Syrie : Sénégalais, Malgaches, Nord-Africains, Syriens et quelques Français. Il forme quatre batteries, un Etat Major et deux colonnes de ravitaillement, dont je prends le commandement de la première, la CR 1.
Arrivé en Syrie avec deux batteries : une de 75 (2 pièces venant de Norvège et 2 pièces venant d’Afrique) et une batterie de 65 de montagne prise au Italiens en Erythrée, le régiment se compose de quatre batteries de six 75 chacune, soit 24 pièces.
Chacune des brigades comprend 4 bataillons, et chaque bataillon une compagnie antichars, armée de canons de 75. Au total 40 canons de 75 pour chacune des brigades.
L’approvisionnement en munitions est assuré par des camions Dodge de 3 tonnes, récupérés au Levant. Ces camions avaient été achetés par l’armée Français aux Etats-Unis en 1939, mais seuls les châssis et les cabines avaient été livrés, la caisse construite dans les parcs de l’armée. Ainsi le 1er régiment d’artillerie est doté de 100 camions Dodge répartis entre les quatre batteries et les deux colonnes de ravitaillement, auxquels il faut ajouter des camions citernes pour l’eau. Pendant la période de repos, un effort particulier est mis en œuvre pour l’école de conduite. La CR 1. doit former 40 chauffeurs indigènes : Sénégalais, Malgaches — et ces garçons dociles doivent se familiariser lentement avec le double débrayage et le changement de vitesse. Fin novembre, le commandement décide le mouvement de la Brigade de Damas à Noms, distant de 300 km environ pour tester les chauffeurs. Ayant quitté Damas à 6 heures du matin, j’arrive à 9 heures du soir à Homs. avec en remorque du camion atelier plusieurs camions.
Il ne suffit pas d’équiper et d’armer les bataillons et les services de la 1e DFL, appelée Force L. Il faut obtenir des Anglais que cette division légère soit engagée en Libye. DE GAULLE à Londres s’adresse à CHURCHILL, LARMINAT porte ses efforts au Caire, il leur paraît essentiel, après Dakar, le Gabon et la Syrie, de donner l’occasion à la division de se battre contre les Allemands. Les Anglais déclenchent le 18 novembre une nouvelle offensive en Cyrénaïque, mais ne sont pas pressés d’engager les Français Libres. Devant cette inertie, DE GAULLE s’impatiente, et engage des pourparlers avec l’Ambassadeur de l’URSS à Londres, et ce n’est que le 7 décembre que CHURCHILL, par une lettre à DE GAULLE, l’informe que le Général AUCHINLECK est d’accord pour engager une brigade Française en Cyrénaïque.
Le 19 décembre la division reçoit l’ordre de faire mouvement sur l’Egypte, et elle se met en route à partir du 22. Le régiment d’artillerie quitte Damas le 25 au matin, et mon unité arrive le soir près du lac de Tibériade, ayant perdu en route un seul camion Dodge de 3 tonnes, chargé de 5 tonnes de munitions : le chauffeur ayant préféré éviter les lacets du Golan !
L’Artilleur de la DFL n°20 mars 1990
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