*Italie, Juin 44
En bordure de la route de MONTEFIASCONE , en Italie, marche d’approche harassante sous un soleil implacable.
Encore une explosion, sur la droite un geyser de gravats et de fumées retombe sur une « jeep » soulevée de terre, vite estompée par l’opacité de la poussière. Encore quelques pas, des silhouettes s’agitent, courent, des éclats de voix me parviennent : « C’est le commandant… c’est l’Astuce (surnom d’ AMYOT D’INVILLE )… ».
Ainsi, le hasard me fait assister à la fin tragique d’Amyot d’Inville, « Pacha » du 1e Régiment de Fusiliers Marins, unité de reconnaissance prestigieuse de la 1e Division Française Libre.
Au cours d’un déjeuner récent, auquel j’ai eu le privilège d’être invité en présence du Commandant de Cofusma (Commandement des Fusiliers Marins) et du Commandant de l’Ecole des Fusiliers Marins, ce dernier ne s’est pas douté de l’émotion qu’il m’a procurée en annonçant à la tablée avoir donné pour nom à son chien, le même patronyme qu’Amyot d’Inville employait pour le sien.
Cette attention ancre, s’il fallait le prouver, le lien existant entre le 1e RFM et l’Ecole des Fusiliers Marins, détentrice du glorieux drapeau de ce Régiment. Il ne m’en fallait pas plus pour déduire que le temps n’a pas prise sur les générations de soldats.
Avant de continuer, je crois utile d’expliquer l’attirance, voire l’affection que je porte aux Fusiliers Marins.
Après un séjour forcé dans les geôles espagnoles, un des passages obligés pour apporter sa contribution à ceux qui ont su maintenir l’honneur depuis juin 40, mon engagement au 2e Régiment de Parachutistes à Manchester a été contrecarré par les remous du conflit Giraud-de Gaulle qui secouaient ave passion l’Afrique du Nord de cette époque.
Par répercussion, je fus affecté pour mes 17 ans à la 6e Compagnie du BM XI (Bataillon de marche n°11) de la 1e Division Française Libre, division au passé glorieux, qui avait pour singularité, entre autres, d’être composée de volontaires rassemblés sous le signe de la Croix de Lorraine.
J’appris alors l’existence au sein de la Division d’un régiment de Fusiliers Marins en formation (1) à Bou Ficha puis près de Nabeul (2) où nous bivouaquions. Ayant pris contact avec les marins, avec lesquels je m’étais fait de nombreux amis, notamment au 3e Escadron, j’ai posé plusieurs demandes de mutation restées sans effet.
Quelques mois plus tard, les combats meurtriers des lignes Gustav et Hitler en Italie ont été suffisamment absorbants pour me faire une raison et m’intégrer au cadre qui était dorénavant le mien ; par contre, j’appréciais l’apport moral et pratique dispensé par ceux que j’avais espéré rejoindre et auxquels je dois d’être sorti plusieurs fois d’un mauvais pas.
J’en reviens à mon sujet.
Pour nous, qui nous confondions avec la terre, l’apparition des blindés légers, piquetés de pompons rouges, était le plus souvent synonyme d’offensive et, de fait, nous étions vite plongés dans le vacarme des armes mêlé aux rugissements des moteurs emballés. C’est dans le fracas des explosions, environnés de fumées d’où émergeaient d’élégantes arabesques de traceuses que nous nous sentions (en ce qui me concerne) le plus confiant et ragaillardis pour un nouveau bond en avant.
Jusqu’à flanc de coteau, malgré un barrage d’artillerie, les ordres et les imprécations tonitruantes de l’E.V. MILLET juché hors de la tourelle, nous parviennent distinctement, haranguant et entraînant comme un beau diable le peloton, droit devant. Il ne saura jamais combien sa voix était réconfortante.
Une fois, étant à court d’eau, ce qui était fréquent, l’équipage d’un tank destroyer est arrivé à point pour remplir nos gourdes d’un délicieux vin blanc de Frascati, encore tout frais et pétillant !
Sous l’effet conjugué de la chaleur et de la fatigue, il ne m’a pas fallu longtemps pour en ressentir les effets ; si bien qu’étant occupé aux opérations de pointage d’un mortier de 60, je sentis inconsciemment à quelques mètres sur le côté une présence se profiler et avant même de réaliser le danger et pouvoir esquisser un geste, l’Allemand vidait son chargeur de MP 40 en ma direction. Malgré le vacarme, j’enregistrais simultanément le tintement clair des impacts sur l’affût du mortier et les détails de la face blême de mon agresseur ; au même instant, un violent coup porté à la tête illuminait l’engourdissement dans lequel j’étais plongé.
Je crus pendant ces fractions de seconde qu’il n’était pas si désagréable de passer de vie à trépas. Puis, en images saccadées, j’ai vu les braves Fusiliers Marins riposter de leur char et abattre le téméraire adversaire qui tentait de s’enfuir. Je m’en tirais tout de même avec une imposante ecchymose sur le front, une balle ayant endommagé et fait pivoter le casque sur le côté.
Il y eut aussi cette montée sur le sol argileux, dans la semi-pénombre du petit matin, l’apparition d’un scout-car achevant de brûler : les pneus léchés de flammèches et le métal chauffé à blanc dégageaient une odeur âcre et nauséabonde devenue hélas familière. A l’intérieur, la forme d’un corps affalé sur le volant, attisée par les souffles d’air printanier, se consumait lentement.
