Le 1e Régiment d’Artillerie en décembre 1941 à Damas (Syrie).
Dans ses mémoires, le Colonel Paul MORLON relate son arrivée au 1e RA à Damas. Il arrivait d’Afrique noire où il avait joué un rôle très actif dans le ralliement du Congo et du Gabon à la France Libre.
A l’arrivée à Damas, le 6 décembre .1941, je me pointe au quartier Soudois et me présente au Chef d’Escadron LAURENT-CHAMPROSAY *commandant le 1e Régiment d’Artillerie. Comme il n’y a pas de batterie disponible, il m’affecte au deuxième groupe du régiment comme adjoint de son commandant, le Capitaine BRICOGNE *. Il me remet l’insigne du régiment en argent et portant le numéro 431. Il me fait signer sur le registre qu’il tient à cette occasion en me disant :
Si cet insigne est vu sur le corsage d’une femme de mauvaise vie, vous êtes immédiatement renvoyé du Régiment .
BRICOGNE , mon ancien de Polytechnique et de l’École d’application d’artillerie (d’où il est sorti major), me reçoit plus que cordialement quoique je le connaisse à peine. Avec le volant de Luneville, il a participé brillamment à la campagne de France, a été fait prisonnier à Saint-Valéry-en-Caux, vraisemblablement par la division Rommel ; au bout de quelques jours, il s’est échappé et a rejoint Vichy où il est devenu officier d’ordonnance du Général de la Porte du Teil (le commandant de l’EAA quand nous y étions). Assez vite, il a obtenu d’être affecté en Syrie, aux Tcherkesses du Colonel COLLET *. Passant en Palestine avec son escadron le 22 mai 1941, il rallie la France Libre peu avant les combats de juin auxquels il a demandé de ne pas participer.
Le deuxième groupe installé au quartier Soudois comprend un petit État-major avec l’Aspirant RAVIX* et le Médecin-Lieutenant DUVAL , deux batteries à deux sections de deux pièces de 155 mm court Schneider et une section anti-chars à deux types de 75 mm (tous les canons sont tractés par matériel automobile) et une colonne de ravitaillement.
La troisième batterie est sous les ordres du Capitaine GUFFLET * (X 41, dans le civil ingénieur du Canal de Suez à Ismaïlia) avec le Lieutenant CONAN* et l’Aspirant THEODORE * . GUFFLET est marié avec une demoiselle Ziegler.
La quatrième batterie est commandée par le Lieutenant FLORENTIN Louis , un de mes excellents camarades de promotion, rallié après les combats de Syrie. Le lieutenant de tir est le Sous-Lieutenant de RAUVELIN *.
Le Capitaine HAMEL, officier d’activé d’artillerie coloniale, est à la tête de la colonne de ravitaillement (CR2) avec le Sous-Lieutenant DARRAS précédemment à la quatrième batterie. Les canonniers des deux batteries et de l’État-Major sont des Malgaches ralliés du Régiment d’Artillerie Coloniale du Levant (RACL). La CR2 est à base de Cambodgiens.
Le premier groupe, qui a ses quartiers à Homs, est commandé par le Capitaine VILMINOT (X 30).
La première batterie est commandée par le Lieutenant QUIROT* qui dispose du Lieutenant EMBERGER et de l’Aspirant NORDMANN ;
la deuxième batterie par le Capitaine CHAVANAC* avec le Sous-Lieutenant PETITJEAN*, les Aspirants CHAMBON et ROUMEGUERE *.
Ces deux batteries ont comme canonniers des indigènes de pratiquement toutes les colonies de l’AOF et de l’AEF. J’y retrouve un de mes anciens canonniers d’Agen ainsi qu’un brigadier, fils de ma logeuse d’alors.
La CRI est sous les ordres du Lieutenant JOCHEM (un réserviste, dans le civil ingénieur aux Pétroles d’Irak. Elle administre l’État-major du régiment qui comprend le Lieutenant BOURGET (X 35) adjoint, le Lieutenant KERVIZIC , officier des transmissions, l’Aspirant de LAROCHE , officier de liaison, les adjudants-chefs ROUILLON , secrétaire, BIRAUD , interprète, LEKNER , chargé du matériel d’artillerie et MAILLET chargé du matériel automobile.
À la CRI comptent également notre aumônier, le Sous-Lieutenant DAGORN, missionnaire lazariste en Turquie et en Iran et le Médecin- Sous-Lieutenant ADORJEAN, l’officier des Détails adjudant-chef DELZANT, remplacé ultérieurement par l’adjudant-chef HOYON.
