*L’ITALIE – EXTRAIT DES MEMOIRES DE JEAN CANDELOT
(…) En cours de route nous prîmes deux autres marins Thomas GABY (tué plus tard en Italie) et René FLANDIN , deux sous-mariniers, et nous arrivâmes après un voyage de plusieurs jours à Zuara, en Tripolitaine, où nous fûmes affectés, après un passage devant COLMAY pour interrogatoire, à la 1e section d’assaut du 1e régiment de Fusiliers-Marins de la 1e Division Française Libre qui, encore à ce moment, faisait partie de la huitième armée anglaise. Ensuite nous nous rendîmes en Tunisie, à Meltine pour [rejoindre] le deuxième escadron qui était commandé par SAVARY après à Bouficha où nous avons touché du matériel et des habits américains, pour cette fois être entièrement armée française, en restant indépendant. Ce fut entraînement sur entraînement, pour un jour embarquer à Bizerte et direction l’Italie où nous débarquerons à Naples pour de suite être regroupés à Albanova. Quatre jours plus tard nous montions relever les Tabors sur les crêtes bordant le Garigliano. Étant du 1e peloton du 2e escadron, notre commandant était l’officier des équipages COLMAY, un dur et un baroudeur, il avait donc choisi le poste le plus dangereux tandis que les autres pelotons se trouvaient installés dans des bâtiments, nous, nous tenions un coin à plein découvert, avec des tranchées en cercles. Chaque poste était livré à lui-même avec des no man’s lands de plusieurs kilomètres. Nous dominions le Garigliano et en face l’autre versant était truffé d’Allemands, même dans un cimetière où ils s’étaient retranchés dans des caveaux. Nous faisions des patrouilles de nuit entre les postes et sur les bords du fleuve. Les Allemands faisaient de même, mais nous ne nous rencontrâmes pas souvent, juste le temps de faire quelques prisonniers pour du renseignement. Pour nous ravitailler en vivres et en munitions il fallait se rendre au quartier général distant d’environ cinq kilomètres et là nous prenions un mulet bâté avec le nécessaire pour le poste. Je fis cette corvée une fois, c’était la nuit, nous étions deux, on partait de notre poste vers vingt-deux heures trente et, silencieux, aux aguets, on se rendait au Q.G, nous prenions le mulet à qui on avait entouré les sabots de chiffons et retour au poste, toujours aux aguets, l’angoisse dans la gorge de rencontrer une patrouille chleuh. Quelques fusées éclairantes, quelques tirs d’armes automatiques et ouf ! On était de retour… Je ne me souviens plus très bien trente-sept ans après comment le mulet retournait, je crois que nous le déchargions et qu’il retournait seul ou se faisait prendre et abattre par les Allemands. Le dix mai à onze heures du soir, on aurait pu lire le journal : toute notre artillerie, celle de Juin 42, celle des Anglais et des Américains tirait et ce fut l’attaque. Des livres ont été écrits sur ce sujet dans lequel on oubliait bien souvent les actions de notre D.F.L. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, ce fut dur, très dur, nous eûmes nos premiers blessés et tués. Ensuite ce fut l’avance, nous avions repris nos véhicules et notre travail était la reconnaissance. Mon chef de scout-car HAFLIQUAIRE fut tué, THOMAS l’un des deux marins qui avait rejoint avec moi fut tué ainsi que plusieurs camarades. Nous foncions, avancions jusqu’au moment où nous étions arrêtés par une grosse résistance, ou parfois encerclés et l’infanterie venait nous dégager et exploiter. Nous avions gardé le casque anglais, souvenir du passé, mais pour nous c’était un accessoire souvenir de la huitième armée anglaise et dans la plupart des combats on ne voyait que des têtes avec le béret et le pompon, ou la casquette de nos