*LA DÉFENSE D’HERBSHEIM : RÉCIT DU LIEUTENANT RAVIX
Lors de la bataille d’Alsace, RAVIX, devenu sous-lieutenant, dirigeait sa batterie à Herbsheim, assisté par Serge CANY (aspirant), tandis que son capitaine RIVIE, était en liaison dans le village avancé de Rossfeld auprès du bataillon BM 21, avec à ses côtés LOUBOUTIN, observateur (surtout dans le clocher !). C’était le parallèle de la situation à ma batterie, où un lieutenant, RESCANIERE, commandait la batterie proprement dite (à Sand), pendant que notre capitaine (LUFLADE) était auprès du PC du BM 24, dans le village (relativement) avancé d’Obenheim, cependant que, en parallèle avec LOUBOUTIN, j’occupais le clocher le plus avancé de ce secteur, à Boofzheim.
RAVIX avait alors 22/23 ans et son adjoint CANY, 20 ans.
MANTOUX
La nuit du 6 au 7 janvier (1945) est très agitée . Nos postes de guetteurs sont obligés de se replier ; à partir de 7 heures, le 7, la batterie tire sur des convois et effectue des tirs d’arrêt pour permettre à nos éléments (avancés) de regagner des points d’appui fermés.
A 7h du matin des infiltrations se sont produites du côté ouest du canal du Rhône au Rhin; bientôt on aperçoit des blindés au nord-est de notre position; nous sommes donc déjà coupés du point d’appui de gauche tenu par le BM 24 (Obenheim, Boofzheim).
Les chars sont au nombre de treize, du genre Tigre, chasseurs de Panthers ou Panthers, c’est-à-dire tous armés de canons de 88 ou de 76,2 mm. Ils foncent sur la batterie.
L’aspirant CANY règle sur eux lorsqu’ils sont environ à mille mètres; il s’est juché sur une grange pour mieux observer; le tir de la première pièce ralentit leur avance, mais ils attaquent tout de même, se disposant en éventail et balayant notre position de leurs mitrailleuses et de leurs obus.
Nos canons, bien enterrés, ne sont pas pour eux des cibles faciles, mais les hommes qui pourvoient aux munitions, et les deux chefs de section, sans cesse entre leurs pièces et le PC du lieutenant de tir ( RAVIX) et les chefs de pièce sont tous très exposés.
Au bout d’une demi-heure, deux de nos pièces sont mises hors de combat; nos munitions sautent en deux endroits; nous perdons cinq tués, dont les deux chefs de section, les adjudants HUGUEN et JACQUET, et quinze blessés, qu’heureusement nous pouvons évacuer immédiatement.
L’aspirant CANY est parti à la première pièce où il pointe lui-même sur le char le plus dangereux; c’est un vrai duel, entre la pièce et l’engin; à 150 mètres, celui-ci reçoit, percutant, un obus de 105 sur son masque, mais le blindage est tel qu’il continue d’avancer et de tirer; il ne fait pas cinq mètres qu’un nouvel obus l’atteint. Cette fois il est bien touché, il flambe et ses occupants doivent être tués.
Un nouvel obus de la première pièce atteint alors un transport de troupes semi-chenille, qui a le même sort.
Les autres chars croient le combat inégal et se replient pour se défiler à six ou sept cents mètres et se mettre à couvert.
Sur la position règne un bruit d’enfer; munitions qui sautent, obus ennemis, sifflement des balles, cris des gradés, tac-tac des mitrailleuses et coups de fusils. Seuls les bazookas ont un petit sifflement timide qui contraste avec le concert.
Les chars se sont éloignés mais continuent à nous arroser de plus belle. Ils vont appuyer de leur feu une attaque d’infanterie, véritable vague, qui ne s’arrêtera qu’à soixante mètres des pièces, dans les joncs qui bordent la rivière. Deux pièces vont tirer, le personnel valide des deux autres tire au fusil, au Rocket-Gun et le reste du personnel de cuisine, dépannage, bureau, etc. – sert brillamment trois mitrailleuses qui tirent sans arrêt, faisant de véritables trous dans l’attaque ennemie.
Un tank-destroyer est venu nous appuyer; il s’est installé sous une grange et sort de temps en temps pour envoyer quelques obus, il en résulte un gros effet moral sur l’ennemi qui, croyant déjà la position hérissée de canons anti-chars, pense, je présume, qu’elle est de plus, farcie de blindés. D’ailleurs, nous avons continué à lui donner cette impression tout le reste du temps en déplaçant nos deux tank-destroyers sur chaque point délicat.
Ils épargnent leurs munitions mais nous donnent un sérieux coup de main. L’attaque est stoppée et les fantassins ennemis, en mauvaise posture, abandonnent cadavres et blessés à soixante mètres de nos positions. Le reste de la journée est relativement calme; l’artillerie continue à nous pilonner, et la maison (qui me sert de) P.C. a déjà reçu une vingtaine d’obus, heureusement elle est extrêmement robuste, et les maîtres-murs constituent un véritable blockhaus pour nous abriter (elle ne s’écroulera que le 11; nous l’avions quittée).
Nous pansons nos blessures; une seule pièce reste utilisable, deux sont détruites et une autre, endommagée, est évacuée le soir par le Dépannage du groupe, qui est venue la chercher et nous apporter des munitions d’infanterie et une mitrailleuse lourde.