J’ai évidemment une déception à ne pas recevoir le commandement d’une batterie mais le principal est de compter à l’effectif d’une unité qui va bientôt partir au combat et pour l’instant le 1e RA est la seule unité d’artillerie dans ce cas.
Au deuxième groupe, je trouve une ambiance excellente, nettement polytechnicienne avec deux aspirants qui ont quitté leur Taupe pour rejoindre de Gaulle en juin 1940.
Au régiment, le rythme d’instruction imposé par le Commandant LAURENT-CHAMPROSAY est extraordinaire. Une école à feu par semaine, très souvent avec tir à obus de guerre, dans le cadre d’un service en campagne. Le Commandant a même demandé l’autorisation de tirer sur les observatoires avec obus d’exercice… pour éprouver la façon dont les observateurs savent s’enterrer.
Un lundi, le patron m’emmène à Homs pour une école à feu qui se passe bien pour moi. Au retour, je signale au Commandant qui conduit que l’on sent le brûlé dans la voiture, garniture d’embrayage ou de freins qui chauffe. Pour moi, c’est très net. Il dénie. Quelques kilomètres plus loin, nous tombons en panne d’embrayage. LAURENT-CHAMPROSAY est très contrarié. Laissant le chauffeur dans la voiture, nous rentrons à Damas dans un car syrien, avec un retard appréciable sur l’horaire.
Les jeunes cadres du régiment appellent LAURENT-CHAMPROSAY le vieux (il a 34 ans). En réalité, ils le craignent et l’adorent à la fois.
À mi-décembre, le départ du Régiment avec la 1e Brigade de la Division de Larminat pour ce que les Britanniques, basés en Egypte, appellent le Western Désert devient officiel. Nous allons rejoindre la 5e Armée en laissant toutefois les 155 mm en Syrie. Ils sont remplacés par des 75 mm également tractés. Notre équipement personnel est celui de l’armée britannique, beaucoup plus confortable que l’équipement français, du casque aux chaussures. Il est plein d’astuces.
La chemise de la tenue d’été est découpée au-dessous de bras. Les pantalons de toile sont repliables pour faire short. Le ceinturon de toile, avec les bretelles, peut être facilement débouclé et avec lui toutes les musettes qu’il supporte. Les chaussures, fabriquées en France, ont plusieurs largeurs dans la même pointure. Nous utilisons le casque colonial britannique mais garderons le képi ou le calot comme coiffure de repos. Nous recevons une boussole anglaise à bain d’huile dont les performances sont excellentes.
À mi-décembre, le Lieutenant FLORENTIN est hospitalisé, maladie contagieuse. Nous ne pouvons aller le voir. LAURENT-CHAMPROSAY me donne le commandement de la quatrième batterie par intérim.
La quatrième batterie a été formée à partir d’éléments d’une colonne de ravitaillement ralliée aux FFL après la campagne de Syrie. La dernière créée au régiment, elle est de loin la moins brillante. La valeur moyenne des sous-officiers et des brigadiers européens est nettement inférieure à celle des autres batteries. Dans les six mois qui vont suivre, je serai amené à me séparer de cinq sous-officiers dont plusieurs seront rétrogrades.
Pour BRICOGNE, le niveau intellectuel de mes canonniers malgaches est supérieur à celui des canonniers français. Au repos, les premiers lisent la Bible, les seconds ne font rien s’il n’y a rien à boire.
Quelques sous-officiers de valeur : les Maréchaux-des-Logis-chefs SALMON, chargé des tracteurs et COHARD, le chef comptable, qui viennent des Tcherkesses, le Maréchal-des-Logis NEVEU venant d’Angleterre, le Brigadier DELAY de l’artillerie coloniale.
La batterie a un effectif de 116 rationnaires dont 34 Français, 74 Malgaches et 8 Avenantaires (Libano-Syriens à statut spécial). Les Français sont désignés couramment sous le terme d’Européens (en opposition aux Africains et aux Asiatiques).
* Se verra décerner la Croix de la Libération.
Le Colonel LAURENT-CHAMPROSAY, le Capitaine BRICOGNE, le Capitaine GUFFLET, le Sous-Lieutenant de RAUVELIN tomberont au champ d’honneur.
L’artilleur de la D.F.L n°41 – Avril 2001
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