officiers. Au cours de cette campagne, avec le nombre de blessés et de tués, nous permutions [de poste] et, de canonnier sur scout-car, je me retrouvai mitrailleur sur Jeep, ensuite chef de Jeep. Je me souviens d’une avance au cours de laquelle nous traversâmes le Tibre avec six heures d’avance sur les prévisions ; à 7 km de là le général Juin, croyant que c’était des Allemands, ordonna un tir de barrage de 15544. Les obus pleuvaient à droite et à gauche, devant, pendant notre traversée. Miracle nous établissons cette tête de pont sans avoir eu ni tués ni blessés, mais qu’est-ce que nous avons pu maudire les artilleurs de Juin ! Un jour nous fîmes une avance de soixante kilomètres, un autre, les chars allemands contre-attaquaient… COLMAY nous désigne à trois avec une musette de grenades et nous donne pour mission de nous établir en bordure d’un talus boisé et de balancer nos musettes de grenades sur les chars. Après un quart d’heure d’attente, le bruit des chenilles se fait entendre, le cœur monte dans la gorge, il est difficile de déglutir : trois chars Tigre s’amènent et le premier s’arrête juste à notre hauteur. Le chef de char a le buste qui sort de la tourelle, il inspecte aux jumelles. Nous nous regardons : il y a environ dix mètres entre nous et le char, impossible de balancer nos musettes, elles sont trop lourdes. On a l’impression d’être repérés, le canon du char se tourne vers nous. La guerre, c’est bien, mais il ne s’agit pas de se faire tuer pour rien… On recule un peu, nous trouvons une dénivellation de terrain et, à toutes jambes direction le peloton alors que le char tire où nous étions auparavant. Il m’arrivera deux autres fois d’être face à face avec un char Tigre. La première fois, au cours d’une avance où j’étais en tête des chefs des suicidés comme nous nous appelions [entre-nous]. J’arrivais à pied dans un virage à la sortie duquel il y avait un pont détruit ; à plat-ventre au milieu de la chaussée j’aperçois le char qui nous guettait de l’autre côté du pont… Je rejoignis ma Jeep pour transmettre à COLMAY de m’envoyer les deux T.D.46 qui étaient avec nous : me trouvant à une vingtaine de mètres du char ennemi, je ne pouvais élever la voix et COLMAY ne m’entendait pas bien, il me faisait répéter. Enfin les deux T.D. arrivent et l’officier qui les commandait arrive auprès de moi. Je lui explique la situation, on rampe tous les deux au milieu de la chaussée et j’aperçois à nouveau le char ; cet officier ne s’avançant pas assez ne le voit pas, il me faut le pousser un peu à la main et tout-à-coup il l’aperçoit. On revient en arrière et il me dit : — Comment faire ? Une seule solution : faire engager un obus dans le canon des deux T.D. et en avant ! Du Tigre ou de nous, le premier qui tirera sera le bon … À ce moment on entend les chenilles [du char ennemi] qui grincent, ordre aux deux T.D. d’avancer, ce qu’ils font et tirent droit devant ! Hélas le Tigre avait disparu. La seconde fois, les chars [ennemis] contre-attaquant sur notre reconnaissance, le peloton s’arrêta avant un virage. COLMAY me fit prendre un bazooka et m’emmena à cent cinquante mètres de là, dans un fossé en bordure de route, dans un second virage et me dit : — Tu as la médaille militaire à ta main, tâche de t’en tirer . J’étais sacrifié. Le bruit des chenilles se fit entendre, les chars montaient, au bruit ils se trouvaient à environ soixante mètres et ils s’arrêtent… Quelle attente ! J’entends les battements de mon cœur dans les oreilles… Dix minutes, dix siècles se passent, rien. Un bruit de moteur, des grincements, les chars font demi-tour. J’ai loupé ma médaille militaire mais j’ai sauvé ma peau, j’en suis aussi