Les communications avec l’arrière comme avec le capitaine RIVIÉ (qui se trouve au point d’appui de Rossfeld) s’améliorent grâce à la ténacité du sous-lieutenant Gérard FAUL , officier de transmissions du groupe, qui passe son temps entre son PC (PC du commandant JONAS à Benfeld) et les premières lignes ; il sera le dernier à nous apporter des nouvelles de l’arrière et à forcer le blocus pour nous ravitailler en piles, postes radio et bonnes nouvelles.
Sur tous les autres secteurs du point d’appui, la journée se passe dans l’expectative et l’ennemi nous a déjà bien encerclés, on commence à perdre contact avec Rossfeld et Obenheim où le BM 24 sera entièrement capturé.
La nuit vient et avec elle la neige, un froid intense, par lequel nos hommes doivent veiller, dehors, aux armes automatiques. Dans le PC on passe notre temps à démonter et remonter des chargeurs de fusils-mitrailleurs gelés, on remonte une mitrailleuse en état de marche avec deux ou trois hors d’usage, on compte et on répartit les grenades… et avec autant de précision les précieuses rations « K » ou « D » qui malheureusement de devaient faire qu’un jour et qu’il faudra prévoir pour cinq ou six jours; on met les cigarettes en commun; un commando à dix mètres des Boches nous permet de récupérer une caisse contenant une vingtaine de paquets de cigarettes américaines, c’est une aubaine.
On va s’assoupir tout habillés car il faut être prêts à sauter à chaque instant; nous dormons debout, tant nous sommes éreintés.
Il fait nuit depuis trois ou quatre heures. Alerte, ça bouge de l’autre côté du pont ; les Allemands ont réussi à passer, non sans pertes car la mitrailleuse du BIM, qui est à l’entrée du village, a crépité sans arrêt; des fantassins se replient sur le PC, ce sont des groupes de voltigeurs où il reste de trois à cinq hommes sur dix; les jeunes sont désorientés ; ils ne se sont jamais battus de nuit, et le feu ennemi est très dense, et les cris et les chants des attaquants les démoralisent un peu ; mais les vieux (ceux qui ont eu leur baptême du feu depuis longtemps) les rassurent, leur expliquent que c’est toujours comme ça, et que les Boches ont plus grande gueule que grands bras. Ceux-ci avancent malgré leurs pertes, bien décidés à percer. Les voilà dans la maison immédiatement voisine, on reçoit des grenades, des coups de revolver, le combat est à la phase du corps à corps.
Les premières grenades arrivent dans le P.C., qui devient intenable; on l’évacué en ordre pour occuper la maison immédiatement voisine, et ainsi de suite; nous combattons de maison en maison jusqu’à une solide bicoque, pas encore trop entourée, et qui est stratégiquement mieux placée que les autres. L’ordre est donné de tenir coûte que coûte.
Le capitaine ROUDOT, commandant du point d’appui, apprenant l’abandon de la position, pousse de grands cris : » II faut, dit-il, la reprendre à tout prix « . Un char des Fusiliers Marins va venir nous appuyer. Il lui faut du temps pour se préparer. Les minutes nous paraissent des heures : enfin le voilà, pétaradant, qui s’avance le long de la rue principale.
On va le suivre; il nous ouvre un chemin sûr avec le feu de ses mitrailleuses et un projecteur. On réoccupe maison après maison, grenades à la bouche, revolvers et mitraillettes au poing, jusqu’au pont. Les Allemands ont cédé, la position est reprise, la ligne téléphonique jusqu’au PC du point d’appui est rétablie : » Allô : la position est récupérée. Nous renvoyons le char « .
Il est deux heures du matin. La nuit sera tranquille; toutefois jusqu’au matin on entend les cris des blessés allemands, et les manœuvres de leurs blindés, et leur installation dans les bois, en face, et les caisses de munitions qu’ils déchargent. Ils s’installent mais ne vont plus se frotter à notre face où ils ont été si durement reçus.
Pendant trois jours, ils vont attaquer le point d’appui (d’Herbsheim), causant de lourdes pertes, mais la position reste absolument intacte dans notre secteur; on échange des coups de fusil, et en liaison avec le Poste Central de Tir du deuxième groupe ( JONAS ) on leur déclenche des tirs extrêmement meurtriers (selon les renseignements d’un prisonnier).
Ce n’est que la nuit du 10 au 11, à trois heures du matin, que l’on évacuera en ordre la position, les parachutistes du 1e Bataillon de Choc nous ayant ouvert la route de Benfeld à Herbsheim et à Rossfeld (autre point d’appui encerclé), sur une centaine de mètres de largeur et quatre kilomètres de longueur.
Cette nuit fut une « sortie de Bir Hakeim » en réduction faite d’ailleurs par des vétérans de cette sortie mémorable, sous des tirs d’artillerie et de mitrailleuses, au milieu d’incendies qui nous éclairaient sur la neige comme en plein jour.
On a passé les ponts de Benfeld sur les trois bras de l’ILL. Ils ont sauté peu après notre passage, et les Allemands, à bout de souffle, décimés et découragés, s’arrêtèrent là, pour reculer, deux semaines plus tard, (nous livrant) la victoire de Colmar.
L’artilleur de la DFL n°26 -février 1993
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