Des toiles de tente servent de linceul collectif aux équipages de chars, dont seules les chaussures identiques aux nôtres, émergent alignées comme pour une parade. C’était encore des Fusiliers Marins après l’attaque du 13 mai.
Alentour de MONTEFIASCONE , peu après la disparition d’Amyot d’Inville, la vision au débouché d’un cheminement : un tank destroyer déchenillé avec un trou dans la tourelle, des hommes en treillis vert en jaillissent, le visage noirci, les mains levées par la douleur des brûlures, se dirigent vers nous, ils sont pris pour cible par nos tirailleurs…
Les anciens qui lisent « Le Lien » n’ont probablement pas oublié les cantonnements anglais de Calabre où nous étions regroupés pour le débarquement : c’était un vaste terrain désertique, plat et cahoteux, cuit par le soleil, ressemblant davantage à la Tripolitaine qu’à l’Europe. Après les combats, il était courant de s’enquérir sur le sort des camarades des bataillons voisins. C’est en m’engageant au bivouac des Fusiliers Marins que je fus témoin d’un accident regrettable : le chuintement caractéristique d’une balle contrariée, perçu par tout le camp, m’accueillit ; puis, quelques minutes plus tard, je croisais, porté par deux camarades un matelot blafard se vidant de son sang. La balle oubliée dans le canon de la carabine qu’il nettoyait lui a été fatale ; incident navrant survenu deux semaines avant le débarquement tant espéré.
Et puis, à TARENTE où la population nous était franchement hostile, cette marche vengeresse et spontanée, après l’assassinat de 4 Fusiliers Marins, stoppée in extremis à l’entrée de la ville par notre Général BROSSET qui avait, comme nous tous, un faible pour nos « Sakhos ». Sa seule présence et sa détermination ont évité des drames aux conséquences désastreuses (constatation non perçue sur le moment).
Cavalaire, jour J+1. Encore trempés après notre passage sur un LCI, nous avons savouré notre première nuit en France couchés dans un champ de vigne (j’ai appris par la suite qu’il était miné).
Tôt le matin, regroupement pour notre première « promenade allégée » munis d’armes individuelles, nos sacs sont restés sur le bateau avec le gros du matériel ; c’est alors qu’apparaissent comme pour nous narguer de fringants officiers de marine juchés sur de magnifiques chevaux, caracolant le long de notre colonne pédestre, la remontant et descendant au galop avec force gestes amicaux. Ah ces marins ! Mais attention, les nôtre seulement !
Massif des MAURES, La CRAU, HYERES, La VALETTE, La GARDE… pris à parti par les 88 (3) les obus visant les véhicules miaulent et rugissent affreusement à hauteur d’homme.
Croisons des scouts cars immobilisés.
Sous le soleil d’août, avance par saccades, sur les bas-côtés de la route, une colonne de half track (4) nous dépasse. L’un d’eux s’arrête à notre hauteur et les marins nous distribuent, plaisir suprême, des canettes de bière anglaise chaudes mais délicieuses.
A l’orée des Vosges, automne lumineux ponctué de brouillards matinaux avant les pluies persistantes ; au moulin de LOMONTOT, du haut de la tourelle d’un tank destroyer, un OM (5) harangue dans leur langue avec un haut-parleur, les allemands disséminés et cachés dans les fourrés.
Comme rien ne bouge, il arrose à la 12,7, faisant jaillir quelques vert de gris hébétés, aussitôt fait prisonniers sans ménagement par nos tirailleurs sénégalais.
Pour conclure. Ils, nos Fusiliers Marins du 1e RFM, ont été à la pointe de tous les combats, rien ne semblait arrêter leurs véhicules, ni les terrains jugés impraticables, ni la boue et la neige des Vosges, ni la glace et le blizzard d’Alsace, ni les pistes juchées à plus de 2 000 mètres comme ce fut le cas dans les contreforts des Alpes, témoins des tout derniers et meurtriers combats. Combats qui ont fixé la 1e DFL dans ce secteur, la frustrant de son entrée en Allemagne et qui plus est, ont coûté fort cher pour beaucoup de rescapés de Bir-Hakeim.
Le « Biffin » intimement lié à ces campagnes salue en ces lignes ses camarades « Sakhos » avec lesquels il a partagé maintes fois les peines, l’adversité, parfois les joies, sur un fond d’idéal commun.
Qu’ils veuillent bien accepter l’hommage à leur bravoure.
Quarante ans après à Lorient, j’ai eu la surprise et le plaisir de retrouver chez les Fusiliers Marins le même esprit, les mêmes gens et, lorsque maintenant je franchis l’enceinte de l’école, un dédoublement se produit, le temps est aboli, je suis avec mes camarades…
MONKOWICKI Peintre des Armées – Section Marine
Les rapports qui sont évidents pour nous étalent à l’origine adressés aux jeunes FM qui sont notre relève.
Notes
(1) Par formation, j’entends familiarisation avec le nouveau matériel américain en remplacement de l’équipement anglais dont la Division était dotée au sein de la 8ème Armée Britannique.
(2) Bou Ficha et Nabeul situés au Cap Bon en Tunisie.
(3) 83 : canon à tout faire, redoutable.
(4) Half track : véhicule blindé demi-chenille.
(5) Officier marinier.
Bir Hakim l’Authion n°151, Janvier 1994
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