*Préambule
Après un court voyage maritime, sans histoires, de Bône à Naples (sur le S/S Durban Castle) nous voilà à quai à Napoli… Nous y sommes le 21 avril 1944 à 17h00… Et il pleut très fort… Ce qui nous fait regretter notre beau soleil tunisien et les orangeraies merveilleuses d’Hammamet… J’appartiens à la 1e compagnie du Génie, sous les ordres du capitaine Riou et commande la 3e section (la 1e section est commandée par le sous-lieutenant Monier et la 2e par le sous-lieutenant Dufour) … À 21h00 ce 21/04/1944, notre compagnie se dirige vers Albanova et le reste de notre bataillon (1e bataillon du Génie) commandé par le chef de bataillon Tissier dans la région d’Aversa où se rassemblent les autres unités de la 1e Division française libre sous les ordres de notre général Brosset… La 1e DFL a un effectif global de 18 347 hommes à la veille des opérations que l’on devine proches. Peu à peu notre division s’intègre dans le dispositif du CEF déjà en place (2e DIM, 3e DIA, 4e DMM) sous les ordres du général Juin…
*Du Génie de la 1e DFL
Notre 1e bataillon ( Commandant Tissier ) a 3 compagnies de combat : (1e compagnie – capitaine Riou, 2e compagnie – capitaine Bernard , 3e compagnie – capitaine Maquaire ), ces quatre officiers issus de Polytechnique recevaient pour mission (du général Dromard) de prendre à charge :… l’entretien des pistes et routes déjà existantes, sises au nord de la route Mouflon (Pont du Tigre à San Clémente) – voir croquis n°1 – cette route incluse, avec un effort particulier pour l’entretien de la route Gazelle (longeant la rive gauche du Garigliano) et surtout l’amélioration de la piste (joignant Gazelle à Mouflon)… . Mission avant l’offensive du 11 mai 1944.
*Du Génie du CEF avant le franchissement du Garigliano (nuit du 11 au 12 mai 1944).
Il me paraît nécessaire de préciser, les existants sapeurs , en cette fin d’avril 1944, à savoir :
- le 82e bataillon du Génie de la 4e DMM (4e Division Marocaine de Montagne) ;
- le 83e bataillon du Génie de la 3e infanterie algérienne) ;
- le 87e bataillon du Génie de la 2e DIM (2e Division Infanterie Marocaine) ;
- le 101e Régiment du Génie à deux bataillons ;
- le 180e bataillon du Génie ;
- le bataillon de pionniers III/201 à 2 compagnies (1 en appui au 87, 1 en appui au 83) ;
- 3 chefferies du Génie (dont 1 de base) ;
- 1 centre d’instruction du Génie ;
- 1 régiment du Génie USA en appui (le 344e puis le 175e) ;
*Qu’étaient les communications et le réseau routier CEF en avril 1944 ?
Depuis le 29 mars 1944, date à laquelle le CEF a pris possession du secteur du Garigliano (initialement occupé par le 10e corps britannique et plus particulière ment par la 4e Division Br) et de la tête de pont (de 5 km environ de longueur sur 3 km de profondeur) à l’ouest du Garigliano, de nombreuses pistes ont été créées et les routes existantes améliorées. LE RÉSEAU ROUTIER comportait essentiellement (voir croquis 1 et 2) :
- 2 pénétrantes principales jusqu’au Garigliano (Mouflon – Zèbre)
- 2 rocades, une avant et une arrière (Girafe et Gazelle longeant le Garigliano)
- 3 pûtes muletières permettant, en partant de la rocade avant (Gazelle) d’accéder à la cuvette de Valle di Sujo, véritable plaque tournante de la tête de pont à 150m au-dessus du niveau du Garigliano (piste Mer/.ean – piste Lombard – piste Écureuil) et aussi des pistes multiples à dénomination anglaise (Beak, Green Street, Downing…), vestiges de l’occupation des lieux par la 4e Division Br ;
- 2 ponts flottants (l’un de 9 tonnes, l’autre de 30 tonnes) franchissant le Garigliano (60 m environ de large) aux vues de l’ennemi, tant et si bien que le premier est protégé par une émission permanente de fumées ! et l’autre par un camouflage artificiel…
Le pont Tigre permettait le passage de 30 tonnes (sis à extrémité route Mouflon). Ces ponts étaient en outre sous les menaces graves :
- des tirs fréquents de l’artillerie allemande (tirs quasi journaliers) ;
- des montées d’eau possibles ;
- d’une crue de printemps et fonte des neiges du Rapide et du Liri (voir croquis n°1),
- d’une éventuelle rupture du barrage de San Giovanni (plusieurs millions de m’ d’eau) sis sur le Liri à 50 km en amont de nos ponts ;
- des mines flottantes (d’un modèle nouveau) que l’ennemi a commencé à lancer dès le 6 avril contre nos ouvrages (sus – visés).