content. Nous continuons cette avance sans trouver beaucoup de résistance, les Allemands se replient. Un jour devant Montefiascone, voici deux heures que nous sommes en reconnaissance, quelques coups de feu isolés, et soudain la résistance se fait plus forte. Nous sommes en vue du village et nous nous arrêtons aux ordres pour l’attaque. Un copain braque sa mitrailleuse 12,7 sur un buisson pour voir si elle est bien alimentée ; il lâche cinq ou six coups… Stupeur ! Dix-sept Allemands sortent des fourrés les bras en l’air. Une autre fois, je remplis les fonctions de chef de Jeep, c’est à dire que je fais de la reconnaissance à pied à cinquante mètres devant ma Jeep, couvert par mon mitrailleur. J’arrive dans un virage pas catholique, la route est bordée de talus assez hauts ; je commence à grimper sur la gauche (je suis armé d’une mitraillette italienne, prise de guerre). Arrivé au sommet des fils sur deux rangs : bizarre ! Ils bougent et il n’y a pas de vent. Je redouble de précautions… J’aperçois une cabane, je continue à avancer et je tombe sur une table [sur laquelle il y a] trois tasses de café ; je les tâte : elles sont tièdes et sur deux chaises il y a des vestes allemandes. Je décide de me replier lorsque j’aperçois de l’autre côté de la route, dans un champ de blé un ennemi qui me vise avec son arme ; vite, je tire, un coup, flac… Enrayé. Je réarme, un second coup, l’ennemi se couche et réapparaît… Je tirerai trois fois, chaque fois enrayé ! La troisième fois il tombe [l’ennemi] et ne se relèvera plus. Je reviens sur mes pas pour explorer cette cahute lorsqu’un obus éclate à une dizaine de mètres, ensuite un autre. Je me replie vers la jeep. COLMAY est monté aux nouvelles lorsque nous entendons des bruits de chars devant nous. Nous sommes seuls et pas armés pour arrêter des chars surtout que notre obusier a été détaché, il n’est donc pas avec nous. Tout-à-coup nous sommes allumés par une mitrailleuse, le tir venant de la droite, heureusement trop haut. Nous nous replions un peu, quelques minutes d’attente, les chars repartent et nous continuons notre reconnaissance sans aucune résistance. Une autre fois nous sommes en reconnaissance sur Bolsena, nous arrivons dans un virage masqué, j’avance, toujours à pied devant ma Jeep couvert par mon mitrailleur et une trentaine de mètres en arrière par TARIUS, RANGUET et REGEREAU (ils seront plus tard tués tous les trois en France à Dracy Saint-Loup). Je redouble de précaution, j’arrive vers la fin de la courbe et j’aperçois à une cinquantaine de mètres, sur le côté, un [canon] anti-char. Je rends-compte à COLMAY en demandant le soutien porté et nous attendons. Tout à coup une Jeep s’amène à toute vitesse et s’arrête pile près de nous. — Nom de Dieu, qu’ ’est-ce que cela, les fusiliers-marins n’avancent plus ? C’est le général BROSSET et son chauffeur Jean-Pierre AUMONT ; à peine me laisse-t-il le temps de lui dire que nous étions stoppés par un [canon] anti-char qu’il ordonne à Jean-Pierre : — Allons voir ! Ils font quelques mètres avec la Jeep… Poum ! Une manœuvre… Poum ! Une autre et les voici revenus auprès de nous. BROSSET me dit : — Petit, tu n’aurais pas un coup de pinard ? Chaque marin qui se respecte possède une ancienne boîte de conserve que l’on appelle moque ; nous la remplissons d’un litre de vin et le général ainsi que Jean-Pierre l’ont vidée totalement. — Petit, on a eu chaud ! et BROSSET repart vers l’arrière… Quelques temps, après les amis du bataillon de marche qui nous suivaient avaient anéanti cet anti-char et la progression reprenait. Nous menons [ensuite] une attaque à pied où pour une fois l’aviation américaine doit nous aider ; ils se trompent [les Américains] et nous lâchent leurs bombes sur nous au lieu des Allemands. Lors de cette attaque HUMBLOT reçoit deux balles de mitrailleuse lourde qui se fichent dans sa colonne vertébrale, mais probablement en fin de course ou après ricochet elles ne sont que fichées sous la peau : on dirait deux petites saucisses ! DELOBELLE lui est grièvement blessé par éclat de mortier, lorsqu’on le met sur un brancard sa deuxième partie tombe à terre… Dix-huit juin 1944. Mauvaise date dans mes souvenirs car elle marque la mort de plusieurs de mes camarades, tués au combat le dernier jour de notre campagne d’Italie dans l’attaque de Radicofani, comme l’illustre le tableau de Chapelet dans les annales de la 1e DFL. Ce jour-là mon peloton, le premier, n’est pas engagé au cours de notre reconnaissance ; je suis cette fois dans un scout-car commandé par METZGER l orsque d’un seul coup c’est l’enfer, particulièrement pour ceux qui nous précédent à quelques maisons et un léger repli de terrain situé à une cinquantaine de mètres de là. Le peloton qui s’est engagé subit un feu meurtrier de mortiers, mitrailleuses et artillerie ; certains camarades ont pu se replier avec plusieurs morts, mais des véhicules sont atteints, il y a des blessés, l’ordre vient de COLMAY de foncer et de ramener morts et blessés. Notre scout-car et une Jeep tentent de passer [alors que] c’est un feu d’enfer, nous faisons demi-tour. COLMAY rapporte que c’est terrible et au moment où il transmet, on voit des larmes qui coulent sur ses joues… Nous y retournons et cette fois passons. Mes souvenirs ne sont plus très nets, mais nous avions récupéré deux blessés dont un gravement, le quartier-maître DAVIAULT, ancien de Bir-Hacheim, que nous sommes allés rechercher sous un feu meurtrier. Aussitôt après c’était le calme complet, la campagne d’Italie était terminée pour la 1e Division Française Libre. Nous prîmes nos quartiers, pour ma part à Brindisi en Calabre où nous waterprouffions52 nos véhicules pour cette fois le débarquement en France. (…)
Notes 155 : Canons de gros calibre 155 mm Zuara : Port de la Lybie quasiment frontalier avec la Tunisie. Bouficha : Ville tunisienne à 60 km au sud de Tunis, grand camp militaire des Alliés en 1943. j7 NB : 25 avril 1944 selon d’autres sources. Garigliano : Petit fleuve du centre de l’Italie, à environ 70 km au nord-ouest de Naples. Pendant la guerre le Garigliano servit de point d’appui à la ligne Gustave qui fut le théâtre de la bataille du mont Cassin en 1944. (Wilkipédia) Meltine : Ville tunisienne en bord de mer, non loin de la base navale française de Bizerte. Montefiascone : ville située dans le centre de l’Italie (province de Viterbe). Musette : petit sac en toile que l’on porte en bandoulière et qui sert de fourre-tout.. Officier des équipages : officier de marine s’étant élevé par son mérite du rang des matelots et sous-officiers. Pinard : vin ordinaire. Radicofani : Village médiéval de la province de Sienne sis en altitude sur une colline basaltique dominant plaines et collines, région de Toscane. Elle est surmontée d’une forteresse Savary Alain : Lieutenant de vaisseau en 1943, ancien représentant du général de Gaulle à Saint-Pierre et Miquelon, sera maire de Toulouse et ministre de l’enseignement sous la présidence de François Mitterrand. Tabor : Troupes d’infanterie marocaines souvent équipées de mulets. T.D. : Tank-Destroyer. Char spécialisé dans le combat anti-char. Waterprouffions : néologisme de l’époque pour définir l’opération d’étanchéisation (waterproof) des véhicules et des armes en vue d’un débarquement maritime.
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