Au sujet de ces menaces (montées d’eau possibles, mines flottantes), l’EM du Génie du CEF (général Dromard) nous avait indiqué, concernant les montées d’eau possibles :
- que le Garigliano avait un niveau d’eau sujet à des oscillations journalières pouvant atteindre 1,20 m certains jours… en fonction de la fonte des neiges surtout par le Rapide…
- que certaines années, la montée des eaux avait l’aspect d’une véritable crue (montée de 6m !! et même 10 m)…
- que le barrage de San Giovanni pouvait retenir 2 millions de m3 d’eau et qu’il était à peu près plein en ce mois d’avril 1944… Que les Alliés avaient bombardé en février 1944 ledit barrage mais sans succès !
Au sujet des mines flottantes Qu’elles étaient d’un poids approximatif de 12 à 15 kg. Que le CEF et les Alliés ne connaissaient pas… de leur fonctionnement ! Qu’elles avaient causé la mort le 6 avril 1944 de 2 officiers français ( capitaine Merzeau et aspirant Tidjani ) lors de leur premier examen. Nous avions donc tous les éléments pour être inquiets et vigilants aussi , mais tous nous ne pensions qu’à la prochaine offensive… qui ne saurait tarder.
*Opération diadème 11 mai 1944 – Articulation des forces armées
Diadème est le nom donné aux opérations du Garigliano. Le dispositif général des Alliés à la veille du 11 mai 1944 s’établissait ainsi (voir croquis n°2) :
- Vers la côte méditerranéenne : le 2e corps US (Keyes) de la Ve armée US (Clark), 85e division US et 88e division US.
- Le CEF (1e DFL, 2e DIM, 4e DMM, 3e DIA, Groupement Guillaume).
- Au-dessus du Liri et Cassino :
- le 2e Corps polonais (3e et 5e divisions) – (secteurs Cassino et mont Cassin) ;
- le XIIIe Corps britannique (4e et 78e divisions britanniques, 8e division indienne, 6e DB-Britannique) ;
- le 1e Corps canadien (1e DI, 5e DB) ;
- la 36e DI – US ;
- la 6e DB – Sud-africaine.
- Face aux Apennins (à droite du XIIIe Corps britannique) :
- le Xe corps britannique (24e brigade indépendante, 2e DI – NZ).
- Rejoignant l’Adriatique (à droite du ?e Corps britannique) :
- le Ve Corps britannique (10e division indienne, 4e division indienne).
- Le CEF était rattaché à la Ve armée US (général Clark).
Les forces ennemies directement opposées à nous étaient :
- face au 2e corps US et CEF : la 94e division Panzer-grenadier ;
- face au CEF : la 71e division infanterie du général Raapke ;
- face au XIIe Corps britannique et 2e Corps polonais : le groupement Bode et la Pc division de chasseurs parachutistes (ceux de Cassino) ;
- face au Xe Corps britannique : la 44e DI, la 5e division de montagne et la 114e division de chasseurs ;
- face au Ve Corps britannique : les 334e et 305e DI.
Articulation du CEF à l’attaque du 11 mai 1944 (croquis n°2)
- La 4e DMM du général Sevez à gauche ;
- La 2e DIM du général Dody au centre ;
- La 1e DFL du g énéral Brosset à droite ;
- La 3e DIA du général de Monsabert n’intervenant que pour prolonger l’effort de la 2e DIM dans la vallée de l’Ausente, sur Ausonia et Esperia.
- La 1e DFL a pour objectifs immédiats (mission de débordement et de dégagement de la boucle Garigliano – Liri) : San Andréa, San Ambroggio, San Appolinare, San Giorgio.
Missions du 1e bataillon du Génie lors de l’attaque du 11 mai 1944 Ci-joints : voir extrait du Journal de marches et opérations de la 1e DFL (1e DMI). Voir Extrait de l’Ordre particulier n°8 pour le Génie – QG le 10 mai 1944.
- La 1/1 doit construire la passerelle d’infanterie sur 1/2 bateaux M2 sur le Garigliano en 896-038 – Passerelle entièrement terminée le jour J2 à 01h00 (J2 : 12 mai 1944). Les abords seront déminés éventuelle ment et les itinéraires d’accès seront jalonnés ;
- La 1/2 doit faire passer un escadron du 3e RSM à la boucle nord du Garigliano ;
- La 1/3 est chargée du passage du fossé antichars de la rive droite du Garigliano ;
- Le franchissement (passerelle 1/2 bateaux M2)
- ouvrage de force portante inférieure à 7,5t – Mission essentielle de la compagnie 1/1.
Préambule Dès le 6 mai 1944, la compagnie 1/1 est chargée des reconnaissances nécessaires au franchissement demandé. Le capitaine Riou me désigne pour cette mission dans la nuit du 6 au 7 mai. Au moyen de nos bateaux pneumatiques et profitant de la protection rapprochée de notre infanterie, nous vérifions :
- que les berges sont faciles à travailler (les 2 rives) ;
- que l’ancrage de la cinquenelle d’amarrage sera facile (sur les 2 rives) ;
- que la profondeur du Garigliano est de 1,60m à 1,80m, ce à 3m de la rive départ, même profondeur pour l’arrivée ;
- que la largeur, au droit de l’axe du pont projeté est de 57,80m ;
- que la vitesse moyenne du courant est inférieure à 2 mètres/seconde.
Action
- La compagnie 1/1 est définitivement prête le 11 mai 1944 à 17h15 ;
- Les bateaux M2 sont approvisionnés à 300m environ de la rive de départ et échelonnés normalement pour leur emploi ;
- Les cheminements d’accès des bateaux ont été dûment reconnus et balisés (la compagnie de commandement du 1e bataillon du Génie participe aux transports) ;
- Le sol est sec, tout est donc paré ;
- Le soleil se couchant à 9h15 en mai 1944, il est décidé de démarrer nos opérations dès 21h10 ;
- L’heure H de déclenchement de l’attaque est fixée à 23 h pour le front s’étendant d’Acquafondata à la mer tyrrhénienne mais l’attaque du CEF doit se déclencher par surprise, sans préparation d’artillerie (la 4e brigade de notre division ne débouchera qu’à 23h30) ;
- Nous avions estimé le temps de construction de la passerelle à 1h50 donc ouvrage livré pour 23 heures ;
- Tout se déroule normalement et les premiers bateaux M2 commencent à se mouvoir vers le pont de franchissement quand brusquement un pinceau lumineux rougeâtre s’éclaire face à nous venant de la rive ennemie.
Ce pinceau hésite un instant à gauche, à droite, trop court, trop long puis tel l’œil de Caïn s’immobilise très exactement dans l’axe du futur pont !
- plus de doute à avoir, il s’agit bien d’un préréglage de mortiers ou d’armes lourdes… C’est donc sous le feu que nous aurons à construire !
- nous avions prévu de réaliser à l’avancement notre passerelle, il faut donc envisager un autre mode de construction (par partie sur la rive amie) en attendant la neutralisation du (ou des) mortiers par notre artillerie…
Mais le temps presse… Nous décidons alors de l’exécution par parties (portières de 2 bateaux) ;
- déjà les premiers mortiers frappent l’axe de départ du pont… En pure perte ! Nous sommes échelonnés et nos portières se construisent aisément sur la rive en amont ;
- nos sapeurs sont entièrement dans l’eau noire du Garigliano, les mortiers ne peuvent les atteindre à moins de coups directs… Nous avons la baraka !
- peu à peu les tirs de mortiers s’échelonnent puis cessent, ils ont été neutralisés par notre infanterie et notre artillerie… Enfin…
- l’ensemble des portières est réalisé, sans pertes, ni sapeurs, ni matériels !
- il reste maintenant à descendre nos portières, après ancrage à la cinquenelle, ce qui est réalisé normalement, par nos merveilleux sapeurs… comme à la parade !
- peu à peu notre passerelle se met dans l’axe projeté
- les sapeurs musulmans ne cessent de louer Allah , combien je les comprends…
- Soudain, furtivement quelqu’un s’approche de nous et pose sa main sur mon épaule, c’est le général Brosset.
Il est 23 h 15, nous n’avions que 15 minutes de retard… La passerelle pour charges inférieures à 7,5 t est prête ;
- Les premiers véhicules empruntent l’ouvrage dès 23h30… il s’agit hélas de jeeps et ambulances ramenant nos camarades d’infanterie de la 4e brigade qui a échoué dans son offensive…
Récit du sous-lieutenant GILLES Maurice Chef de la 3e section de la 1e compagnie du Génie du 1e bataillon du Génie de la 1e division française libre
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